Pour son troisième album solo, Jim, l’Anglais Jamie Lidell tourne le dos à son passé electro pour totalement assumer son amour du groove et de la soul. Torride.
La musique n’a pas attendu le protocole de Kyoto pour se mettre au vert : le recyclage y est omniprésent. Que l’ombre du père soit grossièrement affichée ou que tel artiste soit le fruit d’influences savamment digérées, même les courants les plus novateurs convoquent des maîtres, des références. Heureusement donc que la qualité d’un disque ne se mesure pas à travers un banc d’essai de sa teneur en génie avant-gardiste. Meilleur exemple du moment : Jamie Lidell.
Ce grand anglais de 34 ans a utilisé la musique électronique pour démarrer sa carrière et comme outil pour parvenir à ses fins. Pour au final, mettre un terme au quiproquo – non, ce n’est pas un électronicien de plus – et réaliser son rêve avec Jim, son troisième album solo, un disque de funk soul brother, un disque de crooner, un vrai disque de crâneur. A y regarder de près, son parcours témoigne d’une persévérance sans failles.
Il grandit en rase campagne au sud de l’Angleterre, près de Cambridge, dans « un endroit entouré de champs jaunes » mais aussi entouré par la musique. « Ma mère adorait chanter, il y avait toujours de la musique à la maison. On chantait tout le temps, pour faire les courses, en voyage… » Il n’a que 6 ans quand sa famille s’installe aux États-Unis où la télévision le laisse bouche bée. « L’une des mes premières influences musicales a été Rue Sesame. Et les musiques de Mike Post pour les séries, L’agence tous risques, Magnum… des thèmes incroyablement bons. » De retour en Angleterre, il trouve son Graal musical. « Je me suis installé à Bristol pour mes études au moment où Massive Attack explosait. La musique funk, soul, groove, y était omniprésente. Tout se mélangeait, j’ai découvert Prince, Funkadelic, Sly Stone, des artistes aux pochettes cool. »
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L’époque voit l’Angleterre succomber au trip-hop mais surtout à la house. Jamie Lidell y trouve le moyen idéal pour créer en toute autonomie. « J’ai mis toutes mes économies dans un sampler. J’avais lu que c’était le truc cool à avoir. » Une démo de ses titres circule et il fait la connaissance de deux musiciens techno avec qui il fonde Subhead. « C’était l’époque excitante des raves Ils m’ont fait découvrir la techno, la musique de Detroit… »
Lidell devient fan du producteur techno chilien Cristian Vogel qu’il rencontre chez lui à Brighton. « Il ne sonnait comme personne. Nous sommes devenus amis, il m’a ouvert à l’electro allemande.” Les deux montent Super_Collider dont le Head On de 1999 est aujourd’hui culte pour tout amateur de house minimale : l’album concasse le p-funk et le fait rentrer dans un format électronique décharné, marqué par l’acid à l’anglaise, avec déjà, l’incroyable voix de performer de Lidell.
En parallèle d’un deuxième album excellent mais passé inaperçu, Raw Digits, le lion Jamie Lidell s’est mis à rugir en solitaire. « Un de mes titres, Daddy’s Car, a séduit Rob Mitchell, le patron du label Warp, qui y a décelé un potentiel r’n’b. En signant chez eux, ils ne savaient pas comment évoluerait ma carrière. Moi non plus d’ailleurs. » Son premier disque solo, Muddlin Gear (2000), porte encore les scories d’une electronica barrée, malmenée et triturée par un savant fou. Un disque dérangeant encore moins accessible que les productions de ses voisins de label Aphex Twin, Squarepusher ou Autechre, tous pourtant extrêmes dans leurs genres. Mais avec l’effrayant Muddlin Gear, nul ne sait où Lidell veut en venir.
La réponse viendra cinq ans plus tard sur Multiply où l’Anglais réussit à y coucher ses folies de performer. Car qui l’aura vu sur scène à ce moment là aura eu un sacré choc. Seul avec un ordinateur derrière lequel il s’agite telle une puce sous acide, il lâche un live furieux d’un nouveau genre où il chante et danse comme un Prince du troisième type. « Aujourd’hui, beaucoup de gens utilisent des boucles mais c’était nouveau à l’époque. » Matthew Herbert lui demande alors un remix. « C’est comme ça qu’est né le côté Motown de Multiply. Avec ce son, je me suis senti comme un chercheur qui trouvait de l’or. » De l’or, ce n’est pourtant pas sur lui que Jamie a pu rouler avec ce disque. « J’ai fait Multiply dans un but commercial et ça m’a rendu fou de voir Amy Winehouse arriver après et connaître un tel succès… Mais ça m’a aidé. J’ai compris que l’essentiel était d’avoir de bonnes chansons : quelle que soit l’instrumentation, ça marchera. »
Du coup, Jim ferait presque passer Multiply pour son brouillon. Enregistré entre Los Angeles et Paris avec de nouveau Mocky (à la production) et Gonzales, Jim fait la part belle aux instruments pour un disque de funk et soul à l’ancienne. Le compère Gonzales y joue du piano et de l’orgue, fait des arrangements et des chœurs. « Il a défini un nouveau son sur lequel j’étais totalement en accord » explique Lidell. Jim évoque les belles heures de Motown et de Stax, convoque les fantômes de Marvin, Otis et Sam. En dépit des références évidentes et d’un style rétro, sa grande force est de s’appuyer sur des compositions à l’efficacité folle, d’autant que Lidell se sent à l’aise côté textes : « l’ambiance de Jim est plutôt optimiste, comme moi. Avec un bon équilibre entre textes zen, expression de la frustration et anti-blues. »
Ainsi Little Bit of Feel Good déborde de bonheur là où Hurricane balaie tout sur son passage par son enthousiasme. Bien qu’ambigu vis-à-vis des modes, Lidell synthétise à lui seul une époque qui tourne en rond : « c’est étrange, j’ai entendu revenir au même moment en Angleterre les sons rave et soul. Exactement mes deux racines. » En dix bombes hédonistes et imparables, Liddel assume avec vieille classe ses seules racines soul sur Jim. Mais Dieu sait où l’on retrouvera ce nomade frénétique, aujourd’hui installé à Paris, sur son prochain album. Where D’ You Go?, interroge un des derniers titres de l’album. Demain, ça peut être partout, des tréfonds de l’électronica au sommet des charts.
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