D’un côté, la crème des films hollywoodiens (Ocean’s …leven puis Ocean’s Twelve ; La Mémoire dans la peau puis La Mort dans la peau). De l’autre, des choix plus radicaux, comme Gerry de Gus Van Sant. Si Matt Damon réussit à poursuivre les deux caps, c’est parce qu’il marche d’abord à l’amitié.
La poignée de main est sportive. Le regard franc (et bleu piscine). Le sourire large et aveuglant de blancheur. Matt Damon attend la première question, comme s’il était face à un prof qui lui fait passer un examen. Oh, rien de désagréable dans son attitude. Il reste toujours extrêmement bien élevé, souriant, civil, courtois, mais bon, pendant un moment, il va s’obstiner à conserver cette attitude studieuse de l’élève en plein examen.
Or d’examen, il n’y en a pas. Et s’il y en avait un, il l’aurait déjà obtenu haut la main, tant son parcours est sans faute. Etudes littéraires à Harvard, premiers pas au théâtre, débuts au cinéma dans des petits rôles, et percée en 1996 dans un personnage d’accro à l’héro pour A l’épreuve du feu d’Edward Zwick. Le buzz monte autour de son nom. En 1997, il tient le premier rôle d’un beau film de Coppola (son dernier à ce jour), L’Idéaliste. Et puis c’est l’explosion, en 1998, avec Will Hunting, dont la genèse est devenue une légende pour tous les wannabe stars qui débarquent à Hollywood des étoiles dans les yeux, telle Naomi Watts au début de Mulholland Drive.
Will Hunting est produit par les frères Weinstein, et on peut compter sur eux question marketing. Nul être humain vivant en 1998 n’a pu ignorer cette si belle histoire : Matt a rencontré son meilleur ami Ben Affleck à l’école, ils ont couru ensemble les castings les plus improbables puis, las de galérer, ils ont décidé d’écrire ensemble un scénario… devenu un film de Gus Van Sant avec Matt dans le rôle principal et Ben dans un rôle secondaire. A l’arrivée, ils obtiennent l’oscar du meilleur scénario et l’Ours d’argent à Berlin. Voilà, c’est fait : Matt est une star. Aussitôt, il enchaîne avec un Spielberg (Il faut sauver le soldat Ryan), puis travaille à nouveau pour les frères Weinstein dans Le Talentueux M. Ripley d’Anthony Minghella, tourne pour Redford (La Légende de Bagger Vance)… Il n’arrêtera plus.
Son programme de l’année 2001 dit assez bien l’extrême concertation de ses choix : d’un côté, une expérience de cinéma d’une originalité radicale Gerry de Gus Van Sant (pour lequel il participe à nouveau au scénario) ; de l’autre, deux films commerciaux haut de gamme, à la croisée de l’auteurisme et du film de genre pur Ocean’s Eleven de Steven Soderbergh et La Mémoire dans la peau de Doug Liman (il touche cinq millions de dollars pour le Soderbergh, et le double pour le Liman). Du coup, il rejoue en une année la même carte : d’un côté, deux suites rentables dont il n’aura pas à rougir (La Mort dans la peau et Ocean’s Twelve) ; et de l’autre Les Frères Grimm, le projet plus risqué et probablement assez peu hollywoodien de Terry Gilliam. Sans oublier une sorte de synthèse de ces deux pôles : Deux en un, la brillante comédie d’auteur des frères Farrelly.
