Le performeur Yan Duyvendak revient à Actoral avec un musical très politique, Sound of Music. Il raconte sa nouvelle création, son parcours et ses choix artistiques.
Ton site s’ouvre sur cette phrase : “Créer, c’est résister.” Elle résume ta démarche ?
Yan Duyvendak – Elle vient de l’appel lancé en 2004 par des anciens du Conseil national de la Résistance, dont Stéphane Hessel, qui a écrit ce très beau texte, Indignez-vous ! Que la Résistance soit considérée comme une création et qu’on ne dise pas qu’il faut casser pour résister, je trouve ça génial. Je change régulièrement de phrase sur mon site, mais c’est toujours sur l’engagement politique.
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Selon toi, qu’est-ce qui distingue un spectacle d’une performance ?
La question de l’appellation ne m’intéresse pas vraiment dans mon travail. Je change le rapport au spectateur de manière performative ou théâtrale en fonction du sujet. Please, Continue (Hamlet) * semble le plus théâtral de tous mes projets, mais bizarrement, c’est le plus performatif. Il y a un “score”, une prescription, comme dans les performances de Fluxus. Cette prescription est fondée sur une instruction réelle et sur les trois premiers actes de Hamlet. Je la donne à des professionnels de la justice trois semaines avant le début du projet et ils s’en emparent pour produire un procès. Il n’y a pas de répétition et ils se débrouillent à partir de cette prescription. C’est totalement performatif.
Quand tu fais une performance, tu es ton propre médium et tu te mets en jeu sans passer par un personnage ?
Je m’engage dans mon travail en tant qu’auteur et en tant que sujet. C’est devenu intéressant avec le projet Made in Paradise 1 autour de l’islam, de l’Occident et du capitalisme. On était vraiment coincés par le débat et les clichés sur le “choc des civilisations”. La seule manière d’en sortir a été de devenir extrêmement subjectif, en utilisant la rencontre avec Omar Ghayatt, performeur égyptien, musulman. Au début, il était paniqué à l’idée qu’on se serve de lui pour donner l’image du mauvais musulman, et moi je le soupçonnais d’être paresseux. On a pu se rendre compte à quel point les a priori sont ancrés de part et d’autre… En fait, c’est à partir de Made in Paradise que l’autre est apparu directement sur le plateau.
Y a-t-il une différence entre les premières performances liées à des objets culturels, à la médiatisation et celles liées à la rencontre avec l’autre ?
Oui et non. Ce sont toujours des figures médiatiques qui m’intéressent et la question centrale reste : qu’est-ce que j’apprends par les médias sur le monde et comment je résiste et je vis avec ça ? Mais le 11 septembre 2001 a été un déclencheur de changement. Je me suis dit : il faut arrêter de rigoler. Y compris pour ma création, Sound of Music, une comédie musicale sur la fin du monde.
Sound of Music parle aussi de la crise interminable qu’on vit depuis 2008.
C’est le point de départ. Le premier article que j’ai gardé de Libération date de 2007 et il annonçait la crise de 2008 en analysant les hedge funds. Après, j’ai gardé des tonnes d’articles en me disant qu’il fallait en faire quelque chose. Celui qui m’a le plus marqué, c’est le rapport 2014 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat commandité par les Nations unies et signé par une centaine de scientifiques de nationalités et de formations différentes. C’est vraiment très anxiogène, violent et, bizarrement, c’est relativement passé sous silence. Dans les scénarios étudiés par ces scientifiques, ils prévoient, si on ne change rien à notre consommation d’énergies fossiles, un effondrement de tous les systèmes écologiques, donc la fin de la vie sur Terre, pour 2100. D’autres études, publiées par la FAO (Food and Agriculture Organization) des Nations unies et par Lloyd’s, un marché de l’assurance, estiment que toutes les conditions sont en place pour que la civilisation humaine s’effondre d’ici 2040. C’est dans vingt-cinq ans…
Comment s’est organisé le travail avec l’ensemble des collaborateurs de Sound of Music ?
Cela s’est fait de manière relativement organique. Je voulais que quelqu’un s’empare de tous ces articles, et j’ai tout de suite pensé à Christophe Fiat, qui a une écriture brechtienne qui problématise mais n’est jamais dans l’émotion. On a pris certains textes pour en faire des chansons enjouées mises en musique par Andrea Cera, un musicologue très pointu qui se fond dans tous les modèles musicaux qu’on lui propose.
Tu as confié la chorégraphie à Olivier Dubois ?
Je voulais travailler avec lui parce qu’il sait amener les gens dans une sorte de transe collective. On a défini une série de gestes iconiques de la comédie musicale en demandant aux douze danseurs avec qui on travaille de nous proposer chacun cinq gestes. Ce sont de “vrais” danseurs de Broadway qui viennent de Hambourg, où la comédie musicale est très forte.
Y a-t-il une trame narrative ?
Toutes les premières comédies musicales des années 30 parlent de danseurs qui n’ont pas d’argent pour produire une comédie musicale et se débrouillent pour faire quelque chose, les backstage musicals. Et ils font le spectacle dans les vingt dernières minutes. J’ai découvert que ce concept, consistant à travailler à partir d’articles du monde réel, a déjà été fait en 1933 dans As Thousands Cheer d’Irving Berlin et Moss Hart. Mais dans une comédie musicale, il y a forcément un happy end. Dans Sound of Music aussi… C’est une danse de la pluie, pour conjurer le sort.
* cosigné avec Roger Bernat
Sound of Music, conception et direction artistique Yan Duyvendak, les 24 et 25 septembre à 21 h au Théâtre du Gymnase à Marseille
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