Slowdive se reforme cette année et sera notamment à l’affiche des festivals Primavera et Villette Sonique. Un bon prétexte pour revenir sur le parcours d’un des groupes majeurs des années 90.
Durant sa courte existence, on ne peut pas dire que Slowdive ait vraiment caracolé en tête des charts, ni même particulièrement plébiscité la critique. Dave Simpson du Melody Maker eut d’ailleurs cette formule lapidaire en parlant de leur album Souvlaki : « Je préfèrerais m’étouffer dans un bol de porridge plutôt que de devoir écouter ce truc une deuxième fois ». Typiquement anglais, donc. Mais si le groupe polarisa à l’époque l’opinion, la donne est aujourd’hui différente : au fil des années, son aura et son influence n’auront eu de cesse de grimper, et atteignent aujourd’hui des cimes inespérées.
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Un retrait plus viscéral que calculateur
Lorsque Slowdive fait son apparition sur le circuit indépendant au début des années 90, les deux membres principaux Neil Halstead et Rachel Goswell, amis depuis l’enfance, se partagent le chant sur une majorité de titres, tandis que Halstead se charge de l’écriture et de la composition de la plupart des morceaux. Dans le sillon de groupes comme My Bloody Valentine ou Ride, le groupe propose alors une musique dans le plus pur style shoegaze (devenu depuis un véritable genre musical à part entière, il désignait les groupes plus habitués à regarder leurs chaussures pendant les concerts – en réalité leurs pédales d’effet au sol – qu’à assurer le show et à haranguer la foule).
Slowdive vient donc de cette veine-là, d’une génération qui considérait le jeu de scène exubérant et la déification des artistes d’un œil méprisant. Une génération qui voulait recentrer le débat autour de la musique, et qui pensait que la notion même de rockstar n’avait pas lieu d’être. Cette posture n’avait cependant peu à voir avec de l’arrogance : profondément timide, dans une volonté de retrait plus viscérale que véritablement calculatrice, le groupe cristallisait malgré lui certaines passions. Les yeux dans le vague ou rivés sur les pédales, le refus de jouer le jeu du rock’n’roll circus trahissait malgré tout une attitude frondeuse qui ne pouvait, de fait, faire l’unanimité.
Le groupe sortit son premier EP en novembre 1990, faisant la synthèse des tendances de l’époque, dans une assimilation dream-pop/distorsion idoine. La chanson-titre, Slowdive, issue de leurs premières démos, faite de couches de guitares abrasives et de déclamations rêveuses, directement accrocheuse avec sa rythmique obsédante et son riff de guitare joué en boucle, posa les bases d’un son directement identifiable. La critique s’emballa d’ailleurs pour ce coup d’essai, et Simon Williams du NME de déclarer : « Slowdive fait s’effondrer la barrière de la créativité. Quand ils se lâchent vraiment, ils font sonner Cocteau Twins comme Mudhoney ». La suite fut malheureusement plus compliquée.
http://youtu.be/HU6TDgqFXbc
Un pouvoir de fascination grandissant avec le temps
Le groupe, auréolé de ce succès, sortit son premier véritable album Just For A Day en septembre 1991. Globalement massacré à sa sortie, Slowdive en garda des séquelles durables, et ce désamour influa notablement sur le processus de création du second album. A l’époque, on reprochait au groupe d’avoir délaissé les guitares abrasives du premier EP et de s’être débarrassé des distorsions au profit d’une identité sonore plate et sans grande inventivité.
Pourtant, lorsqu’on écoute aujourd’hui des chansons comme Catch the Breeze ou The Sadman, il est difficile de ne pas s’incliner devant la beauté surréelle d’une musique éthérée, sibylline et infiniment précieuse, car fuyante. Si la patine du temps a eu la main lourde sur une partie de la vague shoegaze depuis (poses maniérées d’un côté, atermoiements geignards de l’autre), la musique de Slowdive à quant à elle gagné en pouvoir de fascination. Cela est-il dû à la part insaisissable d’un groupe qui ne rencontra pas véritablement l’écho qu’il méritait pendant ses années d’activité?
Souvlaki, l’album qui aurait dû inverser la tendance, sorti deux ans après Just For A Day, fut littéralement mis en pièce par une partie de la presse spécialisée. Plus ouvertement pop que son prédécesseur, produit par Brian Eno (grand amateur du groupe) et porté par des chansons sublimes d’évidence telles que Alison ou When The Sun Hits, l’album n’attira guère les foules, peu aidé en cela par une campagne de promotion tout bonnement lamentable.
S’en suivit Pygmalion, troisième et dernier album du groupe, élégie languissante fortement influencée par l’ambient-music de l’époque. Plus radical et expérimental que le reste de leur discographie, c’était comme si le groupe avait avec cet album sciemment renoncé au succès qui l’avait de toute façon fui jusqu’alors. Il en résulta une musique solennelle et sépulcrale, moins axée sur les nappes de guitares étirées et atmosphériques qu’auparavant, orientant désormais son propos sur les silences et l’inquiétude feutrés. Conséquence directe : une semaine après la sortie de l’album, le groupe était lâché par son label. Faute de moyens et de reconnaissance, il se sépara peu de temps après dans une indifférence quasi-générale.
http://youtu.be/ICFPdYuleME
Vers une réhabilitation en bonne et due forme ?
Aujourd’hui, Neil Halstead s’en défend, mais si Slowdive se reforme, c’est peut-être parce que le groupe a quelque chose à prouver. Plus que pour des considérations pécuniaires, c’est avant tout un statut qu’il se doit de reconquérir. Longtemps considéré comme le mouton noir d’une scène qui n’a eu de cesse d’étendre son influence, le groupe a aujourd’hui une carte à jouer à l’heure où tout un pan de la musique indépendante se réclame de son héritage (de la chillwave à Beach House en passant par Deerhunter ou même The Field, on retrouve l’influence du groupe de Reading sur à peu près tout). Slowdive se serait d’ailleurs reformé en vue d’enregistrer de nouvelles chansons, les concerts prévus pour cette année étant programmés uniquement dans le but de financer leurs éventuels prochains enregistrements.
http://youtu.be/2INLBsRYVBs
Va-t-on assister à l’une de ces nombreuses reformations essentiellement motivées par l’argent, un de ces groupes qui promettent d’enregistrer de nouvelles chansons mais qui ne font que capitaliser sur leurs anciens succès ? On pense notamment à Blur ou à Jesus & Mary Chain, deux autres groupes majeurs des années 90 qui écument depuis des années les festivals et qui semblent se contenter de se reposer sur leur ancien catalogue plutôt que de sortir de nouveaux albums (ok pour Blur, on ne sait jamais véritablement ce qu’il se passe). Mais pour Slowdive, la donne est différente. Comète adolescente qui passa sans crier gare comme dans un rêve, joyau d’autant plus rare qu’il fut largement ignoré de son vivant, son aura n’aura cessé de croître au fil du temps, et brille désormais de mille feux. Il serait dommage de gâcher tout ça.
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