Le dessinateur et rédacteur en chef de « Fluide glacial », Lindingre, réagit à l’attentat contre « Charlie Hebdo » au cours duquel Charb, Cabu, Wolinski et Tignous ont été assassinés.
Comment avez-vous appris la nouvelle de l’attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier ?
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Lindingre – C’est Lefred Thouron qui m’a envoyé un SMS le matin. Ce matin là j’attendais un dessin de Wolinski, que je devais voir pour la préparation du numéro anniversaire de Fluide Glacial. Pour ce numéro toute la profession participe, j’ai sollicité nos frères de Charlie. Nous sommes une petite famille, nous naviguons entre les journaux les uns et les autres. J’avais cette idée en tête ce matin, d’appeler Wolinski pour son dessin. Willem avait déjà donné le sien: trois mecs en noir qui égorgent un clown qui tient Fluide Glacial dans ses mains… Le SMS de Lefred disait: « T’en sais plus pour Charlie ? ». J’ai tout de suite compris qu’il s’agissait d’un attentat. J’ai regardé sur internet mais les informations se contredisaient : un mort, dix morts… J’ai appelé les uns et les autres, certains ont répondu, d’autres non.
Charb, Cabu, Wolinski, Tignous sont morts. Que représentaient-ils pour vous ?
Dans cette histoire on peut dire qu’un milligramme de connerie a dévasté cent tonnes de talent. Dans ces talents il y avait des gens très différents, qui avaient des rapports différents à l’humour, au dessin. Wolinski est d’abord et avant tout un dessinateur de femmes : il parle d’amour, de sexe… Il est très loin de ces histoires d’islam, ce n’est pas sa cam, c’est d’abord un dessinateur d’une grande élégance.
Cabu a été marqué par la guerre d’Algérie, voilà d’où il vient. Il racontait que c’est dans le bateau du retour de la guerre d’Algérie que lui était venue l’idée de rentrer dans un dessin plus politique, parce qu’il avait été meurtri. Cavanna, Choron, Cabu, Delfeil de Ton ont été motivé au départ par l’idée de combattre la connerie, de combattre la guerre, de combattre l’horreur. Il est incroyable que Cabu finisse par mourir sous des balles, comme dans une horrible parabole, alors que toute sa vie aura consisté à parler de la paix, de l’amour, comme un grand ado. Cabu est aussi le dessinateur de la caricature de Dorothée dans Récré A2. Quel sens peut-on donner à tuer le grand Duduche ?
http://youtu.be/y5-IJcI1WjU
Il est évident que les connards qui ont fait ça ne visaient ni Charlie Hebdo, ni le Coran, ni Cabu, ni Wolinski, qu’ils n’étaient certainement pas capables de faire la différence entre l’un et l’autre. Tout commence là, de même que certains menacent de mort Michel Houellebecq sans avoir lu son livre. Cela me semble complètement dingue que l’on s’adresse à Houellebecq comme s’il venait de modeler la civilisation dans laquelle on va vivre. Il est écrit « roman » sur son livre, comme il pourrait être écrit « presse satirique », « humour »,… On leur prête tout à coup des super pouvoirs. Les fanatiques religieux ou simplement les idiots prêtent aux artistes des pouvoirs qu’ils n’ont pas. C’est fou !
Chacun d’entre eux a marqué l’histoire du dessin politique ?
Bien sûr. D’abord, ce sont des gens courageux. En ce qui concerne les anciens, Wolin et Cabu, dans les années 60 il fallait être téméraire pour se lancer dans l’aventure Charlie. Il faut rappeler que Charlie désigne Charles de Gaulle. Sous Pompidou, sous Giscard, ils menaient une bataille frontale. L’ennemi avait un nom : c’était la censure, elle était en face. Désormais l’ennemi est invisible, c’est la connerie diffuse et omniprésente.
L’affaire des caricatures de Mahomet en 2005-2006 a-t-elle marqué un tournant dans l’histoire de Charlie Hebdo ?
C’était une manip’ complète. Les tarés se sont focalisés sur Charlie, qui relayait l’affaire des caricatures danoises. Mais le journal danois était beaucoup plus tendancieux et presque raciste d’un certain point de vue. Je pensais que les menaces allaient en rester là, comme au Danemark, et que l’incendie des locaux de Charlie en 2011 était le point d’acmé…
Pour beaucoup de jeunes dessinateurs, Charb, Cabu, Wolinski et Tignous étaient des pères ?
Bien sûr. C’est un métier dans lequel il y a beaucoup d’amitié, de proximité. Des dessinateurs très différents dans leurs traits et dans l’esprit peuvent s’apprécier énormément. Une fine plume comme Cabu adorait Reiser, qui est plutôt un brutal. Charb et Cabu s’adoraient. Il y a une grande amitié parce que nous sommes des dessinateurs d’humour, notre finalité est de faire rire. Nous sommes des clowns, on est en train de tuer les clowns. C’est quand même dingue que les clowns soient les premières cibles que les connards ont imaginé.
Les crayons des dessinateurs de Fluide Glacial sont-ils plus lourds après cet événement ?
Nous sommes tous sonnés, les dessinateurs ici sont très choqués. Nous utilisons les réseaux sociaux pour dire notre soutien de la manière la plus simple possible. Je vois que des choses se profilent sur internet pour soutenir Charlie, voir comment les aider à survivre, techniquement, éditorialement. Il est question de déporter le prochain numéro. Il y a beaucoup de solidarité, maintenant il faut bien l’organiser.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
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