Fondateurs du label montréalais Constellation, Don et Ian reviennent sur une aventure unique, qui accueille les expériences sonores les plus passionnantes du moment (dont celles de Godspeed You Black Emperor! qui sort son petit dernier, Yanqui U.X.O.), en marge du music-business.
La naissance de Constellation
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ian : Je suis arrivé de Winnipeg au début des années 90, et n 1991, j’ai fondé un groupe, Sofa. Il n’y a pas grand chose à dire sur Sofa si ce n’est que nous composions une musique angulaire, étrange et rock. Nous avions tous des boulots de merde dans le groupe. Nous vivions sur le « Bien-être Social » (RMI). Personne n’avait d’argent. Alors nous avons commencé à jouer à droite et à gauche mais la chose était difficile et ce, particulièrement au début des années 90. C’est que la scène montréalaise était contrôlée par les propriétaires des clubs qui ne considéraient que l’aspect pécuniaire de leur entreprise. Toute production exigeant un certain laps de temps pour se développer était ignorée. Cette situation frustrante a nourri les conversations de Don et moi-même, aux alentours de 1995. A l’époque, Don avait un boulot qu’il détestait dans le secteur médical. Nous nous sommes rencontrés au sein du milieu rock underground montréalais : nous étions d’accord sur l’existence de quelques groupes de talent à Montréal, en marge de toute la frénésie qui avait suivi la mort de Kurt Cobain et la fin de Nirvana. Tous les autres groupes ne cherchaient qu’à obtenir un contrat de l’industrie. Nous étions frustrés de constater l’absence totale de labels et d’infrastructures locales, de soutien de la part des clubs, qui n’avaient rien à foutre des groupes alternatifs. Mais ce qui nous préoccupait le plus, c’était l’absence de véritable lieu de performance. Nous évoquions donc les possibilités de contribuer à la mise en place d’une infrastructure montréalaise permettant de donner forme à toute cette production musicale indépendante. L’idée initiale était donc d’ouvrir un lieu de performance même si nous savions qu’un label pouvait évoluer en ce sens. 6 ans après, nous avons réalisé ce projet.
Les bases musicales
Don : Joy Division demeure notre plus grande influence commune. J’ai grandi dans un environnement culturellement pauvre : la côte est de la Nouvelle-Ecosse. J’étais donc peu exposé à ce genre de musique. La découverte de Joy Divsion a été déterminante. C’est la première chose qui m a vraiment bouleversé au niveau musical.
Ian : Joy Division a été une influence majeure, d’accord avec Don. Surtout à l’époque où je jouais dans Sofa. Comme nous, ils ne savaient pas jouer de leurs instruments… Ou disons plutôt juste comme moi (rires). Un groupe comme Fugazi a été aussi une source d’influence. Dans l’ensemble, nous aimions beaucoup les mélodies du post-punk américain. Mais pour les paroles ou l’atmosphère, nous préférions l’aspect sombre des productions britanniques. Les deux premiers disques de Sofa, qui ont ouvert le catalogue Constellation, sont d’ailleurs dans cet esprit.
Les premiers disques du label : Sofa, Godspeed, Exhaust
Ian : Il y a avait 4 ou 5 groupes « fondateurs » lorsque le label a été mis en place : Sofa, Exhaust, Godspeed You Black Emperor ! ? Suivre l’évolution de ces groupes est ce qui nous intéressait le plus. Dès le printemps 1997, lors de la sortie des deux premiers disques de Sofa, nous savions déjà que Godspeed allait enregistrer son premier album. Exhaust se produisait à travers la ville, et le faisait de façon remarquable. A part Sofa, qui n’existe plus, ces groupes sont toujours sur Constellation, et adhérent toujours aux valeurs du label. Pour nous, c’est déjà une petite victoire.
Constellation, label engagé
Ian : Pour donner un exemple, un groupe peut effectivement composer une musique que nous apprécions beaucoup, mais nous refuserons toutefois de le produire si cette musique n’est qu’une étape avant d’atteindre son dessein ultime : celui de devenir « star » du rock . Ceci, à l’évidence, n’entre pas dans notre vison des choses. Par ailleurs, nous ne cherchons pas à ce que les créations proposées prêchent quoi que ce soit.
Don : Je crois que nous avons cette capacité à reconnaître les moments de « dangereux glissements » lorsqu’ils se présentent. Et ils se présentent constamment. Il serait souvent trop facile de dire « oui » aux évènements, aux choses mais je crois nous avons cette lucidité qui nous permet d’en débattre et de dire « non ». Et plus on s’habitue à ce genre de résistance, et plus il devient facile de dire « non ». Nous n’affirmons pas par là que nous sommes irréprochables. Nous merdons nous aussi. Mais à ce point, je crois que nos principes communs sont suffisamment forts. Cela fait plus de 5 ans que nous travaillons sur notre label… et ce travail est un labeur quotidien, spécifique, vous tentez à la fois, oui de vendre des disques ; faire que les musiciens conservent l’espoir peut-être pas de vivre de leur passion, mais au moins de financer leur prochain effort .. Ce sont des centaines de conversations, de négociations et ainsi de suite. Mais la moitié de la bataille demeure celle de mettre en place un travail de groupe afin de construire un système de distribution par exemple. Nous avons eu la chance de rencontrer des distributeurs compatissants, sincèrement réceptifs à nos principes. Encore une fois, j’aimerais souligner qu’il est vrai que nous avons signer un manifeste en 1997 lorsque nous avons débuté le label mais nous avons aussi fait des compromis. Ils s’inscrivent dans un processus. Chose importante : notre fin n’est pas le nombre de disques que nous réussissons à vendre. Et ceci représente la problématique majeure du marché en général.
