Avec les attentats de Paris, la question se pose de nouveau, dix mois après ceux de Charlie Hebdo. Mais la flopée de mesures en train de se mettre en place depuis le début de l’année ne convainc pas.
Lors de la minute de silence observée lundi 16 novembre en hommage aux victimes des attentats de Paris, des sifflements auraient retenti parmi les détenus de la maison d’arrêt de Fresnes (94). Un incident qui soulève de nouveau la question de la radicalisation islamiste dans les prisons. Les attentats de janvier ont poussé le gouvernement à annoncer toute une série de mesures pour lutter contre ce phénomène : Amedy Coulibaly et Cherif Kouachi, auteurs de ces attaques, se sont rencontrés en prison, et c’est en détention qu’ils auraient basculé dans la radicalisation.
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Nouveaux aumôniers musulmans, recrutement de surveillants supplémentaires, renforcement du service de renseignement pénitentiaire, formations spécifiques pour les agents, multiplication des « quartiers dédiés » pour les détenus radicalisés… En février, Manuel Valls énonce son plan de lutte contre la radicalisation. Plusieurs dizaines de millions d’euros doivent être débloqués. Mais ces mesures « exceptionnelles » laissent perplexes les spécialistes tout comme les employés du milieu carcéral.
Un coup médiatique
Selon les chiffres du ministère de la Justice diffusés en janvier dernier, 152 détenus, incarcérés pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme, sont des islamistes radicaux. Mais le phénomène reste difficile à mesurer: d’autres détenus sont écroués pour des faits différents mais sont radicalisés, d’autres sont incarcérés pour apologie du terrorisme, mais ne passeront pas forcément à l’acte…
Depuis plus de dix ans, professionnels et chercheurs alertent sur la montée de la radicalisation en prison. Certaines mesures sont prises, comme la réactualisation de la grille de détection de comportements suspects, ou, dès 2012, le recrutement de personnel dédié au renseignement pénitentiaire. Mais les moyens déployés jusqu’alors restaient faibles pour lutter contre la radicalisation, et pour l’administration pénitentiaire en général. Dans ce contexte, les annonces de février agacent plus qu’elles ne satisfont : « C’était totalement inapproprié », s’insurge encore aujourd’hui Sarah Dindo, en charge des études à l’Observatoire International des Prisons (OIP), qui dénonce des « annonces médiatiques » : « Il n’y a pas de fonds pour déployer des activités pour la majorité des détenus, et là, on débloque tout à coup des millions d’euros. »
Des mesures précipitées
Certes, certaines mesures apparaissent nécessaires, comme le recrutement d’aumôniers musulmans (30 entre 2013 et 2014, 30 en 2015 et 30 en 2016, contre seulement 4 entre 2009 et 2012, assure le ministère de la Justice). Jusque là bien moins nombreux que les catholiques ou les protestants, alors que l’on estime que l’islam est la religion dominante en prison, ils sont aujourd’hui 196. « Mais ce n’est pas le rôle des aumôniers de lutter contre la radicalisation », précise Sarah Dindo. Une remarque que partage Claire de Galembert, sociologue spécialiste de la question religieuse en milieu carcéral:
« Plus on les présentera comme des agents de lutte contre la radicalisation plus ils seront perçus comme des agents de ‘propagande’ de l’Etat, voir des indics pour les services de renseignement ».
Ce qui conduit certains musulmans, des modérés aux plus radicaux, à renoncer à aller à leur rencontre.
Autre annonce très médiatisée : la décision d’étendre l’expérimentation de Fresnes à 4 autres unités en janvier 2016. Pourtant, rassembler les prisonniers radicaux ne semble pas forcément adéquat, juge Adeline Hazan, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, qui a rendu ses conclusions en juin dernier. Un constat qui n’étonne pas les sociologues, et notamment Ouisa Kies, spécialiste de la radicalisation en prison :
« Il y a un effet pervers d’un groupe homogène : c’est un plaisir pour eux de se retrouver entre eux, et il n’y a pas vraiment de perspective pour qu’ils sortent de ce groupe ».
A la tête d’une recherche-action, elle s’attarde plutôt à « prendre en charge » les détenus radicalisés : « Nous essayons de discuter avec eux, de leur proposer des alternatives à la violence ». Un projet sur le long terme, qui cherche à trouver une issue à la radicalisation, assez loin des mesures prises sous l’émotion par un gouvernement pressé de montrer sa réactivité.
Une politique carcérale à revoir
« Les moyens ne suffisent pas s’ils ne s’inscrivent pas dans un projet d’ensemble, relève Claire de Galembert, on est plus dans une collection de mesures et de décisions que dans un véritable plan d’action raisonné ». Face au manque de personnel, à la surpopulation carcérale, à l’absence d’activités au sein de certaines prisons, la prison a tendance à favoriser « l’ancrage dans la violence », déplore-t-elle, rejointe par Sarah Dindo :
« Quand on regroupe des personnes dans un lieu clos, certaines en influencent d’autres. Ce n’est pas un phénomène religieux à proprement parler ».
Le ministère de la Justice reconnaît que « les conditions de détention [peuvent] participer du basculement dans la radicalisation », et s’est par conséquent engagé à améliorer ces conditions, « pour 26 millions d’euros sur 3 ans« .
« La prison est un lieu parmi d’autres de radicalisation, car c’est un lieu de socialisation », précise Ouisa Kies. Les conditions de violence et d’isolement n’arrangent pas les choses, mais cela ne fait pas de la prison le lieu de radicalisation par excellence : en janvier, seuls 16% des détenus incarcérés pour islamisme radical avaient déjà séjourné en prison.
« La radicalisation en prison est un faux débat, estime Ouisa Kies. Le vrai problème, c’est qu’il n’y a pas de politique carcérale cohérente ». Seules des politiques de long terme, qui visent à faire du séjour en prison un moyen de réinsertion dans la société, semblent pouvoir endiguer un phénomène qui prend ses racines souvent avant l’incarcération : dans la famille, sur Internet, dans certaines mosquées… Autant de lieux où des jeunes en quête identitaire peuvent faire des rencontres qui les pousseront à se tourner vers la radicalisation.
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