Pas de bras, pas de chocolat, nouvel album de Bertrand Betsch, illumine la rentrée musicale de sa science musicale et de ses mots supérieurs. L’interessé revient dans cet interview sur son parcours musical et parle de son nouvel album. En prime, deux titres de l’album et un inédit en écoute.
Que peux-tu me dire à propos de ton enfance ?
En fait, je suis atteint d’amnésie infantile ; mes souvenirs ne commencent pas avant 10 ans. Rien à dire sur l’enfance, à part qu’elle fut relativement solitaire. J’adorais jouer allongé sur la moquette avec mes Playmobils, mes petits soldats, mes Big Jims, des petits univers, des mini-révolutions, des guerres, des aventures’
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De quel milieu es-tu originaire ?
Un milieu plutôt aisé, mon père était cadre supérieur dans une grande entreprise. Je suis un éternel banlieusard, j’ai vécu 20 ans dans l’Essonne, puis 10 ans à Paris. Je suis maintenant à Montreuil depuis 5 ans, je retourne à la banlieue ; un banlieusard n’a pas de racines, les gens se retrouvent au supermarché, le seul lieu où ils puissent le faire. Je ne suis pas un homme de terroir.
Sur un plan culturel, c’était comment ?
Il y avait beaucoup de livres, j’ai beaucoup lu dès mon plus jeune age, je continue à lire beaucoup. Mais pas beaucoup de musique, juste Abba et les Bee Gees qui passaient dans la voiture. Heureusement, il y avait mon frère qui écoutait des trucs plus évolués, il m a notamment fait découvrir Gérard Manset à 12 ans, qui fut un vrai déclencheur
C’est jeune pour découvrir Manset, non ?
Oui, mais’ Je me souviens, il y avait cette phrase, « Ya plus personne dans les rues d’Angkor », il répète ça pendant 10 minutes, ça me fascinait, ça me sortait de tout ce que je pouvais entendre au Top 50. C’est là que j’ai décidé, peut-être pas consciemment, de tenter l’expérience, d’organiser la rencontre entre des mélodies, une voix particulière et des paroles avec une certaine profondeur. C’était vers 14 ans. Il y a aussi une période où je fantasmais sur les guitar heroes, je voulais être Angus Young à la place d’Angus Young, mais ça m a vite passé, je ne suis pas un virtuose de la guitare, ni d’aucun instrument
Comment, ensuite, as-tu découvert la musique, par quel biais ?
Les amis, la radio, les médiathèques. C’était encore à l’ère du vinyle, je faisais 10 kilomètres à vélo pour aller à la médiathèque, puis je repartais avec les disques dans le dos’Après Manset, j’ai écouté de la new-wave, j’ai 34 ans et quand on voulait être un peu pointu, il fallait écouter ça je n’ai pas dérogé à la règle. Mais ça ne m a pas marqué profondément, ça a simplement accompagné ma vie et cette période difficile qu’est l’adolescence, des groupes comme Joy Division, Cure, Bauhaus. Mais je n’écouterais plus ça maintenant, c’est clair.
Pourquoi ?
Le passé s’estompe, finit par disparaître. Je vis vraiment dans le présent. Je n’ai pas vraiment de mémoire, de souvenirs, les choses s’effacent. J’ai presque la croyance que le passé n’existe pas, que le futur est totalement incertain, seul le présent est tangible ; et encore, chaque seconde chasse celle qui précède. C’est une fuite en avant, je vis sans repères. Aujourd’hui, la musique est la daube FM qu’on entend, c’est rien d’autre. Je suis un homme de l’instant. Quand je fais une chanson, je suis dans l’instant, je me mets en écoute, et je reçois quelque chose ; une phrase qui tombe sur moi, ensuite je l’écris, je tire le fil et ça devient une chanson qui vient se greffer sur une ligne mélodique.
Si le passé s’estompe, comment s’organise ton savoir musical, tes influences ?
