L’avenir du rock a un nom (anglais) : Muse. Et comme il fallait s’y attendre, c’est dans les cendres d’un genre mourant, hier incarné par Nirvana et Jeff Buckley, que vient de se déclarer l’incendie le plus spectaculaire du moment. Présentation d’un trio condamné à la gloire, avec ou sans vous. Des filles rient sans […]
L’avenir du rock a un nom (anglais) : Muse. Et comme il fallait s’y attendre, c’est dans les cendres d’un genre mourant, hier incarné par Nirvana et Jeff Buckley, que vient de se déclarer l’incendie le plus spectaculaire du moment. Présentation d’un trio condamné à la gloire, avec ou sans vous.
Des filles rient sans trop savoir pourquoi, d’autres pleurent en sachant parfaitement pourquoi. Il y a des garçons qui s’envolent littéralement, incapables de rester en place, n’en croyant pas leurs oreilles. Il y a au-dessus de tous ces corps suants un fragile chapiteau qui menacerait presque de s’envoler, tant le spectacle est saisissant, foudroyant. Nous sommes à Reading, le plus légendaire des festivals rock anglais, à l’heure où une (petite) légende de plus est précisément en train de s’écrire, là, sur la scène la plus réduite du grand rassemblement estival. Même entassées, pas plus de six cents personnes ont pu se frayer un chemin jusqu’au chapiteau étroit sous lequel se démènent les trois musiciens de Muse, mais on devine déjà que ces six cents veinards s’en souviendront pendant des années. Et Muse aussi, sans doute, qui commence à comprendre en cette fin de mois d’août qu’un destin en or lui est promis. C’est donc les yeux brillants d’excitation que Matthew Bellamy, Chris Wolstenholme et Dominic Howard se laissent questionner à l’arrière de leur bus de tournée, une heure après le concert. « Ce qui nous arrive depuis quelques semaines est incroyable, confie d’entrée le très jeune Matthew, 21 ans et une tête à en avoir 18. Tout ce bruit autour de notre nom, tous ces gens qui nous prédisent un avenir incroyable : au départ, je n’y prêtais pas vraiment attention. Mais quand une dizaine de personnes de confiance vous disent les unes après les autres que vous devez vous préparer au succès, il y a quand même de quoi se poser des questions. »
Du genre (basique) : « Vous vous sentez prêts ? » Matthew : « Muse existe depuis cinq ans et nous nous connaissons tous les trois depuis l’enfance.Tout ce qui nous arrive aujourd’hui a été mûrement réfléchi, rien n’est le fruit du hasard. Nous avons toujours voulu arriver à ce stade de reconnaissance, pour ensuite viser plus haut, beaucoup plus haut… Certains nous trouvent un peu jeunes, mais moi, j’ai l’impression que 21 ans, c’est l’âge idéal pour commencer à faire de la musique sérieusement. J’ai quinze ans de musique derrière moi, alors je considère que mon heure est venue. Je n’ai plus le temps d’attendre. »
Pour qui a eu l’occasion de fréquenter les bords de mer sinistrés de la région de Teignmouth, triste station balnéaire du Devon où vivent encore les trois de Muse, de tels signes d’impatience sembleront pour le moins fondés. Désert culturel couleur de briques (rouge crasseux),Teignmouth aura été pour Matthew ce que la glaciale Olympia, dans l’état de Washington, fut pour Kurt Cobain : à la fois un repère cotonneux (« Tout le monde connaît tout le monde ») et un appel permanent à la révolte : en chantant, seul devant un piano. Souvenir ému (et pittoresque) de Dennis Smith, comanager de Muse et propriétaire du studio Sawmills où ont été enregistrés les deux premiers singles autoproduits et une partie de l’album Showbiz : « J’ai entendu parler de Matthew la première fois par l’intermédiaire de mon garagiste. J’avais déposé ma voiture en révision et là, le type me dit « Il y a à quelques rues d’ici un gamin incroyable de 13 ans qui donne régulièrement des concerts dans son école, tu devrais aller le voir. »
D’abord effrayé à l’idée d’aller à la rencontre d’un si jeune garçon, Dennis attendra finalement quatre ans pour voir Matthew sur scène, dans un petit club de Cornouailles. « C’était des mômes, mais il y avait déjà un côté très mature dans leur démarche. On pouvait sentir un potentiel réel en eux parce que les chansons de Matthew étaient à la fois fines et surpuissantes, mélodiques et urgentes… A cette époque, les concerts du groupe se composaient pour moitié de reprises. J’ai reconnu l’une d’entre elles, un morceau du groupe Primus, et c’est sans doute sur ce détail que s’est scellée notre amitié. »
Muse aura finalement mis cinq ans pour tailler la route qui va de Teignmouth à Londres : une trajectoire lente et prudente, mais avec une soudaine accélération en 98 et un crochet surprise par Los Angeles. Dennis Smith : « Depuis le début, nous savions qu’il ne fallait pas débarquer à Londres trop vite : une ville comme celle-là aurait pu détruire un groupe comme Muse, que je considérais il y a trois ans comme un diamant pas encore tout à fait taillé. Mais du jour où le groupe s’est senti prêt, tout est allé très vite et c’est finalement aux Etats-Unis que nous avons signé notre premier contrat. » Avec le label Maverick, lancé il y a quelques années par Madonna dans un pays resté orphelin depuis le drame Nirvana.
