Deux des plus inventifs producteurs du hip-hop américain se réunissent pour un projet comique et ambitieux : une fausse école de mannequins, où les invités se pressent, des Beastie Boys à… Spain. So… how’s your girl’ est déjà en pole position pour la remise des prix de fin d’année. Handsome Boy Modeling School, alliance de […]
Deux des plus inventifs producteurs du hip-hop américain se réunissent pour un projet comique et ambitieux : une fausse école de mannequins, où les invités se pressent, des Beastie Boys à… Spain. So… how’s your girl’ est déjà en pole position pour la remise des prix de fin d’année.
Handsome Boy Modeling School, alliance de choc entre les deux producteurs les plus audacieux du hip-hop, c’est un peu l’école du rire mais aussi la dream-team des cintrés. D’un côté, Prince Paul, ex-Stetsasonic et homme de l’ombre de De La Soul, fondateur des Gravediggaz (avec RZA du Wu-Tang Clan) et auteur de deux albums solo à l’humour ravageur. De l’autre, Dan « The Automator » Nakamura, discret producteur adulé pour sa fantastique mise en musique de Dr Octagon (avec Kool Keith), que l’on retrouve aussi derrière le premier album de DJ Shadow et de nombreux remixes, d’Air à Beck.
Officiellement, la rencontre au sommet entre ces deux professeurs foldingues, dont le partenariat de rêve enterre de surcroît la sempiternelle rivalité Est-Ouest (Dan est basé à San Francisco, Paul à New York), aurait débuté sous les lambris dorés de Monaco. « J’avais remarqué ce type couvert de femmes, qui pariait gros au casino, se souvient Dan en retenant un gloussement. Coïncidence, je le recroise quelques heures plus tard dans un grand restaurant. » « Je suis un grand amateur de vins, reprend Prince Paul. Et Dan, seul à une table, semblait bien en peine de passer commande au sommelier. Je lui ai proposé de l’aider. Depuis, nous sommes inséparables. Il est le fin gourmet, je suis l’oenologue. »
La réalité est peut-être moins cocasse que ce canular mis au point par les deux canailles, mais leur complicité est fondée en revanche sur le même principe de complémentarité et de respect mutuel. C’est en 1996, après la sortie de l’album de Dr Octagon, que les liens se nouent. Prince Paul comble alors Automator en lui offrant le splendide remix de Blue flowers. Jamais en reste d’une déconnade, animés du même esprit joueur et curieux, les deux chenapans trentenaires n’en finissent plus d’échanger les blagues, de comparer les références et de rapprocher leurs points de vue. Ils se découvrent notamment une passion commune pour la sitcom Get a life avec l’acteur Chris Elliot, diffusée sur Fox Network au début des années 90, et plus particulièrement pour un épisode mémorable de la série, intitulé Handsome boy modeling school.
Le concept de leur album en commun était né : il s’agirait d’une école de mannequins. Un établissement dirigé par Paul et Dan, deux jeunes gens « beaux, riches et intelligents » que leur « longue expérience de la jet-set » aurait fondés à enseigner, moyennant 60 dollars (Visa, Mastercard, Traveller’s Checks acceptés), « l’art subtil de la classe et du maintien, ou comment ne jamais se départir de son élégance naturelle, qu’il s’agisse de parler, marcher, regarder sa montre, héler un taxi ou même courir chaussé de sandales (épreuve périlleuse, coefficient 2 à l’examen) ». Difficile de ne pas subodorer derrière cette blague de potaches une métaphore plus ou moins féroce de l’industrie du rap quand on connaît la lucidité décapante de Prince Paul, aiguillon obstiné du hip-hop.
Mais, contrairement à ses propres albums, où le concept de départ est généralement développé in extenso, la plaisanterie s’arrête ici à l’emballage et aux interludes. Handsome Boy Modeling School propose en effet une remarquable diversité de climats dont l’humour n’est ni le fil rouge ni même le point fort sur la durée. La sensibilité, la générosité et l’incroyable faculté d’adaptation à tous les styles sont davantage la grande affaire de ce disque qui convoque un impressionnant aréopage d’invités. Sur le papier déjà, on salive devant la profusion de duos inespérés : Mike D (Beastie Boys) donnant la réplique à Miho Hatori (Cibo Matto), Roisin (Moloko) dialoguant avec J-Live, DJ Shadow au coude à coude avec DJ Quest, Dave (De La Soul) croisant le fer avec Del (Hieroglyphics), ou encore Sean Lennon entouré de Money Mark, Mark Hayden (Spain) et Paula Frazer (Tarnation). Des collaborations à distance enregistrées au feeling et parfois même à l’arraché « J’ai dû courser Mike D dans tout Manhattan avant de le coincer » grâce à un enregistreur portable digital, puis montées, démontées, malaxées, habillées et choyées par les deux producteurs « entre deux zappings et une bonne bouffe » dans le repaire de Dan, à San Francisco.
Déjà en pole position pour la remise des prix de fin d’année, le résultat est riche, intense, souvent surprenant, passant de la volupté mélancolique (The Truth) à la grenade hip-hop (Rock & roll), de la délicatesse douce-amère (Metaphysical) à la méchante castagne aux tessons de bouteille (Megaton B-boy 2000). Seul ce dernier titre, signé du tandem El-P (Company Flow)/Alec Empire (Atari Teenage Riot), semble ne pas avoir fait que des heureux. Mis au piquet, Prince Paul s’en étrangle presque encore de rire. « Nous avons d’abord enregistré El-P, puis nous avons expédié la cassette à Alec Empire. Lorsqu’on a reçu sa version (hardcore et bruyante), j’ai trouvé ça atroce. Puis je m’y suis fait. Mais je ne suis pas sûr que El-P s’y fasse : le jour où il a reçu la cassette, il s’est précipité au studio pour l’écouter. Mais en entendant le morceau, son visage s’est totalement décomposé, il était consterné. Je ne suis pas au bout de mes peines : il faut encore que je fasse écouter mon petit hommage à Biz Markie » piégé à chanter les Bee Gees au téléphone. A l’école des cintrés, on n’a pas encore inventé les mots d’excuse.
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