Je ne saurais pas éclaircir la question des influences. Je n’ai pas assez de recul pour savoir ce qu’elles sont. Par contre, quand on écoute mon disque, il y a des emprunts évidents : quand je fais une chanson reggae Il se trouve que j’ai passé plusieurs années à écouter du reggae, ça a finit par déteindre. Mais pour autant, je ne vais pas me prendre pour un rastaman, et faire un album de reggae blanc. C’est des emprunts. C’est plutôt une enveloppe à l’intérieur de laquelle je veux pouvoir inscrire ma parole personnelle, mon empreinte individuelle. C’est un cadre. Mais pas l’essence du morceau.
Quel est ton rapport à la culture ?
Très boulimique. J’ai besoin de la culture comme j’ai besoin de manger, de dormir, de pisser, de chier. Je ne suis pas du tout comme beaucoup de musiciens un monomaniaque : je connais beaucoup de musiciens qui ne vivent que par ça, qui n’écoutent que ça, ne font que ça. J’ai pu autant m intéresser autant à la littérature, au cinéma, plus récemment à la peinture. L’art est une nourriture. Toutes les cultures m intéressent.
Dans la musique, je peux trouver mon compte dans n’importe quel genre ; pop, rock, world, musique électronique, chanson, classique Même si au sein de chaque genre, j’ai besoin de faire beaucoup de tri, car il y a peu de choses qui me touchent directement. Je n’ai pas une personnalité fluctuante, mais mes goûts fluctuent beaucoup. Je peux me passionner de façon compulsive pour un auteur de cinéma et voir tous ses films les uns à la suite des autres, pareil pour un auteur de livres, pour un groupe. Et un mois après je passe à autre chose. C’est pas une architecture, c’est des îlots dans lesquels je m installe puis repars.
Est-ce que ça marque ton art ?
Je ne sais pas. Je n’ai pas assez de recul pour le dire. Tout peut m inspirer, pas seulement l’art. L’autre jour j’étais à Liège, en Belgique, dans un bus ; et dans les bus liégeois il y a toujours une affiche avec une jeune fille marquée « missing ». Ça m a fait penser à tous les gens qui disparaissent chaque année, qu’on ne retrouve jamais, j’en ai fait une chanson qui s’intitule Porté Disparu. Ca peut être un titre de livre, de film, une phrase lue ou entendue. Mais à chaque fois, c’est une étincelle, le reste vient de moi. Mais bon, qu’est ce qui vient de soi, qu’est ce qui vient des autres, est ce qu’il y a une frontière entre soi et les autres ? Bien que j’ai le sentiment qu’il y a un fossé entre moi et les autres, et un problème de pouvoir atteindre l’autre, de pouvoir lui transmettre, lui communiquer quelque chose. Il y a des énergies qui se baladent comme ça, on baigne tous dedans, elles nous inspirent, nous imprègnent. Elles influences notre humeur.
Qu’est ce qui t’a dirigé vers la musique plus que vers un autre art ?
Ça a toujours été la musique d’une part et la littérature d’autre part. J’alterne les périodes où e me consacre à la musique et celles où je me consacre à mes travaux littéraires. J’ai toujours voulu faire des disques et faire des livres, j’essaie de ménager ces deux inspirations. Je cherche un éditeur pour mes livres, mais je suis tellement désolé par le paysage littéraire actuel.
Par conte, je me suis beaucoup passionné par le cinéma, mais je n’ai jamais rêvé d’en faire , ni d’être acteur, ni d’être réalisateur, ni d’être scénariste. Ce qui m intéressait, c’était la position de spectateur, de voyeur, ça répondait purement à une pulsion scopique : voir sans être vu, être plongé dans l’obscurité de la salle de cinéma, m imprégner des émotions distillées par les images.
Musicalement, qu’écoutes-tu ?
