Malgré le deuil, le recueillement et la tristesse, la musique et nos idées doivent reprendre leurs droits.
C’était l’avant-dernière soirée du Festival les Inrocks à La Cigale. Le tout premier morceau du concert de Fat White Family. Sans surprise, les Londoniens ont débarqué sur scène défoncés, regards vitreux et joues creusées, prêts à justifier leur mauvaise réputation dans les postures décadentes qu’impose la radicalité de leur démarche. C’était vendredi soir. Mais la fête n’a duré qu’un seul morceau.
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Le concert est allé jusqu’à son terme mais il n’a pas vraiment eu lieu, effacé par la panique des appels reçus et la lecture angoissée des notifications qui s’empilaient pour rendre compte de la situation à Saint-Denis, dans Paris et au Bataclan. Pour éviter les mouvements de foule, la salle n’a pas été évacuée. Le groupe a continué à jouer devant un public qui disparaissait à mesure que les horribles nouvelles tombaient. Paris perdait en vie en même temps qu’elle gagnait en lourdeur, en peine et en terreur.
Deux jours ont passé et l’heure est toujours à l’émotion, au deuil et au recueillement. En visant les Xème et XIème arrondissements de Paris, les terrasses décontractées, les lieux de divertissement et de spectacle, c’est notre mode de vie tout entier qu’ils ont voulu déstabiliser.
Nos amis ont trouvé la mort en sortant de chez eux, jeunes, insouciants et curieux, heureux de se réunir pour descendre quelques bières, assister à un concert bruyant et faire la fête, ensemble. Toutes ces choses dont on ne se rendait pas compte qu’elles avaient autant de sens et qui revêtiront dès demain une importance aussi particulière que les sentiments d’absence et d’inquiétude qui nous pétrifient aujourd’hui.
Franchir le seuil d’une salle de concerts, voir les portes se refermer derrière soi, ne devraient jamais être une source d’angoisse. Passé le temps de l’émotion et du recueillement, il faudra évidemment continuer à jouer, à boire et à danser. Continuer à repousser le cauchemar et les délires ascétiques d’un autre âge, continuer à s’enthousiasmer au sujet de ce groupe de branleurs venus d’Irlande « qui réinvente le rock » ou à s’embrouiller, à grand renfort de mauvaise foi, sur la valeur cardinale de l’autotune dans l’expression musicale moderne. Continuer à défendre nos idées et notre mode de vie.
Surtout, il faudra continuer à le faire tous ensemble, encore plus divers, mélangés, contradictoires, désaccordés mais non moins unis. Continuer à jouer, c’est d’ailleurs ce qu’ont immédiatement promis des groupes comme La Femme, Feu! Chatterton, Jeanne Added, Flavien Berger, Last Train, Kid Wise, Venera 4 ou Fat White Family. On attend leurs prochaines dates dans la capitale avec impatience. Car en plus d’être une ville carrefour qui bénéficie d’une vie culturelle aussi riche que variée, Paris c’est avant tout une idée. Et on ne peut pas tuer une idée.
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