Portrait d’une artiste touche-à-tout, récemment exposée à LiveInYourHead à Genève.
Son nom ne vous dit rien ? Pourtant, du mobilier postmoderne et épicurien du groupe Memphis dans les années 80 aux motifs bariolés réalisés pour des sweat-shirts American Apparel dans les années 2010, il serait étonnant que vous n’ayez pas, un jour dans votre vie, croisé une création de Nathalie du Pasquier.
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Après l’aventure Memphis (1981-1987) qui réunit autour d’Ettore Sottssas des designers et architectes bien décidés, avec leurs objets polychromes, leurs revêtements insolites et leurs formes totémiques, à faire bouger les lignes du bon goût et à agir depuis la société de consommation pour mieux en dénoncer les limites, Nathalie du Pasquier, alors installée à Milan où elle réside encore aujourd’hui, retourne à son activité de peintre.
Peindre les objets du quotidien
Pendant cette longue mais féconde croisade en solitaire (le retour de gloire viendra vingt-cinq ans plus tard), les objets du quotidien lui tiennent compagnie. Ce sont eux qui peuplent ses peintures, porte-crayon, tasse à café et autres carafes en verre, eux encore qui quelques années plus tard inspireront les modules géométriques qu’elle construit et qu’elle peint, dans un aller-retour permanent.
“A l’instar de sa posture de designer, Nathalie Du Pasquier se place dans les starting-blocks de la nouveauté. En transformant perpétuellement ses sculptures, elle produit non seulement un geste de désacralisation de l’objet d’art, mais elle se place aussi dans une éthique d’opposition au gaspillage” estime l’artiste Pierre Leguillon à l’origine de l’invitation de la HEAD, la Haute Ecole d’art et de design de Genève qui lui consacrait au mois de novembre une exposition personnelle.
A Genève, justement, c’est d’abord la surprise qui nous cueillait au seuil de l’exposition Nathalie du Pasquier. Non pas que l’on soit arrivé avec une idée très précise de ce que qui nous attendait. Disons plutôt que nous étions précédés ou comme déjà auréolés d’une couleur, ou plutôt d’une multitude de couleurs vives, criardes, inspirées tour à tour par la palette primaire de Memphis (jaune, vert, rouge, rayures noires et blanches) et les dessins bariolés que du Pasquier, en retour de grâce depuis quelques années, a fourni récemment à l’industrie de la mode.
Brouiller les frontières
Au lieu de quoi, c’était d’abord une vague impression atone qui nous saisissait sous la verrière de la HEAD : du gris taupe, du vert olive, du blanc crème. Et le sentiment de faire face à un paysage plat d’où auraient émergé un ensemble de monolithes impénétrables. Bien loin donc du fourmillement zébré, diapré de ses impressions textiles, loin de la gamme chromatique explosive qui a fait la fortune du mobilier Memphis et ses multiples déclinaisons.
Mais il fallait s’approcher un peu de ces sculptures totémiques, dont certaines s’apparentent à du mobilier domestique (étagères, buffet, bibliothèque) pour saisir la complexité et l’épaisseur de ce travail récent de Nathalie Du Pasquier. A quoi faisons-nous face ? Du design ? De la sculpture ? De la peinture ? Tout à la fois répond Nathalie du Pasquier qui se plaît à brouiller les frontières entre les genres en repeignant ces éléments épars réassemblés qu’elle transforme ainsi en tableaux monochromes en trois dimensions.
D’ailleurs, c’est cette capacité à circuler entre les formes et les pratiques qui caractérise le mieux cette artiste atypique née en 1957. Et explique sans doute pourquoi son travail, jusqu’à récemment encore, semblait voué à une certaine marginalité. Impossible à ranger dans des cases le travail de Du Pasquier, qui, invitée à donner une conférence aux étudiants de l’école d’art et de design de Genève, convoquait elle-même, pour situer son travail, quantité de références : de la peinture de Chirico à un livre de gravure coréenne en passant par l’architecture vernaculaire du sud de l’Italie.
“Un trip de la surface colorée”
Lors de cette conférence (aujourd’hui en ligne) Nathalie du Pasquier rembobina sa carrière dans un souci assumé d’anachronisme. Où l’on comprenait que chez elle que tout se nourrit, tout se répond. Les motifs pop, joyeux ou psyché qu’elle dessinait pour Memphis ? Ils évoquent des éléments biologiques, les humeurs, mais aussi des éruptions volcaniques, une énergie électrique répond-elle, enthousiaste. “La plupart de ces surfaces colorées, produites au feutre entre 1980 et 1986, sont pour restée à l’état de dessins”.
Ce qui n’a pas empêché, plus de trente ans après, des marques de vêtements comme American Apparel ou de mobilier comme les Danois de Hay de s’enticher de ce “trip de la surface colorée”, de rééditer certains motifs cultes ou de lui commander de nouveaux dessins pour des chemises, des combinaisons, des tissus d’ameublement ou des sacs.
Nathalie du Pasquier, elle, continue d’insister sur la dimension politique des imprimés et des tissus, “parce que quand on charge la surface, on change aussi l’objet” et parce que les tissus, faciles à transporter au fil des époques, propices aux métissages culturels, racontent une “histoire de l’humanité”.
Nathalie Du Pasquier, Cultura materiale à LiveInYourHead, Genève
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