Ces derniers temps, j’ai une sorte de ras-le-bol de toute cette vague anglo-saxonne de rock un peu régressif, ces disques dont on se demande l’année de parution alors que ça vient d’être enregistré. Et j’ai été étonné par la qualité de certains disques français, qui m ont beaucoup plus passionné. Je pense par exemple au dernier Dominique A, un très grand disque, à l’album de Frédéric Lo et Daniel Darc, que j’ai beaucoup apprécié, à l’album de Florent Marchet, qui est très bien.
Et honte à moi mais j’adore les disques de Raphaël. Je trouve son deuxième album, aussi produit par Jean Lamoot, très fort. Il a une voix qui me touche, les textes peuvent paraître un peu confus, mais une émotion passe. C’est rare que je sois impressionné par un artiste de mon époque. En manière générale, je ne suis pas écrasé par des références, même si Leonard Cohen est quelqu’un qui m a beaucoup nourri, mais ça n’a pas déteint sur ma musique. Je n’ai jamais versé dans cette fascination pour le mythe de la musique anglo-saxonne : quand je vois Iggy Pop se désaper sur scène , ça ne me fait rien, ça ne me fait pas rêver.
J’aime les gens qui tombent dans toute sorte d’excès, de dérives, ça a pu m amuser quand j’étais adolescent. Mais aujourd’hui, je sens une très grande admiration pour un type comme Morrissey, qui ne fume pas (j’ai arrêté de fumer), qui ne boit pas (j’ai bu, j’ai arrêté de boire), qui est végétarien (je suis devenu végétarien) : ce n’est pas mon modèle, mais je me suis rendu compte qu’il y avait des correspondances. Il a fait globalement une carrière de très grande qualité, je réécoute même à l’heure actuelle certains albums des Smiths ou certains de ses albums solos. Alors que c’est quelqu’un d’aussi écorché, voire de plus écorché que toute la myriade d’écorchés vifs de l’histoire du rock ; je ne sais pas s’il est aussi écorché que Daniel Darc, mais c’est un peu un personnage inverse. Il a su s’affranchir de toute dépendance, faire avec sa fragilité, affronter sa solitude, je suis très admiratif de ça. Surtout le fait de s’affranchir de toute dépendance, c’est très difficile. J’ai versé dans toutes les dépendances, c’est difficile quand on est artiste, quand on véhicule forcément avec soi une forme de fragilité, d’affronter la pression médiatique, de monter sur scène, de surmonter tout ça sans béquille n’est pas donné à tout le monde. Morrissey est le seul exemple de ce type que je connaisse.
Tu disais il y a quelques années que la chanson française était médiocre
Justement, je trouve que les choses changent, on n’a plus rien à envier aux anglo-saxons, qui sont comme je l’ai dit précédemment dans une phase nettement régressive. Je ne dis pas que c’est mauvais, mais c’est des choses d’un instant, d’une saison. Quand j’entends Franz Ferdinand, je trouve ça très bien, mais est-ce qu’ils seront encore là dans dix ans ?
Tu disais tout à l’heure que tu vivais dans l’instant
Je suis très contradictoire : je vis dans l’instant mais je suis obsédé par l’effet trace. C’est peut-être parce que je n’arrive pas à fixer le temps, parce que je n’arrive pas à m approprier la matière temporelle que je fais en sorte de toujours laisser des traces. Je suis un graphomane, j’écris sans arrêt, je remplis des cahiers sans arrêt, je suis quelqu’un qui enregistre beaucoup. L’effet trace est pour moi au c’ur de la démarche artistique. J’adore l’art moderne, la peinture moderne, par contre, l’art contemporain, conceptuel, les happenings, ne me touchent pas, ce sont des choses évanescentes, sans socle. Et j’ai toujours ressenti le besoin de bâtir une uvre. C’est prétentieux à dire, je ne sais pas ce qui restera, mais fournir je veux un travail, même si ça concerne que quelques dizaines ou centaines d’individus, qui accompagne la vie de ces gens-là.