Dans un paysage hollywoodien qui tend à effacer la figure ancestrale du metteur en scène comme maître d’ uvre du film, la cohérence des choix de Damon ressemble à un entêtement politique : « Pour choisir un film, mon critère cardinal est le metteur en scène. Pas autre chose. » On lui demande alors si le véritable auteur de la série La Mémoire dans la peau, ce n’est pas lui, recrutant pour réaliser ces blockbusters uniquement dans l’écurie du cinéma indie ou de l’art et essai européen ? « Pour le premier opus, c’est Doug Liman, le metteur en scène, qui m’a choisi. Mais pour le deuxième, j’ai participé au choix de Paul Greengrass. J’avais vu son film Bloody Sunday, et l’avais trouvé remarquable. L’idée était qu’il fasse de La Mort dans la peau un film tout aussi personnel. » Nous voyant faire la moue, Matt se met en devoir de nous convaincre : « Dans combien de films américains avez-vous vu la copine du héros mourir dans le premier tiers ? Dans combien de films américains avez-vous vu le héros tirer dans le visage d’une femme ? »
{"type":"Pave-Haut2-Desktop","device":"desktop"}
Si le comédien a conquis suffisamment de galons pour ne tourner qu’avec les cinéastes qu’il désire ou imposer un jeune cinéaste irlandais aux commandes d’un film d’espionnage hors de prix, c’est évidemment par l’écriture, aux côtés de son ami Gus Van Sant, que Matt Damon touche au plus près de son ambition d’auteur. On lui demande de quoi Gerry serait la parabole. « Je pense que c’est un film sur les USA. La naïveté avec laquelle ces deux personnages trébuchent est très américaine. » Il précise : « Ils se retrouvent dans un monde auquel ils ne sont pas du tout adaptés, avec la présomption qu’ils peuvent s’en tirer. Mais ils finissent totalement dépassés. Il y a là des similitudes avec la politique étrangère des Etats-Unis. Savez-vous que, dans mon pays, seulement 8 % de la population a un passeport ? Bush n’était sorti du pays que deux fois avant de devenir Président et les deux fois pour aller à Mexico. Ce n’est pas quelqu’un de curieux. Il a fait des déclarations sur des endroits où il n’est manifestement jamais allé. Je pense que c’est une posture dangereuse. »
Matt est passé d’une question sur son apport à Gerry en tant que scénariste à une prise de position politique anti-Bush. De fait, il fut un des premiers, en décembre 2002, à condamner avec virulence la possibilité d’une intervention en Irak. Et puisqu’il parle du rapport de ses compatriotes aux voyages, on lui demande de raconter les siens. Il loue alors sa mère, prof de pédagogie dans une université prestigieuse. « Mes parents ont divorcé alors que j’avais 2 ans, mais je ne l’ai jamais vécu comme un drame. Mon père est chef d’entreprise et j’ai toujours continué à le voir. Mais j’ai surtout été élevé par ma mère, qui nous a fait voyager, mon frère et moi. Quand j’étais ado, elle a commencé par m’envoyer un été à Mexico pour que j’apprenne l’espagnol. Et l’été suivant, j’étais au Guatemala. Après, les tournages se sont enchaînés, et autant de voyages : c’est l’un des aspects les plus excitants de mon métier. Mais mon goût des voyages me vient clairement de ma mère : je lui en suis très reconnaissant. » Au cours de l’entretien, Matt évoquera plusieurs fois sa mère, confirmant un peu plus à chaque fois son portrait en fils parfait.
Le risque de cette perfection serait un manque d’aspérité, une absence de fantaisie. A l’évidence, Matt n’est pas un boute-en-train. Pour ça, il faut plutôt aller chercher du côté de ses petites amies officielles, des actrices plus ouvertement excentriques (Winona Ryder, Minnie Driver, Eva Mendes, sa partenaire dans Deux en un), ou de son meilleur ami Ben Affleck, qui a déjà aligné quelques cures de désintoxication. Ah, Ben ! Après sa mère, Matt n’en a que pour lui : Ben par-ci, Ben par-là. Qu’il raconte ses débuts (« Pendant trois ans, nous avons couru les castings sans décrocher un rôle, on se sentait rejetés ») ou ses projets (« Ben et moi voulons écrire encore ensemble, et réaliser, soit ensemble, soit séparément. Je crois que ça nous manque à tous les deux de partir d’un délire entre nous et que, des mois plus tard, ça soit devenu un film, ce qu’on a vécu avec Will Hunting »), Ben est toujours dans le coup. C’est d’ailleurs quand il évoque son pote Affleck que Matt s’anime le plus et parle le plus fort. Les étoiles qui s’allument alors dans ses yeux ressemblent curieusement à de l’amour. Enquête faite, l’une des dernières longues liaisons de Matt n’était autre qu’une certaine Odessa Whitmire, par ailleurs… assistante de Ben Affleck. On reste en famille.
Quand on demande à Matt quel est le plus grand point commun entre Ben et lui, il répond sans hésiter « L’ambition. Jamais au détriment des autres. Mais l’idée de refuser du travail nous est particulièrement étrangère. Sans doute parce qu’on a tellement voulu travailler sans pouvoir le faire. »
{"type":"Banniere-Basse","device":"desktop"}