La saison 2 des Revenants arrive enfin, après trois ans d’attente qui ont paru une éternité. Toujours aux commandes, le scénariste et réalisateur Fabrice Gobert est allé au bout de ses idées.
Il y a trois ans, Fabrice Gobert faisait plaisir aux désespérés des séries françaises. Grâce aux Revenants, réussite artistique et publique sans précédent, les mots “style” et “contemporain” retrouvaient leur place sur le PAF.
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Mais ce coup d’essai a failli ne pas connaître de lendemain, tant l’accouchement de la suite a été difficile. Alors que les huit épisodes de la deuxième saison sont enfin diffusés sur Canal+ – et ils sont réussis, cohérents, émouvants –, le jeune quadra fait le bilan d’une immersion longue durée dans la tête de Léna, Camille, Adèle, Simon et les autres…
Tu sors de trois ans de travail intense après la première saison des Revenants. Pour nous, c’était un peu long. Et pour toi ?
Fabrice Gobert – Je me demande toujours pourquoi on n’a pas réussi à trouver la formule plus vite, pourquoi je n’ai pas réussi à convaincre plus vite (il fait allusion à une option de scénario validée seulement après que plusieurs scripts ont été écrits dans une autre direction, responsables de la perte de temps – ndlr). Cette saison ressemble à ce que l’on cherchait depuis le début.
L’évolution du récit est plutôt naturelle. La saison 1 montrait la naissance d’un univers, on s’y installait avec des personnages réagissant à des événements fantastiques auxquels ils n’étaient pas préparés. Dans cette deuxième phase, ils ont assimilé le fait que leur vie a changé après le retour de leurs proches décédés. Léna et quelques autres ne réagissent plus, ils luttent pour réaliser leur désir : vivre avec leurs morts.
Il y a un prix à cela : ils vivent dans un paysage désolé. La bourgade de montagne où se passe la série est devenue une ville-fantôme…
Dès le départ, il y avait l’idée que cette ville ne va pas très bien. Nous sommes allés au bout de l’idée, comme nous l’aurions fait avec un personnage. D’ailleurs, la ville est un personnage. Elle est presque morte. Les jeunes la détestent et ont envie de la quitter. C’est un lieu à la fois familier et en déliquescence totale, comme un corps atteint d’une maladie qui expulse tout ce qui est encore vivant en lui. Métaphoriquement, la ville incarne l’après-apocalypse. La Route, le roman de Cormac McCarthy, a été un modèle. Mais ce qui se passe dans le monde aussi : Fukushima, La Nouvelle-Orléans… Le réalisme reste un horizon.
Dans cette saison 2, le spectateur navigue dans les visions des personnages, notamment l’étrange Victor. Le fantastique a-t-il vaincu le réalisme ?
J’espère que nous restons à la lisière. Les écrivains-références pour moi, comme Edgar Allan Poe et Philip K. Dick, créent des atmosphères. Chez Poe, un décor ou une maison existent à travers un personnage qui va assez mal, dont la vision est biaisée. Cette vision contamine le lecteur. C’est la même chose ici. Le fantastique permet d’être dans la tête des uns et des autres, de rendre concrets leurs cauchemars, leurs pires peurs. C’est une volonté de base des Revenants.
Récemment, la série Mr Robot est aussi entrée à l’intérieur du cerveau malade de son personnage principal, un hacker.
J’ai vu les premiers épisodes que je trouve magistraux. Ils assument totalement cette idée d’entrer qui me semble très actuelle. On ne découvre pas un univers cohérent, comme c’est le cas dans beaucoup de séries – exemplairement le pilote de Mad Men, que j’ai regardé plusieurs fois pour l’étudier. A la place, on pénètre un univers mental. Je trouve cette question passionnante. Avec Les Revenants, nous sommes également dans ce registre, mais j’espère que ce n’est pas trop voyant. Si les intentions se voient trop, cela gâche un peu le goût.
Vous avez construit la narration de la saison 2 sur des flash-backs. Pourquoi ce choix ?
Là encore, c’est un désir que nous avions et que nous avons assouvi parce que c’était le moment. J’ai travaillé les flash-backs spécifiquement avec Emmanuel Carrère, cette idée que le passé lie les uns et les autres et que tout prend sens dans ce qui est arrivé il y a trente-cinq ans – notamment autour de Victor. Le flash-back est une figure narrative hyper classique, presque une figure imposée des sagas estivales qui peuplaient la télé ! Mais je n’avais pas envie de m’en priver, tant elle est riche. Comme l’histoire qu’on avait envie de raconter est celle d’une vallée mais aussi d’un petit garçon qui ne grandit pas, c’était idéal.