Quand mon premier album est sorti, je l’ai vraiment honni, il m arrivait même d’en dire du mal en interview, ce qui étonnait certaines personnes. Et puis il y a un ou deux ans, j’ai rencontré des gens qui m ont dit avoir écouté le disque tous les jours, avoir vécu avec lui pendant cinq ans, qu’il avait baigné beaucoup d’instant de leurs vie, qu’il les avait aidé à vivre : même si c’est quelques dizaines de personnes, c’est important. Plus important que d’écouler plusieurs centaines de milliers de copies d’une merde r n’b dont on ne se souviendra plus dans dix ans. Il y a donc toujours cette obsession chez moi de l’effet trace, de laisser quelque chose. Comme je ne me souviens jamais de ce que j’ai fait hier, j’ai tendance à tout écrire. Et quand je me relis, je me demande quand j’ai écrit ça, si c’est vraiment moi qui l’ai écrit
Tu as un vrai problème avec le temps’
Quand on me dit « tu te souviens de cette soirée, de ce que tu as dit ? », je ne m’en souviens jamais. Par contre, il y a des choses qui vont me marquer au fer rouge, jusque dans ma chair. Ça peut être des humiliations subies, des êtres chers que j’ai perdu, des moments de rupture, de déchirement : là, par contre, ça reste gravé. Je trouve assez pénible et injuste que la mémoire sélectionne les choses de l’ordre du trauma que les moments plus calmes, plus sereins, les moments de bonheur. J’ai une mémoire très sélective, qui n’est pas constituée de choses confortables.
Pour revenir à la chanson française, pourquoi penses-tu qu’elle soit dans une meilleure forme ?
Ça s’est fait très progressivement, avec La Fossette, le déclencheur de tout. Puis petit à petit des gens se sont dit « moi aussi je peux faire quelque chose ». C’était mon cas à l’époque, je travaillais aussi sur mon 4-pistes, je faisais des choses qui n’ont rien à voir avec ce que je fais maintenant, des choses un peu insouciantes, proches de Katerine. Des choses quasiment, voire carrément infantiles. Je n’étais pas encore sorti de l’adolescence, ça s’est fait plus tard, vers la trentaine. Mais j’avais déjà la matrice mélodique et rythmique qui me permet de faire mes chansons. De tout ce que j’ai fait depuis une douzaine d’années, il y a très peu de choses que j’ai envie de jeter. Ma grande frustration, c’est d’avoir 34 ans, d’avoir écrit des dizaines ou des centaines de chansons, mais de n’en avoir publié qu’une poignée, alors qu’il y a des choses qui me semblent largement à la hauteur de ce que j’ai publié jusque là.
Malheureusement on est confronté au rythme très lent de l’industrie du disque : quand tu es un artiste qui marche bien, tu sors un disque tous les deux ans, si tu es un artiste plus confidentiel comme moi, c’est plutôt tous les quatre ans. C’est assez difficile à gérer : je sors aujourd’hui un disque que j’ai enregistré il y a quatre ans. Il y a eu des prises additionnelles en 2002, puis des choses faites à la maison en 2003, des choses faites avant les années 2000 à la maison, l’enregistrement s’est étalé sur une très longue période.
La chanson la plus récente de cet album est Temps Beau, elle a déjà 4 ans et demi. Mais quand je les joue, je les aime toujours autant. Il y a donc un décalage temporel, mais je m y retrouve car j’ai un fond, un background émotionnel qui reste le même, même si je ne le perçois pas toujours de façon consciente. Les choses qui me touchaient il y a quelques années me touchent toujours aujourd’hui. Et je ne suis pas sûr qu’on écrive énormément de chansons différentes, moi je pense avoir la capacité de le faire ; en ce moment je suis dans une phase où j’ai l’impression de pouvoir de plus en plus m’excentrer, parler un peu des autres, narrer des histoires qui sont pas forcément les miennes. Mais qui malgré tout font toujours référence à des préoccupations ou des blessures personnelles’
Vis-tu de ta musique ?
