RJD2 connaît le blues et la soul sur le bout des doigts, Beth Gibbons joue un folk blues moderne et David Lynch présentait son album de Blue Bob. Seul Katerine jouait le kaleidoscope de couleurs pour cette avant-dernière parisienne du festival Les Inrocks/Orange le 11 novembre.
Lundi, armistice, les vieux combattants remplacent les jeunes loups hip-garage. Les vapeurs de liqueurs rythmiques fournies par Ms.Dynamite dimanche réchauffent encore les veines, les phéromones répandus jusque dans le red-district voisin de la Cigale par les sexy Streets restent aussi scotchés quelque part dans le bas du ventre, mais bon aujourd’hui, il faut passer l’éponge sur les sons hype pour sommets de charts anglais et s’ouvrir à la musique d’orchestre de nos trois grands invités du soir.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Certains pensent que cette nuit à l’Olympia atteindra des sommets’ ils auront raison a posteriori. Mais en hors d’ uvre, la soirée commence seulement par attirer des sommités. Celles du monde politique d’abord avec Jack Lang qui serre des louches à la pelle backstage comme au Barbecue de l’Elysée, tandis que celles du monde de la télé, avec entre autres fans de Lynch, Jean-Yves Lafesse, soignent leur image branchée
Y a pas de mal. Le reste du peuple, habillé comme on va au bal, pense se mouvoir tôt sur RJD2 mais pour mon cas, c’est tranquillement que je le regarde mettre l’ambiance par écran interposé. RJ the DJ travaille l’enchaînement avec classe, ça se voit même du fin fond des coulisses où je commence à désespérer de ne jamais entendre qu’un peu de fond sonore. Hop RJD2 appuie sur la touche Stop de ses pick-ups, ce n’est rien, il repassera après Blue Bob et ça n’en sera que meilleur.
C’est l’heure de s’envoyer au 8ème Ciel, avec Katerine. L’éternel jeune beau est beaucoup plus pro qu’à ses débuts. L’Olympia lui va à ravir, une dizaine de jours après le passage de Christophe, il est l’un de nos plus crédibles concitoyens. Le son de guitare de Philippe Eveno aboie dans une forme de wah-wah rigolo et coloré sur la chanson générique du nouvel album.
Fifi le Vendéen maîtrise ses maux de ventre, en balançant quelques jokes sur le nombre impressionnant de convives, lance des cartons de sa petite voix du genre « rendez-vous en 2010 à la gare Montparnasse, on aura plus de place « . Justement, j’aimerais bien savoir ce que sa musique hors du temps signifiera pour tous ses admirateurs dans sept ou huit ans. La déco jaunit, le son rajeunit, nous voilà dans une tapisserie 70 s, Le Soleil Suffit sublime, sur un léger tempo bossa, nous rappelle le Paris du petit matin lumineux d’après nuit blanche.
Katerine a pris du corps, comme une bonne bouteille, il grandit avec l’âge, sait s’entourer. Au contact de ses musiciens, The Recyclers, Katerine donne une grande dimension à ses nouvelles chansons. Elles semblent faites pour rester gravées dans le marbre comme dans le vinyle, un peu comme pour Gainsbourg. En tous cas, finis les Jeannie Longo, Je vous Emmerde, Copenhague et les autres tubes synthétiques, électriques ou dépouillés, qui par le passé ne sonnaient pas aussi justes sur scène que sur disque.
Aujourd’hui, Katerine possède un groove live style James Brown au ralenti sur Les Grands Restaurants, et cette sympathique délicatesse désuète dans les textes du funky Etoiles, très amusant à voir sur scène. Dans l’ensemble, je ne suis pas le seul à jouir de cette ambiance feutrée, de la texture du son et de l’allure de l’orchestre. Les spectateurs l’encouragent à se surpasser. Et ça marche ! Où Je Vais la Nuit est la merveille pop de la soirée, parfaite bande son pour un petit film érotico-personnel que Katerine aurait tourné dans sa tête et traduit en chanson.
Erotique aussi, l’entrée en matière de Beth Gibbons, aussi charmante qu’au premier jour de l’ère Portishead. On ne peut parler de carrière solo pour la moitié du groupe trip-hop le plus convaincant de ses dernières années avec Massive Attack. Beth Gibbons nous envoie à la figure des rayons de soleil vocaux, des chuintements délicieux dans ses fins de refrains. Hésitante à entamer la discussion avec son public parisien, elle se contente d’emmener les spectateurs dans son univers sentimental chargé sans commentaires. Beth n’est vraiment pas faite pour jouer les speakerines.
