Début octobre, le collectif canadien nous livrait, après 14 jours de réflexions, des réponses laconiques et incisives à une interview exclusive. Suite et fin de ces très larges extraits, à l’heure où paraît Yanqui U.X.O.
L’artiste, la musique, le business
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Nous travaillons tous sous une terrible chape de plomb. Et sous la coupe de tous ces gouvernants, qui couchent les uns avec les autres, et qui s’enrichissent chaque jour. Notre labeur alimente tout un réseau qui mène finalement à la production de bombes mortelles. C’est si évident que, dit comme ça, cela apparaît comme un cliché bien ennuyeux. Nous sommes sans illusions quant au fait que la charte qui apparaît au verso de notre dernier disque dévoile une vérité. Nous connaissons tous l’existence de ces relations au sommet.
Le plus triste, c’est qu’il est si facile de les révéler, de les retracer. Elles sont si évidentes. Et pourtant, nous ne réagissons pas. Nous ne manifestons pas. On sait tous que l’industrie musicale est détestable, corrompue, cynique, pleine de lacunes. Et pourtant encore une fois, elle va de l’avant, aveuglément, se gavant de l’agent durement gagné par des individus, mais aussi de leurs espoirs et rêves frustrés. Ne sommes nous pas tous d’accord sur le fait que la musique devrait être libre et que l’argent est toujours le problème fondamental ?
Godspeed et le système
Nous ne pensons pas que Godspeed soit innocent et extérieur à cette économie. Nous sommes, comme tout le monde, dans cette porcherie et nous profitons d’un système que nous détestons. Les contradictions inhérentes à notre quête nous sont douloureusement apparentes. Aucun adjectif affriolant, ni aucun accord parfait ne feront disparaître ces contradictions.
La seule chose qui est en notre pouvoir, c’est d’articuler plus clairement le lieu où s’érige, selon nous, la ligne de front : c’est à dire effectuer des petits pas pour nous sentir un peu moins perdus.
La charte n’est pas, à nos yeux, une manière systématique de pointer du doigt. Nous n’appelons pas au boycott des produits de tous les grands labels (quoique ce ne serait pas si mal), et nous ne sommes pas intéressés par le fait de crier sur tous les toits ce que tout le monde sait déjà.
C’est plutôt une façon d’exposer un état de fait qui se doit d’être souligné, mis en évidence, plus qu’il ne l’est actuellement. Nous sommes bien conscients d’être paresseux, sans vision, coupables. Nous devons tous prendre un peu nos responsabilités et à ce niveau, en tant que groupe, nous merdons tout le temps. Il nous semble que la moindre des choses est celle de faire des choix, personnels et professionnels, avec une certaine lucidité quant aux pattes graissées et aux poches qui se remplissent chaque fois que nous vendons un album.
Se prémunir de l’oppression du système
Ce serait bien si tout ça n’était pas une préoccupation. Ce serait agréable de ne pas stresser quant à l’argent. Ce serait bien aussi si on ouvrait sa gueule plus qu’à l’habitude, même juste pour crier : « Mais qu’est ce que c’est que ce bordel ! »
La seule chose que nous pouvons faire, c’est de demeurer intègres ; de rester le plus loyaux vis-à-vis des sujets qui nous importent vraiment, peut-être attacher des fusées à ces rêves éveillés croiser les doigts’
Habituellement, nous sommes en mesure de résoudre la tension chronique qui peut exister entre un succès modéré et quelques idéaux têtus. Prendre des décisions en tant que groupe exige travail et réflexion. Je crois, qu’à ce niveau, nous nous améliorons. Nous répétons moins les mêmes erreurs. Nous sommes capables aujourd’hui de payer notre loyer avec nos tournées et ça, c’est une bonne chose. En fait c’est la seule chose dont nous avons besoin. Il est plus facile faire des choix sans compromis lorsque vos yeux ne sont pas plein d’étoiles.
Nous souhaitons donc toujours que les gens saisissent un peu de ce que nous avons à offrir, pas comme une vision parfaite ou encore une solution de rock star sanctifiée, mais plutôt pour ce que c’est : une manière de dénoncer le mensonge généralisé que tout le monde finit par vendre, que l’idéalisme est pour les lèches cul et les élitistes. Nous souhaitons aussi que nos disques donnent un peu de jus à ceux qui en veulent ou qui en ont besoin.
Le label Constellation, l’indépendance
La question n’est pas de nous isoler de l’industrie musicale, et nous ne sommes définitivement pas des isolationnistes. Lorsque nous avons débuté dans le milieu, nous avons dû, par nous-même, organiser nos spectacles, construire nos propres espaces de performance, trouver notre propre voie, petit à petit. NOUS N’AVIONS PAS LE CHOIX. Et c’est tant mieux.
L’autonomie est à nos yeux très importante. Nous sommes, en général, très heureux d’être livrés à nous-mêmes. Cela ne signifie pas, construire autour de son jardin des barrières. Notre situation est plus celle d’un jardin abandonné dont personne ne voulait. Alors nous avons construit, de bric et de broc, un petit abri afin de nous protéger de la pluie et de la neige… Nous avons, en chemin, fait la rencontre de confrères avec qui nous avons acheté d’autres matériaux de construction.
Ce qui importe de toute manière, c’est le travail mis en commun. Il faut laisser derrière soi les amères disputes et consolider nos efforts afin que notre uvre résiste et grandisse (voir même s’en détacher juste pour que les semences croissent). Ce sont les valeurs que nous partageons avec Constellation car nous avons la même histoire. Nous sommes heureux aujourd’hui que Constellation sorte le CD et le vinyl ; et que finalement, les champs que nous avons, ensemble, labourées et ensemencées, portent leurs fruits ? Et qu’un tel processus de création commun nous permettent aujourd’hui de regarder de petites fleurs éclorent.
Le futur de Godspeed
Godspeed est né et mourra comme une créature fragile. Pour nous la question n’est pas de savoir si nous voulons mettre un terme au groupe mais si nous avons encore assez d’énergie pour continuer. Chaque album est réalisé comme si c’était peut-être le dernier. Et c’est à la fois sain et bon. Nous avons beaucoup d’estime pour ceux qui ont tracé la voie avant nous et ressentons une forte complicité avec une multitude de gens’ pionnés et contemporains.
Nous considérons ce qui se passe, par exemple, dans l’underground et les lieux de répétitions comme un processus de collaboration ; comme si nous en venions tous aux mêmes conclusions. Nous croyons qu’il est naturel de respecter le travail que chacun effectue dans cette sphère que nous partageons, d’ouvrir toujours plus de chantiers pour nous tous et ceux à venir. Garder la chose sainte. Sainte et ne pas pisser systématiquement sur la tradition. Il est important de garder en mémoire que nous ne sommes qu’une infime part d’une équation infinie, qui prend de l’ampleur, puis se contracte, puis prend de l’ampleur à nouveau.
Propos recueillis par Joseph Ghosn et Pierre Siankowksi
Traduction Anaïs Le Guennec
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