Ça dépend, c’est au coup par coup, ça dépend des périodes. J’alterne entre les aides sociales, le RMI, les avances de ma maison de disques, de la SACEM, un peu tout Mais je ne peux pas vraiment dire que je vive de ma musique, non’Je survis.
Qui penses-tu toucher avec ta musique ?
Pour moi, le public, ça n’existe pas. C’est une somme d’individus très différents, j’ai du mal à penser en termes de masse. C’est selon chaque chanson, selon tout le monde. Les gens qui écouteront le disque n’aimeront peut-être pas toutes les chansons, ça part un peu dans tous les sens. Telle personne va être touchée par le thème de l’enfance évoqué dans Les Petits Mammifères, par le thème du couple dans Tournicotons, quelqu’un pourra sourire sur Pas de Bras, Pas de Chocolat Le sens de la dérision qui affleure parfois, ou des choses plus profondes, comme la condition humaine. Le titre auquel je tiens le plus est Des Gens Attendent, qui ouvre l’album, une chanson sur ce qu’on fait de nos vies, est-ce qu’elles valent le coup, qu’est ce qui nous anime, qu’est ce qui nous fait vivre, qui nous fait peur, qu’est ce qui nous fait mal, qu’est ce qui nous tient, qu’est ce qui nous lâche
La réponse est un peu morose
C’est un texte assez pessimiste. Mais il y a toujours un petit truc rigolo, je pense à la phrase « des gens penchés à la fenêtre laissent tomber des pots de fleurs ou des enfants mal arrimés ». Je ne le fais pas consciemment, mais il y a toujours une petite note plus légère.
Penses-tu qu’il y a eu une évolution en termes d’humeur, depuis ton premier album ? Pas de Bras, Pas de Chocolat semble plus lumineux que les deux précédents’
Oui, c’est le résultat d’une volonté. Les premiers projets pour cet album étaient noircissimes. On m a dit que mon deuxième album BB Sides était une invitation au suicide ; les premiers projets de mon troisième album étaient une invitation au trucide. Je traversais des choses très pénibles. Je m amenais avec des chansons, comme Tout Vu, en pire, avec des voix hurlées, très distordues, j’étais très écorché à l’époque. Les années passant, je vais toujours dans toutes les directions, j’ai présenté des chansons plus légères’Certaines venaient du passé, d’autres de moments d’accalmie. Je suis quelqu’un d’assez cyclothymique : je peux tomber dans la dépression pendant quelques semaines, puis être très actif, très solide ensuite.
J’arrive toujours pas à savoir si je suis quelqu’un de solide ou d’extrêmement vulnérable, je suis en fait un peu des deux. Par rapport à ce troisième album, on a voulu faire quelque chose d’écoutable par le plus grand nombre. Car se posait aussi le problème de continuer ou non à faire des disques : concrètement, mon deuxième album, que j’adore et que peu de gens ont défendu, ne s’est vendu qu’à 1000 exemplaires. Bon, c’était aussi un pari, une carte blanche que m a donné mon directeur artistique de l’époque ; j’ai fait l’album que je rêvais d’entendre, mais je suis la seule personne à l’avoir vraiment entendu. J’avais vendu 3000 exemplaires du premier album. Je ne suis pas un artiste très vendeur. Donc quand tu te plantes sur ton premier album, c’est déjà difficile d’en faire un deuxième, et quand tu te plantes sur ton deuxième, ça rend les choses compliquées pour le troisième. Ça explique les délais très long entre les albums. Mais tous les gens qui ont écouté le troisième ont été convaincus tout de suite. Le pari du deuxième album, il faut dire, était de faire un disque en quelques jours, avec 0 francs de budget, à la maison, enregistré et mixé tout seul, j’ai fait toutes les voix, arrangements et instruments seul, d’en vendre le moins possible : j’ai gagné mon pari. Là, le pari était de faire le disque sur la plus longue période possible ?7 ans, puisque j’ai écrit Tout Vu avant même d’avoir sorti mon premier album- que ça coûte un max de blé, et que ça se vende encore mieux que Calogero
Tu te considères comme pessimiste ?
