Alors que des djihadistes se réclamant de l’Etat islamique ont diffusé une vidéo montrant l’exécution du guide français Hervé Gourdel, la France est engagée auprès de la coalition internationale – dont cinq nations arabes – emmenée par les Etats-Unis pour frapper le terrorisme islamique en Irak et en Syrie. Sur internet, une autre guerre est en train de se jouer.
Pour l’instant, Oncle Sam a produit dix vidéos sur sa chaîne Youtube. La plus récente, uploadée vendredi dernier, a été vue… 1 900 fois. Infime, quand on compare avec les scores de l’Etat islamique (EI).
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Un rapport du cabinet de renseignement Recorded Future leur dénombre 60 000 comptes Twitter sympathisants. Malgré la collaboration de Twitter pour fermer les comptes, il en demeurait 27 000 au lendemain de la décapitation du journaliste James Foley.
En fait, quand Twitter ferme les comptes djihadistes pour incitation à la violence, ils renaissent presque immédiatement sous des pseudos légèrement différents, aussitôt retwittés et promus par des comptes-relais actifs. C’est follow friday tous les jours dans le monde du djihad virtuel. Dans cette guerre d’escarmouches où les plateformes sont toutes américaines, l’EI gagne sur tous les fronts : nombre, expérience du terrain, réactivité et créativité.
“Un lifestyle de bandits”
Dans une interview sur la radio publique américaine NPR, Alberto Fernandez, le chef de la com’ contre-terroriste du Département d’Etat (le ministère de la Défense américain) explique d’une manière franche et dépassionnée combien Oncle Sam est à la bourre, moins “cool” [sic] aux yeux du public cible de l’EI et ne rattrapera probablement jamais son retard dans le domaine de la propagande virtuelle.
La capacité d’attraction du groupe EI, explique Alberto Fernandez, c’est celle d’un gang. Ce qui attire les jeunes Occidentaux, “c’est leur lifestyle de bandits. C’est un look. Ils ont des couleurs, un drapeau. Ils ont des slogans”, explique ce diplomate arabophone. Alors qu’Al Qaida, le vieil ennemi, “n’a jamais eu de slogan cool ou de drapeau”.
Deuxièmement, la proclamation du “califat”, question propagande, est un coup de génie ; il attise le feu de l’urgence chez les jeunes recrues potentielles :
“Le califat, c’est pas dans dix ans, c’est maintenant. Il entraîne un sentiment d’immédiateté, d’urgence et un fort engagement émotionnel.”
Troisièmement, la force narrative : “Vous voyez le visage des individus, ils vous racontent leur histoire. C’est très efficace.”
Crucifixions et Nutella
Fernandez est conscient qu’au lieu d’effrayer les recrues potentielles déjà sensibles à leur message, leur caractère snuff des contenus est justement un facteur excitant. Impossible de rivaliser avec un matériel d’une telle force brute et, aussi, une manière déconcertante d’alterner le chaud et le froid dans la narration visuelle. Sur Instagram, les comptes djihadistes alternent le gore et l’humour Carambar ; les détournements de pub et la guerre sainte; les crucifixions et l’addiction au Nutella ; les vidéos de chats et les AK-47.
L’organisation a stupéfié les gradés américains en utilisant depuis la semaine dernière John Cantlie, un otage britannique, capturé avec Folley, pour faire passer ses idées. Peu importe qu’il le dise le revolver sur la tempe alors que deux de ses compagnons de cellule ont été égorgés dans les deux semaines précédentes. Le message divulgué par un Occidental blanc adoucit l’image de l’EI, selon les experts.
Si Oncle Sam est à la traîne, c’est aussi parce que sa cellule de contrepropagande a été mise en sommeil au siècle dernier. En 1999, quand Facebook et Twitter n’existaient pas et que les Twin Towers étaient encore debout. Obama l’a recréé en septembre 2011 sous un autre nom, avec Fernandez à sa tête. Mission : occuper le terrain virtuel en arabe, ourdou, somalien, penjabi et anglais. CNN, sans citer de sources, avance qu’ils seraient moins de dix personnes embauchées à temps plein.
Que peuvent-ils faire pour rivaliser ? “Mettre en lumière leurs contradictions, affirme Fernandez. Des jeunes pensent qu’ils vont commettre des actes violents pour une cause juste. On veut au moins leur instiller le doute et leur dire : ‘Vraiment ? Les gens que tu vas tuer sont-ils infidèles ? Allez-vous tuer des Américains, des Juifs et des païens ? Ou allez-vous tuer les gens qu’Isis est censé défendre ?’ On essaie de faire ressortir les contradictions entre le discours d’Isis et ce qui se passe sur le terrain.”
“Not In my name”
La propagande djihadiste pour attirer des recrues étrangères ne date pas d’hier. Elle remonte à l’invasion soviétique en Afghanistan, quand les moudjahidin étaient soutenus par la CIA. A l’époque, c’était des cartouches huit pistes qui circulaient (l’ancêtre de la cassette audio).
Les décapitations n’ont rien de nouveau non plus. Au Pakistan, Al Qaida avait décapité le journaliste Daniel Pearl en 2002 et en Irak un otage américain, Nicholas Berg, en 2004. Il diffusait aussi des vidéos de combats “glamour” – explosions, escarmouches avec les GI’s. Finalement, la seule chose nouvelle aujourd’hui, c’est la sophistication technologique qui rend la diffusion instantanée, explique le chercheur Assiem el Diffraoui dans une tribune à Libération.
Peut-être aussi, l’utilisation d’otages journalistes comme porte-paroles contre leur gré, et la couverture journaliste désormais impossible du conflit pour des raisons de sécurité. L’AFP ne se rend plus en Syrie ; sa directrice de l’information Michèle Léridon déclare aussi qu’elle refusera de diffuser le travail de free-lances sur l’EI pour ne pas les encourager à risquer leur peau : “Si un journaliste free-lance se rend en Syrie et nous propose du matériel à son retour, nous ne l’utilisons pas.” A ce jour, la seule vidéo sur la réalité de l’Etat Islamique en Syrie reste probablement ce documentaire produit par Vice.com.
Si son combat paraît mal embarqué, l’armée américaine se découvre un allié qui contre bien mieux le groupe extrémiste : la société civile musulmane. Elle organise sa propre résistance globalisée, via notamment le hashtag de ralliement #NotInMyName sur twitter, et confronte directement les recrues potentielles de l’organisation. Contrairement à l’armée américaine, elle n’a pas à trouver des soutiens populaires ; c’est la population elle-même qui est à la manœuvre.
Islam is not a religion of violence, I will not let these terrorists tarnish my religion! #NotInMyName #NO2ISIS pic.twitter.com/R5IFugqof9
— Ayaz Taj (@ayaztaj1) September 18, 2014
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