Dans Corollaires d’un vœu, Hélène Cixous poursuit son œuvre autobiographique et redonne vie à son passé amoureux. Une méditation sur la mort, le deuil et le pouvoir de l’écriture.
Rêver les livres des autres en étant son propre objet d’étude. Critique, féministe, championne de la théorie des genres avec Le Rire de la Méduse en 1975, Hélène Cixous a mené de front une carrière d’universitaire et un ambitieux travail d’exégèse (relisant les œuvres de Joyce, Lispector, Kafka), en parallèle d’une œuvre intime, plus en pointillé. Elle recevait ainsi le prix Médicis dès 1969 pour Dedans, hommage à son père trop tôt disparu.
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Avec la même justesse, elle poursuit, à 78 ans, le récit des souvenirs de sa vie à l’instant où celle-ci s’étiole. Après Abstracts et brèves chroniques du temps en 2013, ce second volume de ces mémoires figure ce qu’elle qualifie avec ironie de “livre-que-je-n’écris-pas”. Soit des bribes de souvenirs délibérément chaotiques, glanés dans ses carnets, dans les déambulations de la mémoire, dont Cixous tisse les liens secrets et mystérieux depuis des années.
Irréalité onirique
Rappelant la démarche de Journal de deuil de Barthes, Corollaires d’un vœu est un combat contre l’oubli de ceux qu’elle a aimés : sa mère, Eve, la belle centenaire d’Homère est morte (2014) ; deux hommes adorés dont l’un fut son compagnon, Isaac, et l’autre un amant, John, auquel elle renonça par fidélité au premier à la fin des années 1960. Tout cela, Cixous le raconte avec pudeur et plonge ses phrases dans une irréalité onirique.
Les références littéraires y sont pour quelque chose. De Stendhal à Ovide, le texte est hanté par ces images, à la croisée de la réalité et la fiction, le vécu et la représentation romanesque. Ainsi, de même que l’écriture libère du corps et annule la différence sexuelle, selon la thèse féministe défendue par Cixous, c’est encore elle qui offre une échappatoire à la décrépitude et notre fin programmée.
“L’avion de la littérature”
Rares sont les auteurs à affronter l’imminence de leur propre déclin (non pas celui des autres). Cixous l’aborde avec lucidité, tournant autour de ce vertige, comme de sa propre tombe, œuvrant par avance à sa propre résurrection “par l’avion de la littérature” : “Depuis que la pensée de sa mort est entrée dans sa vie, rien ne peut plus l’arrêter d’écrire.” Ce “livre de sauvetage” atteint par son élan presque sacré des sommets d’autobiographie poétique.
Corollaires d’un vœu (Galilée), 160 pages, 26 €
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