On ne peut pas dire de quelqu’un qu’il est plutôt pessimiste ou plutôt optimiste. On traverse des périodes de la vie qui sont plus ou moins faciles ou plus ou moins difficiles. Mais en vieillissant je m aperçois quand même que la vie est plus ou moins une longue succession d’épreuve, avec des moments de répit où peuvent s’installer des moments de sérénité. Il y a des éclats de bonheur, aussi. Globalement, c’est pas de la tarte.
Tu t étais décrit comme mauvais vivant, contre le bonheur impératif Ça a évolué ?
Non, pas vraiment. Cela dit, j’ai des côtés bon vivant, au sens par exemple où je suis chocoholique, je peux m accorder des moments de plaisirs ; ça peut aussi être dans la relation amoureuse, dans la relation à la nature, à la campagne. Les années passant, je suis de plus en plus campagne, j’ai fait quelques kilomètres pour m éloigner de Paris et m installer à Montreuil, je ne désespère pas d’aller un jour m installer à la campagne
Je suis quand même plus sensible à certaines choses qui peuvent donner des moments de grâce. Je m’en fous du bonheur, ce que je cherche c’est des moments de grâce, ça peut être dans la création, une fusion amoureuse, une rêverie Il faut attraper ces moments-là, parce qu’ils sont rares. Mais on se fait la vie qu’on veut. Comme dit Sartre l’existence précède l’essence : on est maître de sa vie, et quand on n’a pas de problèmes physiologiques ou mentaux sévères, on est responsable de sa vie, de son bonheur, de son malheur. Il ne faut pas se plaindre, il faut prendre sa vie en main, la sculpter et lui donner les formes les plus harmonieuses possibles.
Est-ce que tu le penses vraiment ou essaies-tu de te convaincre ?
J’y crois vraiment, sur la papier, c’est ça. Mais est-ce qu’on a la force de le faire ? On subit tellement de stress, d’agressions, de perturbations, on traverse des trous d’air. Mais je n’ai jamais aspiré au bonheur, donc je n’y ai pas renoncé, donc je n’ai pas de regret
Et comment fonctionnes-tu dans le monde moderne, te considères-tu comme un animal social ?
Non, je suis quelqu’un de clairement asocial. J’ai traversé des périodes de ma vie où je ne voyais personne, je recevais mes factures de téléphones, sur lesquelles il n’y avait que le montant de l’abonnement, aucune communication. Pendant 4 ou 5 ans’En ce moment, je ne vis pas seul, mais il y a eu des années où je ne voyais personne, je restais chez moi, soit à ruminer des mauvaises pensées, soit à travailler. Non, je ne suis pas un animal social. Quant à la modernité, je n’ai pas assez de recul car je suis encore jeune, mais j’ai le sentiment que toutes les époques se valent : chaque époque comporte une part de progrès, qui s’accompagne de régressions. On m a demandé récemment si j’aurais préféré vivre à une autre époque, mais j’ai répondu non, nous vivons une époque formidable. Il faut juste en profiter, avoir la capacité pour. Il y a eu des évolutions sociales, une évolution de la place de la femme dans la société, tout ça est très bien, mais il y a des choses auxquelles je ne me fais pas, par exemple tous ces gens qui se baladent dans la rue avec ce petit bout de plastique devant le nez, qui soliloquent, qui parlent à leur morceau de plastique C’est très bizarre. Les gens s’appellent pour se dire où ils sont. Il y a un double mouvement de rapprochement et d’éloignement, plus on communique, moins on se parle, moins nos conversations ont du contenu. Un symptôme flagrant, c’est les SMS’Une faute d’orthographe par mot, tout est codé ; les mails, pareil, j’en ai encore jamais reçu un seul sans faute d’orthographe. La langue se transforme.