Sa voix parfois cristalline se mélange à la contrebasse rustique de l’orchestre géré avec discrétion par Paul « Rustin Man » Webb. Le décollage dans l’imaginaire Gibbons s’opère en deux temps, la première partie du concert nous fait découvrir des recoins de refrains épurés et des montés légèrement relevés d’instruments harmonieux.
Seconde partie, Beth échauffée, pousse plus qu’elle ne pause sa voix sur un lit musical plus rock, qui nous tiendra en haleine jusqu’au bout. Pas une seule fois, l’interprétation des morceaux d’Out of Season n’aura provoqué en nous un flashback nostalgique de la première fois (la meilleure ?) avec Portishead. Il y a donc une vie après le groupe, ou plus exactement à côté du groupe.
Le clou de la soirée, le festin de David, ou la parfaite demi-heure de concept blues-punk, grand moment de rock’n’roll moderne, grande tragédie-rupture de mythe pour d’autres. Aussi juste que les cordes pincées par ses soins pour accoucher d’absolues stridences et d’inquiétantes distorsions dans les bande-sons de ses films, Lynch, guitare électrique sur genoux comme Ben Harper, tapote, de ses phalanges, la partie haute de son manche.
Bruits désespérément noyés dans la masse parfaitement dosée de Blue Bob, mais peu importe, il est là dans son costume sombre, sa tignasse rehaussée d’une gomina de rock-star qu’il a pris l’habitude de plaquer depuis longtemps sur son poil poivre-sel, le charme absolu, la classe divine, David Lynch est ravissant.
Le chanteur John Neff alterne les chants religieusement avant-gardistes sur de la musique d’ambiance jazzy bleue-noire à la Blue Note, avec une série de courtes parodies de walking blues originales et entraînantes. David Lynch n’a pas fait honneur au reste de Blue Bob et au public du festival des Inrocks d’agrémenter le show de quelques-uns de ses courts-métrages rares en toile de fond. Non, Lynch est là pour la musique et ça se voit ! Concentré jusqu’à paraître effacé, le réalisateur de Lost Highway rappelle dans cette attitude de retrait qu’il respecte les musiciens, les siens et ceux qu’il a choisis pour accompagner sa filmographie.
Sur le côté gauche de la grande scène de l’Olympia, Lynch semble méditer sur deux ou trois sons qu’il reproduit sur des variantes de rythmes différents d’un morceau à l’autre. Le public semble même raffoler de l’obscure tentation ? l’espace d’un morceau – floydienne de Blue Bob, comme quoi introduire au rayon BOF des éclairs du Pink Floyd beauf période Gilmour peut passer comme une lettre à la Poste.
Le fan des bande-sons Badalamenti-Lynch regrettera, quand même un peu, l’absence de traces mélodieuses pop chez Blue Bob. De Mulholland Drive à Lost Highway en passant évidemment par Sailor et Lula, les hits lynchiens se sont succédés, de la chanson sucrée et vieillotte (normal vu sa date de sortie) de la chanteuse lollypop Linda Scott aux brillantes manifestations lyriques de ses acteur-chanteur (Nicolas Cage) ou de chanteur-acteur (David Bowie), Lynch nous a gâtés, mais rien dans la prestation de John Neff, la voix de son maître ne semble montrer une quelconque envie de chanter du blues-pop facile à retenir.
Le rappel vient de s’achever, plus de vingt-cinq minutes de concert, les Parisiens semblent surpris, David a déguerpi. Le public croit à une farce, au concert-concept en deux parties, aux décors différents. Rien de tout ça, le côté expéditif du concert ne semblait pas exceptionnel, il ne fallait y voir que le côté malin d’un artiste qui fait ce qu’il veut et surtout ce qu’il peut (le répertoire live de Blue Bob n’est certainement pas extensible). Après, un concert si beau et si court, c’est ce que pouvait nous offrir de mieux un réalisateur si doué pour effacer la notion d’espace temps à l’écran.
Les huées sévères de ceux qui en voulaient pour leur argent m auront du coup définitivement privé du retour prévu de RJD2. Me reste la platine pour me consoler avec Your face or your Kneecaps.
{"type":"Banniere-Basse"}