Délaissant ses Arctic Monkeys le temps d’une courte pause, Alex Turner monte The Last Shadow Puppetset signe un épatant album de pop épique.
Lorsqu’on a rencontré, un matin de mars, les deux Anglais de The Last Shadow Puppets à la table d’un café parisien, on a d’abord eu un peu peur : Alex Turner, leader des Arctic Monkeys, que l’on sait fichtrement futé, perché, du haut de ses 22 ans, bien au-dessus de la mêlée des groupes anglais, avait-il décidé de convoquer un bon copain (Miles Kayne, chanteur du groupe Rascals) pour s’amuser un peu loin de son groupe et se lancer dans le championnat du monde de private jokes ? L’entretien que la paire nous a accordé ce jour-là ne restera pas dans les annales, les deux gus s’étant d’abord lancés dans un concours d’à-qui-sera-le-plus-enfantin.Effrayés donc mais à tort, parce qu’il fallait n’y voir qu’une bébête session de promotion entre amis. Et parce que, c’est là l’essentiel, les deux potes viennent de signer un des grands albums anglais de 2008 – un disque qui brasse dans une même étreinte le romantisme disparu de Love et la gouaille des Arctic Monkeys, le lyrisme noble de Scott Walker et l’écriture bien ficelée de The Coral. Rien que ça.
L’histoire est pourtant tout ce qu’il y a de plus simple : Alex Turner et Miles Kayne se sont rencontrés alors que leurs groupes respectifs partageaient l’affiche d’une tournée en Angleterre. Ayant sympathisé, ils décident, il y a un peu plus d’un an, d’écrire des chansons à quatre mains, sous le nom de The Last Shadow Puppets. “Tout est parti de notre amitié. Le groupe est secondaire. Nous sommes tous les deux auteurs, donc c’était agréable de partager le processus d’écriture. Nous avons rapidement eu une idée précise de ce que nous voulions faire. David Bowie et Scott Walker tournaient en permanence. Ce dont nous avions envie, c’était d’un disque à grande échelle, quelque chose de théâtral, presque dramatique.”Quelques semaines plus tard, le duo se retrouve en Anjou, dans une vieille grange convertie en studio d’enregistrement, avec le producteur James Ford (Klaxons, Arctic Monkeys). “Il n’y avait personne, juste des animaux autour de nous. Nous avons eu envie de fuir l’Angleterre et ses distractions. Cette collaboration était si nouvelle pour nous que nous avons voulu nous retrouver comme dans une bulle, séparés du monde, avec les fourmis comme seuls véritables partenaires du quotidien.”Dès la première écoute, l’album fourmille d’ailleurs de références. The Age of the Understatement démarre ainsi avec un fantastique single (du même nom), qui provoque l’agréable illusion qu’Arthur Lee de Love est ressuscité et qu’il tient maintenant un fish & chips dans le Sheffield du Kes de Ken Loach, un morceau exalté et détonant comme le Nord de l’Angleterre en fournit un par décennie, qui donne l’envie un peu folle de vouvoyer ses parents et de quitter les transports en commun pour monter à cheval et passer le reste de sa vie à réciter des poèmes les cheveux dans le vent.
Plus loin, c’est un grand mélange de genres que réussissent ici les deux amis, faisant convoler le songwriting social anglais des Streets – cher aux Arctic Monkeys – et un lyrisme, un romantisme plus universels, tout droit hérités de Scott Walker donc, mais aussi de Jacques Brel, autre influence revendiquée par le duo. Au final, The Age of the Understatement ressort à la fois rétro dans le fond et résolument moderne dans la forme. “Nous avons tenu à faire appel à un producteur dit “contemporain”, parce qu’il était hors de question de signer un album-pastiche. C’était très bien de travailler avec quelqu’un comme James, qui a beaucoup d’idées modernes, plutôt que de tomber sur un fanatique d’instruments vintage qui aurait transformé notre travail en disque-hommage.”
Et lorsqu’on demande à Turner, passé maître dans l’art de raconter le quotidien anglais dans ses moindres détails, si ses nouvelles influences ne l’ont pas freiné dans son processus d’écriture, le jeune homme se défend. “Ma façon d’écrire est en perpétuelle progression. Les textes et la poésie ont toujours eu une importance particulière pour moi. Et je défends l’idée qu’on peut toucher les gens et atteindre quelque chose d’universel en racontant l’attente à un arrêt de bus. Je me suis aperçu que ça n’était pas si différent de ces chansons de grands songwriters dont les textes parlent de prostituées et du fait de boire du champagne jusqu’à plus soif.”Or, si l’ivresse est bel et bien au rendez-vous, The Last Shadow Puppets a aussi soigné le flacon, s’en remettant pour cela au Canadien Owen Pallet du groupe Final Fantasy, par ailleurs collaborateur régulier d’Arcade Fire. Le jeune homme s’est chargé d’apporter à l’album son lot de cordes et d’arrangements, faisant même intervenir le London Metropolitan Orchestra lors de l’enregistrement. De Standing Next to Me, qui aurait mérité sa place sur le dernier album de The Coral – c’est dire si c’est bien –, à l’orchestré The Chamber, The Age of the Understatement apparaît comme un grand album de pop épique ou une audacieuse parenthèse solo d’un petit génie déjà lassé du triste retour du rock dans son pays. Et qui, en intitulant son album “L’Age de la litote”, vient d’offrir une belle nouvelle figure de style au vocabulaire musical britannique.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}