L’homme qui réalisa Voyage au bout de l’enfer est aujourd’hui un être étrange et fragile, mi-ado, mi-vieille dame, élégamment vêtu (veste, chemise, jeans, bottes western) mais qui marche précautionneusement et parle d’une voix faiblarde, comme épuisé par ses 73 ans. Il fait penser à son ancien acteur Mickey Rourke (autre survivant des bistouris esthétiques) et […]
L’homme qui réalisa Voyage au bout de l’enfer est aujourd’hui un être étrange et fragile, mi-ado, mi-vieille dame, élégamment vêtu (veste, chemise, jeans, bottes western) mais qui marche précautionneusement et parle d’une voix faiblarde, comme épuisé par ses 73 ans.
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Il fait penser à son ancien acteur Mickey Rourke (autre survivant des bistouris esthétiques) et à Leos Carax (autre survivant d’un accident industriel du cinéma). On le rencontre à Lyon (scoop ! il ne donne aucun autre entretien), après la projection en copie restaurée de son chef-d’oeuvre maudit, La Porte du paradis, accueilli triomphalement par une Halle Tony-Garnier pleine à craquer (5 000 spectateurs) et couronnant la superbe édition 2012 du festival Lumière.
Michael Cimino en a eu le souffle coupé sur scène, au bord des larmes.
« Je n’avais jamais vu autant de spectateurs à une séance de cinéma, explique-t-il une heure après la projo. C’était énorme ! Cet accueil me bouleverse et me trouble. Heureusement qu’Isabelle (Huppert – ndlr) était présente, ça m’a un peu aidé. Mais j’en tremble encore. Mettez-vous à ma place : imaginez que vous soyez marié à la plus belle fille du monde, qu’un jour on vous l’enlève puis que trente ans plus tard on vous la ramène aussi belle qu’avant. Que ressentiriez-vous ? »
Cimino attribue l’échec cuisant de La Porte du paradis à la jalousie du milieu hollywoodien envers ce jeune cinéaste surdoué qui fait jouer Clint Eastwood dès son premier film (Le Canardeur), puis rafle cinq oscars, la critique et le succès public dès son second (Voyage au bout de l’enfer). Il y perçoit aussi un invariant aussi vieux que l’Amérique : « Vous êtes la dernière merveille, puis on vous écrase, puis on vous remonte à nouveau. Ce rituel américain est tellement archétypal qu’on en fait même des films : montée, chute, remontée, on pourrait citer mille titres ! Ce schéma exige que vous soyez traîné dans la boue puis que vous renaissiez couvert de sang. »
À revoir le film, on est frappé par sa splendeur lyrique mais également par sa « russité ». De nombreux personnages portent des toques et parlent la langue de Lénine, les cabanes en bois ressemblent à des isbas et le film prend en charge l’histoire d’un pays comme le cinéma soviétique de l’âge d’or. Cimino récuse l’influence de ce cinéma mais avoue être un fervent lecteur de littérature russe.
« J’adore Pouchkine, Lermontov, et leurs traductions anglaises par Nabokov. J’aime leur amour des mots, de la vérité, leur précision géographique… J’aurais aimé que Nabokov puisse traduire Tolstoï, ç’aurait été un cadeau à la civilisation. Je crois que l’Amérique et la Russie se ressemblent : deux immenses pays que personne ne sait bien gouverner ! »
Le cinéaste raconte avoir choisi Isabelle Huppert grâce à un heureux hasard, après un harassant et long casting infructueux. « Je suis passé devant une salle art et essai qui jouait un film français, avec écrit en gros starring Isabelle Huppert. Je n’avais aucune idée de qui elle était mais j’ai acheté un billet. J’étais fatigué, j’avais envie de dormir mais le film m’a tenu éveillé et j’ai vu sur l’écran cette fille magique. J’ai dit : this is the girl ! Le studio était contre mais j’ai insisté : c’était elle ou rien. »
Celui qui cite Ford, Visconti et Kurosawa nourrit toujours le projet de porter à l’écran La Condition humaine d’André Malraux. On ne sait s’il y arrivera, mais en attendant on guettera la renaissance en copie restaurée (en salle en février 2013) d’une pièce majeure du cinéma injustement brûlée en son temps.
merci au festival Lumière, à Marie Queysanne et à Pierre Collier
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