Jeudi soir, il était en concert au Trabendo, à Paris, avec ses camarades du label Pan European. Il y fêtait la sortie de son nouvel ep taré, « Mars balnéaire ». L’occasion de discuter avec lui de Kraftwerk, du Club Med et de « Music 2000 » sur Playstation 2.
Un concert ? Flavien Berger a décidé de ne jouer aucun de ses morceaux, qu’on s’attendait naïvement à voir se déployer dans la longueur, la poésie et le psychédélisme. Au lieu de ça, il a choisi l’improvisation : pendant une petite heure, il ira fouiller dans ses machines de quoi faire danser la salle – des sons tantôt planants et doux, tantôt furieux et lourds, sur lesquels il posera des mots trouvés dans la grande nébuleuse de l’instant présent.
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Au surréalisme de ses enregistrements, époustouflants de maturité dans son dernier ep Mars balnéaire, Flavien Berger a ici préféré l’usage dada des mots et des sonorités. Un cadre général installé à l’avance, une atmosphère, un monde a explorer : voici le romantisme estival importé sur Mars. Le reste est confié à la folie de l’instant, à l’excitation du live, à la stimulation psychanalytique de la scène. Un concert ? Oui, mais un vrai de vrai : un temps-lieu unique, insaisissable et perdu à jamais.
Il y a quelques mois, on avait découvert Flavien Berger avec ce morceau :
http://youtu.be/dqyJin_5xT8
Flavien Berger a grandi dans une famille de cinéma. Ces dernières années, il a toutefois étudié le design sonore dans une école de création industrielle. C’est pendant ce temps qu’il développe ses premières expérimentations avec une bande de potes étudiants en art, qui bientôt deviendra le collectif Sin et ira s’installer à Bruxelles. Ensemble, ils produisent des installations, qu’ils nomment « dream machines », et puis des projets vidéo dont Flavien compose les bandes originales.
Ce rapport entre image et son, cette vision globale de ce que peut être un projet artistique, ce refus de réduire la musique à un discours purement musical, c’est ce qu’on retrouve dans des morceaux à mi-chemin entre Kraftwerk et Sébastien Tellier, les Beach Boys et la pop française 80’s. Un projet prometteur et déjà passionnant, qu’on a voulu mieux comprendre en attendant un premier album. Rencontre avec ce fol espoir de la nouvelle scène française.
ENTRETIEN
On pense rapidement à Kraftwerk en écoutant Mars balnéaire, ton nouvel ep…
C’est une de mes références principales. Je ne suis pas très chaud sur la chronologie de leur carrière, mais au niveau de l’esthétique, c’est une influence dingue. Je suis content de cette comparaison. Je pense souvent à l’esthétique d’un morceau avant de l’avoir fini. J’aime savoir à peu près à quoi il va ressembler, à quoi ça va renvoyer. Il y a toujours ce côté un peu froid, un peu nostalgique, un peu désuet.
On frôle parfois l’absurdité dans tes paroles. Encore une fois, comme chez Kraftwerk, elles sont à la fois potaches et vertigineuses.
J’évite d’être trop précis dans ce que je raconte. J’ai très peur de la trivialité. Je prends donc le pari d’être large dans l’évocation, pour être davantage dans la poésie que dans la narration d’un truc. C’est le challenge quand tu chantes en français. Les mots veulent dire tellement de choses, et ont été traversés par tellement de gars… J’essaye d’en dire le moins pour évoquer le plus. Ce qui est marrant avec Kraftwerk, c’est que leurs morceaux sont en anglais et en allemand, et les deux fonctionnent.
Kraftwerk, à sa façon, a anticipé l’ère post-industrielle et la robotisation du monde. Toi, tu parles de tourisme et d’exploration spatiale. As-tu l’impression que tes idées dépassent le cadre purement musical ?
A fond. Je suis un grand fan de science-fiction. C’est là où se nichent vraiment mes rêveries. Philip K. Dick, Isaac Azimov, Richard Matheson… Petit, j’avais adoré Je suis une légende. J’ai été bien dégouté par le film, et surtout la fin… (rire) J’aime aussi les BD d’Alejandro Jorodowsky, Moebius… Pendant l’ep, j’avais avec moi les Chroniques martiennes de Ray Bradbury. Dans ce livre, il y a le thème de la colonisation de Mars… J’ai failli faire un morceau sur les nouveaux habitants… Et puis finalement non, car je raconte une histoire de vacances. En gros c’est le Club Med, mais sur Mars : il y a une meuf que tu kiffes, elle va bientôt se barrer, et puis les tempêtes de sable approchent… J’aimais l’idée du film de vacances.
Le long clip d’Océan rouge commence par une autoroute, qui semble évoquer ce départ en vacances d’une part, mais aussi les installations visuelles des concerts récents de Kraftwerk, pendant Autobahn justement.
Je ne connais pas trop leur univers visuel. Je ne les ai jamais vus en concert. Je n’ai jamais eu l’occasion, et j’ai aussi un peu peur de ce genre de choses… Visuellement, c’est le krautrock en général qui m’inspire. Une des utilisations de la musique que je kiffe aujourd’hui, c’est vraiment l’écoute en voiture. Tu vois le paysage qui défile. C’est ce qu’on voulait faire avec Robin (Robin Lachenal, membre du collectif Sin et réalisateur des clips de Flavien Berger – ndlr). Il y avait cette idée du road trip. On pensait par exemple à Point limite zéro… Mais musicalement, je crois que j’ai davantage pris une baffe avec Neu! qu’avec Kraftwerk. Kraftwerk, tu grandis avec… Par ramification, ils ont fait la musique d’aujourd’hui. Je pense qu’on peut indéfiniment puiser chez eux en imaginaire et en fantasme.