Tu dis que tu n’es pas un animal social, mais pour écrire, il faut observer Quelle posture prends-tu ?
Il faudrait prendre les chansons au cas par cas, il n’y a pas de processus immuable. Temps Beau est venu du film Les Idiots de Lars Von Trier, en particulier de la scène de partouze : il y a une jeune fille et un jeune garçon qui montent à l’étage, et qui font l’amour très maladroitement, qui échouent d’ailleurs. C’est un film que j’adore, on rit beaucoup, et on finit en larmes. C’est quelque chose que j’aime beaucoup, la tragi-comédie. J’aime l’idée de communauté, qui essaie de créer du bonheur, du rapport à l’autre, qui se fout complètement du regard de la société. Pour finir, c’est un échec, la tentative est belle et touchante, une sorte d’échappé belle du carcan de la société. Quand je dis « les gens se frottent un peu partout, les uns contre les autres, les uns contre les arbres », c’est inspiré de certaines scènes du film. Mais c’est différent pour chaque chanson : Tournicotons, c’était en pleine tourmente amoureuse, une semi-rupture, ça évoque un échec amoureux, une histoire qui ne veut pas finir, et qui n’arrive pas à commencer. Chaque chanson évoque quelque chose de très différent.
Et Pas de Bras, Pas de Chocolat ? Il y a un côté Morrissey, un côté très revanchard dans les paroles’
Revanchard ? J’avais pas vraiment saisi ça Je dis « je peux vivre sans toi », mais on comprend l’inverse « Pas de bras, pas de chocolat » : c’est une allusion au fait que quand on perd un être aimé, que ce soit dans la mort ou dans une rupture amoureuse, on se sent amputé d’une partie de soi même, comme si on perdait un membre. Mais avec une part de dérision, car il faut bien à un moment donné que la vie reprenne le dessus. Mais pour moi c’est une chanson assez sérieuse, je suis assez chagriné car c’est le single, il passe à la radio, et j’ai peur qu’on résume l’album à ça. C’est une chanson que je revendique, mais elle me semble un cran en dessous de certaines autres chansons comme Des Gens Attendent.
Tu parlais de tragi-comédie : il y a un certain équilibre entre des moments très sombres et des choses beaucoup plus ludiques.
Oui, c’est quelque chose que j’ai toujours aimé faire, mélanger le drame et l’humour. C’est comme des variations climatiques. Ça correspond aux mouvements de la vie, du ciel bleu, puis une ondée orageuse un quart d’heure plus tard. La vie c’est ça : c’est le noir et c’est le blanc, qu’il faut concilier. J’ai d’ailleurs appris récemment, en m intéressant à la peinture, que c’était la règle de l’harmonie : quand l’œil perçoit deux couleurs opposées, il y a un processus qui fait qu’il reconstitue ce qu’on appelle le gris moyen, qui annule la tension que crée les deux couleurs opposées. L’humour et le drame doivent coexister. Dans la vie, il n’y a pas d’opposition. Il y a des choses qui se complètent. C’est la règle de l’harmonie : chaque chose trouve son pendant. Si on pense à la Shoah, c’est la barbarie pure, née d’une nation culturellement et artistiquement élitiste.
Les chansons de Pas de Bras, Pas de Chocolat s’échelonnent sur plusieurs années, il y a donc pas mal d’humeurs différentes. Je me demandais si ça pouvait faire quelque chose de cohérent, mais au final j’aime de toute façon bien passer d’une ambiance à l’autre C’est vrai qu’il fallait oser faire le grand écart entre Temps Beau et Tout Vu? Il aurait fallu les mettre à côtés l’une de l’autre.
