L’écrivain italien Erri De Luca évoque ce qu’il a pu voir de Paris après les attentats du 13 novembre.
Sur certaines routes de Naples pèse la présence de la Camorra. Les citoyens ont dû s’habituer, les nerfs tendus, au risque des échanges de coups de feu entre bandes rivales, aux fenêtres fermées, à rester dans la rue le moins possible. La Camorra réduit l’espace et l’oxygène.
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Ces jours-ci, dans les rues de Paris, j’ai reconnu une tension semblable, mais aussi la volonté opposée de ne pas se soumettre. Dans les jours qui ont suivi les attentats, le rendez-vous donné dans les bistrots signifiait récupérer l’espace et l’oxygène.
L’Etat doit s’occuper de démanteler les bases arrière et les groupes clandestins. Mais c’est une autre action beaucoup plus vaste et capillaire qui incombe aux citoyens, parce que ce sont eux et leur vie qui sont la cible des auteurs des attentats.
Leur lâcheté les exclut du droit de s’appeler des soldats
Ils se font passer pour des soldats mais ils n’attaquent pas des objectifs militaires, ils ne prennent pas d’assaut des casernes, des postes de police. Ils s’attaquent à des sans-défense par traîtrise, en s’armant comme s’ils affrontaient une armée. Cette lâcheté les exclut du droit de s’appeler des soldats et de se réclamer d’une cause.
En janvier a eu lieu la nécessaire manifestation qui réaffirmait, avec le soutien à Charlie Hebdo, le droit de manifester sa propre parole critique, impertinente, ironique. Le massacre d’une rédaction réclamait la convocation dans la rue des Etats généraux du peuple français.
Les massacres de novembre, le catastrophique attentat raté au Stade de France ont imposé un autre ordre du jour : comment se comporter en état de guerre. Cette fois-ci, il n’y a pas de sirène d’alarme qui prévient d’un raid aérien, les bombes explosent à terre sans préavis. Comment adapter la vie à ce nouveau désordre des choses ?
Réaffirmer une vie civile normale
L’Etat prolonge de trois mois les pouvoirs exceptionnels de la police. Les citoyens déclenchent leur mobilisation générale qui consiste dans une plus grande vigilance sur leur environnement immédiat et dans la volonté de réaffirmer une vie civile normale.
J’ai vu Paris qui ne s’est pas laissé imposer le couvre-feu de la peur : cette ténacité m’a donné des frissons et m’a fait voir la réponse. Les citoyens sont conscients d’être dans un éventuel front ouvert à l’imprévu, mais ils ne cessent pas pour autant de s’échanger un “bonjour”. Au contraire, ils le disent en prononçant les syllabes avec plus de conviction : “Bon Jour !”
Plus que résister, l’urgence aujourd’hui est d’insister sur la juste et nécessaire vie publique d’une ville symbole de civilisation dans le monde. L’insistance civile produit l’oxygène politique qui sert à la France et à l’Europe. Erri De Luca traduit de l’italien par Danièle Valin
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