Frédéric Goupil coréalise les huit épisodes avec toi, alors que dans la première saison tu signais les quatre premiers épisodes et Frédéric Mermoud les quatre derniers. Ce changement a-t-il été décisif dans la cohérence de la série ?
Pour moi, oui. Pour la saison 1, j’avais dû parfois abandonner la réalisation. Frédéric Mermoud m’avait relayé avec une lecture sensible et personnelle des scénarios, tout en restant fidèle au texte. Mais j’avais l’impression que sur plusieurs scènes les scénarios ne suffisaient pas. J’étais le seul à y voir certaines choses. Avec Frédéric Goupil (assistant-réalisateur de Simon Werner a disparu, film de Fabrice Gobert – ndlr), nous sommes très proches. J’aurais trouvé aberrant de réaliser tous les épisodes car c’est un travail énorme, alors je lui ai fait confiance. Cela a donné des scènes auxquelles je n’aurais pas pensé et qui sont magnifiques. Audrey Fouché, présente à l’écriture mais aussi sur le plateau, a été le référent-scénariste à tous les stades du tournage. Notre but était la cohérence et la fluidité.
La question de la mise en scène est devenue centrale dans les séries. Steven Soderbergh réalise tous les épisodes de The Knick… Pour toi qui viens du cinéma, c’est une bonne nouvelle ?
Avant Simon Werner a disparu, en 2010, j’ai surtout tourné des séries destinées au jeune public pour France 2. On me donnait des scénarios sur lesquels j’avais un droit de regard minimal, mais c’est d’abord par la mise en scène que passait mon expression. Je me suis amusé en voyant ce qu’on pouvait faire d’un script. Même quand je tournais ces séries avec des jeunes en maillot de bain (Cœur océan, notamment – ndlr), il y avait une approche spécifique, un style par réalisateur. Donc cette problématique était présente en moi depuis le début.
Je n’ai jamais opposé télévision et mise en scène. C’est dommage de se dire que la réalisation doit être moins intéressante en télévision qu’au cinéma. Sur Les Revenants, on a utilisé une seule caméra, par exemple. Souvent, à la télé, on tourne à deux caméras pour aller plus vite. Dans les séries que j’aime, comme Six Feet under et Les Soprano, la réalisation est très importante, la direction d’acteurs aussi. D’un autre côté, il y a quelque chose d’aberrant à imaginer qu’un scénariste va passer deux ans à écrire huit épisodes et que d’un coup il passera le relais à un réalisateur.
Celui ou celle qui a façonné les personnages et les situations doit avoir son mot à dire sur la façon dont ils se concrétisent, sur le choix des acteurs, les décors… Si on écarte les scénaristes, on peut passer à côté de l’essentiel sur une série. Je ne dis pas que Les Revenants constituent un modèle, car j’ai été à la fois auteur et réalisateur. Mais il faut une seule et même personne au début et à la fin du processus.
A part l’écriture, quels ont été les obstacles à surmonter cette saison ?
Quand nous avons vu les premiers montages, nous n’étions pas satisfaits. A cause du nombre de personnages difficile à gérer, les histoires ne fonctionnaient pas toujours les unes par rapport aux autres. Ma compagne, Valentine, regarde Game of Thrones. Connaissant mon problème, elle m’a suggéré de m’intéresser à leur méthode : ils consacrent des blocs au même personnage, parfois quatre séquences à la suite avant de passer à un autre. Nous avons essayé et cela a marché !
C’est ton style que l’on reconnaît dans Les Revenants, une façon d’habiller les personnages, un esprit gothique et new-wave… Il vient d’où ?
Les producteurs sont venus me chercher parce qu’ils avaient bien aimé Simon Werner a disparu. Ils m’ont demandé de créer une ambiance proche. J’ai travaillé de nouveau avec la styliste Bethsabée Dreyfus. Il était important que les costumes soient identifiables, presque comme une panoplie. Ils racontent quelque chose, de la même façon que les décors. Les décorateurs sont d’ailleurs les mêmes que sur mon film car nous avons des goûts en commun.
Cela ne dit pas exactement d’où viennent tes obsessions… Dans quel univers as-tu grandi ?