Comment abordes-tu les mots ?
D’une manière générale, j’essaie d’amener les paroles vers la poésie, vers les fondamentaux de la vie
Comment as-tu enregistré Pas de Bras, Pas de Chocolat ? Tu étais seul ?
Non, Hervé Le Dorlot m a beaucoup aidé. Le disque est très arrangé, alors que j’ai plus tendance à verser dans le minimalisme. Il a la patience de chercher le bon son, alors que moi, dès que je fais une chanson, j’ai plus tendance à vouloir passer à autre chose.
Le plus vieux morceau est Passe Temps, qui a une dizaine d’année, et le plus récent est Temps Beau. Je suis arrivé avec 50 morceaux, comme à chaque fois, puis il y a eu des choix. Ce fut un vrai travail d’équipe, Vincent Chauvier (de Lithium, qui a mis la clé sous la porte) a été directeur artistique de l’album, il l’a produit, il est beaucoup intervenu. Autant sur le deuxième album, je n’en ai fait qu’à ma tête, autant là ça a vraiment été un travail d’équipe : des musiciens additionnels, des producteurs, des ingénieurs du son.
C’est quelque chose que tu voulais, pour te sortir d’un processus solitaire ?
Je crois que c’est les morceaux qui demandaient ça, bien qu’il y ait des versions alternatives des morceaux, plus dépouillées, que je mettrai à disposition sur mon site Internet. Et si tu fais un disque tout seul chez toi avec ton 8-pistes, tu vas pas toucher grand monde, les gens attendent des arrangement à la Burt Bacharach Ils sont très exigeants’Mais moi, j’adore le dernier album de Dominique A, qui est un chef d’ uvre d’arrangement et de production, qui est extrêmement fouillé, et en même temps j’adore le dernier album de Cat Power, où à l’inverse il n’y a presque rien, un piano, une voix, une guitare, un chœur chanté du fond du studio avec une voix entre la soie et le papier de verre ; cette voix projetée qui déchire les chansons. J’ai pas de politique sur ce sujet là, on peut faire de très beaux albums très dépouillés, et de très beaux albums très arrangés.
Le processus a été difficile ?
On pourrait écrire un roman. Une partie de l’album a été enregistré chez moi, j’utilise beaucoup mes propres bandes quand j’arrive en studio. Ensuite, en 2000, on a fait deux semaines de prises en studio, puis encore des morceaux enregistrés chez moi, puis de nouveaux des morceaux en studio au cours du mixage.
Qu’est ce qui a inspiré la chanson La Maladie ?
Je l’ai écrite à une période où j’ai perdu l’usage de la voix, c’est une forme de maladie, l’aphonie ; ce pendant un an. C’était pas une aphonie totale, mais j’aurais préféré ne pas pouvoir parler du tout que de parler, chaque parole me déchirait la gorge, je souffrais constamment. C’était après une tournée, je n’avais aucune technique vocale à l’époque, j’ai un peu forcé sur la voix et elle a lâché. J’ai vécu une année difficile avec cette forme de maladie, qui n’est pas une maladie grave puisque j’ai retrouvé ma voix ; mais elle était là, constamment, tous les jours de ma vie. En plus ça entravait mon rapport à l’autre : j’ai déjà des difficultés à communiquer avec l’autre, alors quand on a du mal à parler Mais bon, le mal est derrière moi, je ne pense plus à ça quand je chante. On pourrait dire aussi que c’est la maladie de la vie, car la vie est une lente agonie.
Ça se guérit ?
Oui, par la mort !
Pour rentrer dans l’univers de Bertrand Betsch, lesinrocks.com vous propose d’écouter deux titres de l’album, Des gens attendent et Lundi, c’est maladie, et de découvrir une version alternative du morceau Les petits mammifères, joué au piano.
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