La guitare portée sur le dos à la façon d’un archer, les longues tresses caressant le bois du manche, le regard mi-clos d’une Diane chasseresse des savanes à l’affût, Rokia Traoré met dans le mille dès le contact photographique établi. Pour avoir un peu soupé des chanteuses africaines forcément enturbannées, drapées comme des poupées de […]
La guitare portée sur le dos à la façon d’un archer, les longues tresses caressant le bois du manche, le regard mi-clos d’une Diane chasseresse des savanes à l’affût, Rokia Traoré met dans le mille dès le contact photographique établi. Pour avoir un peu soupé des chanteuses africaines forcément enturbannées, drapées comme des poupées de boutiques souvenirs dans les plis de leurs vastes et chatoyants boubous, on trouvera cette image modérément moderne et sagement sexy.
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Cette audace mesurée, cette légère entorse au règlement , singularise la démarche de la jeune Malienne dont c’est ici le second album ? après Mounaissa paru en 98 ? autant qu’elle sert à nous éclairer sur la force immobilisante des traditions qui travaillent en silence, et de l’intérieur, les sociétés ouest-africaines, de la cuisson des aliments à la réalisation d’œuvres artistiques. Le texte du livret nous annonce par exemple que Rokia poursuit l’expérience de réunir le timbre grondant du grand balafon balaba (?) et les rythmes plus subtils du n’goni bâ, la guitare tétracordes qui ponctue les récits épiques’. Ainsi, en France, prendrait-on encore la peine de signaler l’unisson d’une épinette et d’un cornet à pistons ? Chanter, faire de la musique, dans cette région sahélienne où la goutte d’eau est rare et le vase bien trop précieux, ne devient une activité appréciée que lorsqu’elle participe au précaire équilibre qui maintient dans cet environnement hostile le principe sacré de la vie.
Rokia, l’ancienne rappeuse de Let’s Fight ( Allons au baston’), est donc rentrée dans le rang de la musique traditionnelle où l’on glorifie l’ancien (tchwa), et réclame la responsabilité de tous (souba). Pourtant, à chant feutré et par discrètes touches mutines, elle n’en mène pas moins sa petite révolution intime. Si Mancipera, admirable duo qui l’unit à Boubacar Traoré, la contraint à recourir au vocabulaire de l’ancien colonisateur pour exprimer l’aspiration des femmes à devenir plus libres, il révèle chez elle une intelligence des contraires lui faisant avancer des idées neuves à l’aide d’une trame musicale d’un grand classicisme. Cette voix de berceuse d’une douceur irréelle semble nous venir de l’autre côté des songes, du pays des fées, mais c’est de la vraie vie qu’elle nous parle. Sous la douce hypnose de ces rythmes atypiques où le silence, la mesure muette, concourt à mener l’auditeur, même distrait, même non averti, vers l’étrange plénitude que procure cet univers peint à l’encre de grâce, il n’y a finalement que l’essentielle pulsation du vivre.
Rokia Traoré, accompagnée ici par quelques grands noms de la musique mandingue comme Toumani Diabaté ou Sidiki Camara, est peut-être issue d’une noble lignée de l’ethnie bamanan, ce second effort, plus riche, plus mûr que le précédent, prouve que, foin de classes sociales et de clichés bien-pensants, on ne saurait être élevé que par le cœur.
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