Comment s’inscrire dans cette filiation sans être dans la pure reproduction, et donc en continuant d’explorer de nouvelles idées ?
Déjà, je n’ai pas les mêmes outils. Mes outils sont hyper numériques aujourd’hui. Je crois beaucoup au son numérique. Je ne suis pas forcément pour les méga-prod compressées, parce que je pense que ça vieillit assez mal, mais par contre j’aime tout ce qui est artefact, piqué du numérique, time stretch… C’est clairement de la synthèse. La synthèse, c’est l’élément de notre décennie, voire de notre siècle : c’est comment l’ordinateur peut recréer de la matière à partir d’autres éléments. Par exemple, tu prends un son de moins d’une seconde et tu demandes à ton time stretch de le faire durer 10 minutes, mais sans que ce soit ralenti. Du coup, lui, il va créer plein de mini-boucles, et c’est comme ça qu’il crée de la matière numérique. Ces sons deviennent alors un peu métalliques, certaines fréquences apparaissent, etc.
Tu travailles uniquement sur ordinateur ?
Mon ordi est ma base de séquençage. J’ai aussi un synthé, et des pédales d’effets. Et je sample – les boites à rythmes et les basses, par exemple : les choses que je n’ai pas.
Comme pour les paroles, ta musique est très travaillée, mais parfois presque cheap sur certaines sonorités. C’est une volonté ?
Je crois beaucoup en la naïveté. Quand je suis arrivé chez Pan European, je ne connaissais rien. Ils m’ont fait découvrir beaucoup de choses, comme Areski et Brigitte Fontaine. Je découvre que je suis dans une filiation sans le savoir. En tout cas, il n’y a aucun cynisme dans ce que je fais. Aucune ironie. Peut-être une naïveté, qui me suffit, mais il n’y a pas de second degré. Je suis un peu fleur bleue : quand je parle d’amour, j’y crois vraiment !
On parlait de Kraftwerk, mais il y a aussi un côté pop française 80’s sur Mars balnéaire… Tu chantes parfois très Etienne Daho.
C’est marrant cette histoire de Daho… Au départ, Océan rouge était une petite maquette où je faisais du yaourt en anglais. Mais quand je me suis posé la question de la lignée culturelle dans laquelle j’avais envie de m’inscrire, je me suis dit que je serais plus pointu en français. Et c’est en transposant en français la façon que j’avais de chanter en anglais que ça a donné du Daho. J’aime bien Daho, mais je n’ai jamais vraiment écouté ! Comme tout le monde, je connais Week-end à Rome et quelques autres chansons… J’aime beaucoup la new wave, Elli et Jacno… Je m’inscris sans problème là-dedans, mais je ne veux pas reproduire ça, je ne cherche pas à être le petit frère de cette génération.
Tes clips sont très importants dans ton travail. Comment penses-tu ce rapport entre son et image ?
Les deux vont ensemble. Je mettrai sans doute longtemps à me mettre en scène dans mes clips. L’idée de bande originale est encore trop présente quand je fais de la musique. J’ai énormément d’images en tête. Une photo ou un paysage imaginé peuvent faire démarrer une création. Ou même une couleur, même si je ne suis pas synesthète. Ce n’est pas la musique qui appelle la musique ; c’est un univers ou une image. Ça crée une prégnance, une atmosphère.
Plusieurs de tes morceaux durent entre 10 et 20 minutes. Cette longueur est-elle une recherche en soi ?
C’est un peu naïf. Je ne prévois pas à l’avance de faire des morceaux aussi longs. Pour Gilded Glaze, la longueur était nécessaire. J’aime beaucoup faire des morceaux pour des situations. Là, c’était une demande d’un pote qui courrait ; un marathonien qui avait besoin de longues plages avec différentes étapes qui suivraient le rythme d’une course. Il y a donc des montées pour le mec qui court et qui s’oublie… Au milieu il n’y a plus de beat : quand tu as ton second souffle, tu as quitté ton corps et tu te vois en train de courir… Dans Océan rouge, j’ai composé un break assez long au milieu, et puis j’ai décidé de ne pas le couper. Certains morceaux de 14 minutes pourraient fonctionner en 6 minutes. Mais faire de la musique, c’est aussi éditer des idées. C’est du montage.
Comment as-tu découvert la musique ?
Je suis le dernier d’une famille de cinq enfants. Toute ma famille est dans le cinéma. Pendant longtemps, j’ai cru que moi aussi j’allais en faire… Mais j’ai commencé la musique tôt, avec ma Playstation 2 et Music 2000. Ce jeu, c’était trop de la balle. Il y a avait plein de sons de ouf. C’est comme ça que j’ai commencé à faire des instrus au collège. On pouvait sampler des disques, genre 10 secondes en 11 Hz, 5 secondes en 20 Hz et 2,5 secondes en 44 Hz. Le son rendait comme sur les samplers des mecs au début du hip-hop. Rien qu’avec ça, j’avais déjà des mini-albums prêts avant d’arriver au lycée. Et puis après, j’ai eu un ordi. Ça a été la révolution : j’ai pu enregistrer ma voix, sampler autant que je voulais… Mais il y a une chose qui n’a jamais changé depuis Music 2000 : penser ma musique comme des petits blocs sur un quadrillage. Je ne connais pas le solfège. Au niveau de mon organisation cérébrale, ça se passe donc comme ça.
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