Postulat numéro un, donc : Muse est un immense groupe de scène. Mais il y a un revers à la médaille, car pour ceux qui ont eu la chance de voir l’un des grands concerts récents de Muse (on ne comptera pas parmi ceux-là leur prestation de La Route du Rock trop de soleil, pas assez de tension nerveuse), le premier album du groupe pourra d’abord sembler un peu « en dedans ». Comparaison rarement flatteuse entre la folle énergie d’un trio sublimé par la scène et la relative sagesse de sa transcription en version studio. Pourtant, même un peu comprimé, parfois docile,
le premier album de Muse sera l’un des meilleurs albums de l’année. C’est dire à quelle hauteur se joue Showbiz… Muse ou le retour triomphal de la guitare électrique. Depuis Jeff Buckley, on n’avait plus reçu avec autant de bonheur un nouveau groupe à guitares à la maison. Car avant Muse, la guitare électrique des années 90 aurait finalement pu se résumer à une trilogie de la démesure : Nirvana, Radiohead, Jeff Buckley (on ne parle pas du pétaradant Jon Spencer :
lui appartient aux années 50 1950 et 2050). Et désormais Muse, donc, qui au cours de quelques concerts exceptionnels, rappela ces trois groupes : Nirvana pour cette formation serrée, trio autorisant les démarrages et les chutes libres, les fulgurances et les dérapages (l’école Pixies, plus gros cocus de l’histoire du rock avec les Stooges) ; Radiohead pour la voix lacérée de Matthew Bellamy une chose vraiment étonnante, beaucoup plus large et impressionnante que le freluquet charismatique qui lui sert d’abri , pour ce lyrisme tourmenté ; Jeff Buckley, enfin, pour le toupet et la musicalité d’une guitare aussi savante que sauvage, pour cette voix encore, habitée par l’orage (ô désespoir). Pas de copie, non : juste des copains, tellement intimes qu’on leur emprunte forcément une expression, une mimique, une idée. Matthew : « Les gens qui nous ont tout de suite comparé à Radiohead font fausse route : le seul véritable point commun entre nous, c’est que les deux groupes possèdent de vrais chanteurs, qui n’ont pas peur de lancer leur voix ce qui est devenu rare dans le rock actuel. Mais moi, je ne sais chanter que comme ça, sans retenue, sans calcul. Pour moi, les deux plus grandes voix du rock contemporain ont été Jeff Buckley et Kurt Cobain, deux types qui sont morts beaucoup trop jeunes, beaucoup trop vite. Alors si je peux reprendre le flambeau… »
Histoire de mélanger les cartes, Matthew Bellamy nous confiera un peu plus tard avoir connu ses deux plus grands chocs musicaux au cours de ce même festival de Reading, mais quelques années auparavant, avec des concerts de Jeff Buckley et… Rage Against The Machine. C’est d’ailleurs ce rock américain-là, débraillé et méchammant physique, qui tourne en boucle dans la stéréo du bus de Muse. Indication supplémentaire d’une distance réelle entre le rock souffrant du grand groupe d’Oxford et les secousses nettement plus post-adolescentes de Muse. En concert aussi, d’ailleurs, le fantôme de Radiohead est régulièrement prié d’aller voir ailleurs si Muse y est. Ainsi sur Escape ou Agitated, poussées d’adrénaline que n’auraient pas reniées les Who ou The Jam.
De tels éclats en concert autorisaient-ils un disque (même un tout petit peu) raisonnable ? C’est, sans doute, l’étrange malédiction de Showbiz : que l’on ait entendu, un jour, ces chansons à l’état brut. Car le producteur John Leckie se révèle un incontrôlable aseptiseur, un polisseur malgré lui. En contenant (au moins pendant la première partie de l’album) les débordements, convulsions et emportements de ces décharges électriques entre les murs droits de la raison, il se contenterait volontiers de les regarder volasser en rond, en cage. Heureusement, on ne retient pas en captivité Muscle museum, Cave, Sunburn ou Uno, qui échappent à toute vigilance. Inutile, dans ces conditions, de préciser que la déception est ici un grand luxe, voire un caprice : après tout, le groupe n’a que 20 ans de moyenne d’âge, son album demeure l’une des meilleures raisons de fréquenter des guitares électriques ces dernières années, quelques-unes de ses chansons humiliant en un refrain toutes les prétentions de Placebo ou Verve pour ne parler que de ses jouteurs les plus inspirés. Oui mais voilà : Showbiz a beau être un des albums de l’année, il aurait pu être un de ceux de la décennie. « You could have been number one, but you blew it away » « Tu aurais pu être numéro un, mais tu as tout gâché », s’amuse d’ailleurs Matthew sur le morceau Uno.
Emmanuel Tellier & JD Beauvallet
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}