L’aspect autobiographique de Simon Werner a disparu, c’était les domaines pavillonnaires de région parisienne où se situait l’action. Dans la deuxième saison des Revenants, nous avons tourné à dix kilomètres de l’endroit où j’habitais. Ces univers visuels correspondent à mon adolescence. J’ai l’impression que pour mon prochain projet je m’éloignerai des pavillons, des bombers et des sweats à capuche… Je n’irai probablement pas vers le fantastique. C’est difficile pour moi de répondre davantage à cette question. Je n’ai pas l’impression de chercher à produire un univers. Je ne me rends pas toujours compte de la logique interne de ce que je fais.
Quelle est ta cinéphilie ?
Le fantastique n’est pas ce qui m’intéresse en premier, même si j’adore Cronenberg ou les premiers films de M. Night Shyamalan. Mais ce ne sont pas des références pour Les Revenants. Dans ma vie de spectateur, je préfère essayer de voir un maximum de choses. Dans les dix dernières années, un film m’a particulièrement marqué et me hante encore : The Host de Bong Joon-ho. J’ai adoré comment le fantastique peut transformer la perception qu’on a de la réalité, comment on peut parler de la famille et de la paternité en faisant un film de monstre.
The Host est à la fois un sacré film de monstre et un sacré film tout court, un spectacle fou et un récit d’une finesse incroyable qui me transporte de bonheur, comme Mad Max Fury Road me transporte de bonheur parce que c’est un film d’action et autre chose qu’un film d’action, sur les personnages, la puissance du récit. J’aime aussi beaucoup Hong Sangsoo, dans un style différent, même si je n’ai pas vu tous ses films puisqu’il en tourne un par an au minimum… En général, j’ai une curiosité pour les films plus que pour les cinéastes.
Un article paru cet été dans le mensuel Vanity Fair était illustré par une image de Victor, l’un des personnages de la série, avec le titre : “Cet enfant peut-il sauver Canal+ ?” A défaut de sauver la chaîne cryptée, Les Revenants peuvent-ils sauver la fiction française ?
Il y avait des séries françaises intéressantes avant nous, comme Engrenages ou Pigalle. Ainsi soient-ils est arrivée en même temps. Les diffuseurs commencent à laisser des auteurs s’emparer d’un sujet qui n’est pas obligatoirement une enquête policière, ou alors de manière décalée comme P’tit Quinquin. A titre personnel, on m’a fait confiance, même si cette confiance est très difficile à gagner et se trouve sans arrêt remise en cause. Il faut se battre pour que les épisodes ressemblent à ce qu’on a dans la tête.
Mais comme Les Revenants a été un succès, on comprend qu’on peut être payé en retour quand on laisse un auteur s’exprimer. Je n’ai peut-être pas une liberté absolue, on n’est pas au cinéma, mais quelque chose se passe. J’ai aussi le sentiment qu’à l’étranger des gens qui ne regardaient jamais de séries françaises s’y sont intéressés grâce aux Revenants et à d’autres. Engrenages marche bien en Angleterre depuis longtemps.
Certains producteurs m’ont aussi dit que grâce au succès des Revenants, on leur demandait de ressortir de vieux projets de séries fantastiques qui tout à coup devenaient hype… Je ne peux pas analyser toutes les répercussions, mais j’ai perçu énormément de bienveillance. J’ai trouvé que cela montrait une soif d’aimer nos fictions françaises, comme on a envie d’aimer notre équipe de France de basket !
Tu parles beaucoup des Revenants au passé. As-tu pris une décision sur la suite ?
Après cinq années d’immersion, j’ai envie de couper un peu. Ceux qui verront la nouvelle saison en entier constateront que le récit clôt l’histoire entamée avec la saison 1. Une troisième saison est possible, elle peut être passionnante , il y a des personnages que j’adore, une idée de base formidable. Je ne veux pas fermer la porte. Mais il faudra vraiment être persuadé qu’il y a de belles histoires à raconter et pour l’instant, je n’ai pas eu le temps de m’y pencher.
On pourrait imaginer un format anthologique, avec une nouvelle histoire par saison.
C’est vrai. C’est le cas de certaines séries comme American Horror Story ou True Detective… Mais comme nous n’avons pas réussi à enchaîner entre les deux premières salves d’épisodes comme on aurait voulu, j’évite les effets d’annonce. Je n’ai pas encore pris de décision. Il faudra déjà savoir si le public a envie de se replonger dans cette histoire.
Les Revenants, chapitre 2 chaque lundi, 20 h 55, Canal+
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