L’Ecole de Francfort comme influence théorique
Ian : Personnellement, j’aime beaucoup Adorno. Vous savez, aucun de nous n’est très érudit dans ce domaine. Mais malgré tout, les textes que nous avons pu rencontrer, particulièrement depuis la création du label… J’étudiais auparavant philosophie. Je n’ai jamais terminé. Mais j’ai fait pas mal de lectures traitant de l’art, de l’esthétique etc. en des termes très théoriques et abstraits. Et la chose intéressante pour tous deux, depuis que nous avons commencé quelque chose de « non-abstrait », est de mettre ce savoir en pratique. Il était donc important pour nous, et particulièrement en entretiens, lorsqu’on nous interrogeait sur les principes en action ici, d’en rattacher certains, aux écrits théoriques qui nous avaient influencés. Adorno est une des seules figures, dans cette sphère des théoriciens culturels, avec lequel j’étais familier. Je pense aussi qu’il est un écrivain admirable. Dire que qu’il y a un intérêt permanent dans certains de ses écrits, lire son influence dans certaines de nos réponses est tout à fait exact. Je n’ai aucun problème à le confirmer ou à dire « Oui, allez-y, lisez Adorno ou les autres théoriciens de l’Ecole de Francfort« . Mais bon, on n’a pas débuté avec des théories sur la production culturelle et ensuite à vouloir les traduire concrètement. A nos débuts, il fallait lutter pour s’imposer auprès des distributeurs ; aujourd’hui, il faut discuter avec les groupes pour clarifier la manière dont vous souhaitez travailler. Les préoccupations étaient et sont donc pragmatiques puisqu’elles étaient et demeurent directement liées au fonctionnement de l’industrie musicale, même indépendante. Notre résistance à certaines tendances de l’industrie se traduit par la manière dont nous diffusons, travaillons, mettons en forme avec efficacité le matériel.
Constellation, label ancré à Montréal
Ian: Oui, la plupart des musiciens avec qui nous travaillons ont cette « saine méfiance » par rapport à l’idéal d’une collaboration internationale. Bien entendu qu’une collaboration dépassant les frontières détient une certaine valeur. Mais cette tendance devrait être critiquée chez certains labels. Encore une fois, ce genre de comportement véhicule et fait persister l’illusion que tout va bien, que les collaborations sont simples. Ce discours alimente cette célébration d’un manque d’efforts à l’échelle internationale. En fait, on parle ici de gens extrêmement privilégiés qui suggèrent un modèle de production qui n’est pas accessible à tous. Lorsque cette notion de collaboration internationale est mise en doute, on peut dès lors s’intéresser aux musiciens locaux, sous-exposés et ce, devant votre nez. On peut aussi critiquer Constellations pour ces choix. Il y a beaucoup de créations musicales que nous trouvons inspirantes, ici à Montréal. Il n’empêche que nous devons faire des choix. Nous ne produisons pas tout.
Don: Cette nécessité de faire des choix a pour nous été une révélation. Nous avons grandi en réalisant que si nous voulions travailler comme il nous semblait, il y avait peu de projets dans lesquels s’impliquer. Je crois qu’une année, nous avons exceptionnellement six disques. La plupart du temps, nous produisons quatre ou cinq disques. Nous n’avons pas la capacité de produire plus. Sinon, nous devrions omettre certains aspects qui nous tiennent à c’ur. Nous souhaitons simplement faire vivre notre label selon nos principes, et pour l’instant, la meilleure façon de le faire, c’est de se centrer sur la scène montréalaise, et canadienne de façon un peu plus générale.
Godspeed You Black Emperor !
Ian : Peut-être faisons nous moins de choses pour Godspeed que pour les autres groupes du label. Ils sont toujours en tournée. S’ils ont tant de succès, c’est qu’ils ont travaillé et combattu comme des acharnés ! Je crois qu’ils sont encore stupéfaits du succès qu’ils connaissent, voir même qu’ils en sont parfois répugnés. Evidemment nous traitons tous les groupes de la même manière. Nous faisons en sorte que chaque sortie de disque reçoivent la même attention. Aujourd’hui Godspeed est entré dans un processus. 80 % de notre travail et celui du groupe consiste à demeurer vigilant quant à la représentation du groupe. Nombreux sont les gens qui souhaitent utiliser la musique du groupe pour leur film, quel qu’il soit, et qui en plus croient nous offrir des opportunités incroyables !
Le futur de Constellation
Ian : Nous pensons, entre autres, à un support écrit qui pourrait exister harmonieusement aux cotés de notre label. Peut-être aussi réaliser des évènements dans les rues… Nous pensons que nos choix, dans le contexte de l’industrie musicale, sont déjà substantiels et sérieux. Constellation, aujourd’hui rentable, permet l’émergence d’initiatives qui ne sont pas musicales. Car tout projet demande à la base un peu d’argent. Notre projet serait donc de devenir un modèle plus polyvalent. Mais actuellement, nous cherchons à être plus articulés en ce qui concerne le dialogues politique
Traduction : Anaïs Le Guennec
{"type":"Banniere-Basse"}