Accrocheur en diable, le nouvel album des vétérans de WIRE transforme la pop en musique aussi abrasive que sensuelle.
Quand on me demande quelle est la place de Wire dans l’histoire de la musique, je réponds que nous sommes probablement le groupe le plus marquant de tous les temps. Ce qui est normal, après tout, pour des génies aussi complets que nous…” Avec une bonne dose d’humour tonguein- cheek, Colin Newman, le très affable leader de Wire, met tout de suite ses interlocuteurs au parfum : il n’acceptera pas qu’on le hisse contre son gré sur le piédestal des grandes légendes du rock. Trop humain pour vouloir devenir une statue de son vivant, trop lucide et humble pour se croire au-dessus du commun des mortels, il résume ainsi l’état d’esprit qui règne au sein de son groupe depuis plus de trente ans, et qui lui a sans doute permis de ne jamais céder à la tentation de l’embourgeoisement.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Réactivé en 2006 après une longue période de mise en sommeil, Wire bénéficie du retour en grâce du post-punk, devenu depuis quelques années un modèle dominant et une intarissable source d’inspiration pour beaucoup de petits jeunes. Comme celle de Gang Of Four ou des Talking Heads, sa cote est montée en flèche à la corbeille des influences. Mais face à un tel plébiscite, Colin Newman préfère là aussi garder la tête froide. “Je n’ignore pas que Wire est cité comme référence par de nombreux groupes, affirme-t-il. C’est évidemment assez flatteur, mais ça peut parfois être aussi très embarrassant… Je trouve qu’il y a beaucoup de paresse dans la production actuelle : trop de groupes se contentent de prendre dix influences et de les mélanger au petit bonheur la chance. La force de Wire, c’est que rien ni personne d’extérieur n’est jamais venu transformer sa musique : c’est dans sa dynamique interne que le groupe a trouvé de quoi se réinventer.”
De toutes les formations qui sont nées sur le cadavre encore chaud du punk, Wire est de fait celle qui a le mieux surmonté l’épreuve du temps. Restés fidèles à leur esthétique d’origine (palette instrumentale ramenée à l’essentiel, son tendu à l’extrême, sens mélodique très développé), les trois Anglais appartiennent à cette catégorie rare de musiciens qui se renouvellent en creusant obstinément leur sillon.
Leur onzième album, Object 47, ne déroge pas à ce rigoureux code de conduite : les couleurs brossées par Wire sont toujours aussi intenses et électriques, mais elles s’irisent cette fois-ci de reflets pop qui en accentuent l’éclat. “Nous avons longuement discuté de la tonalité que nous voulions donner à ce disque, raconte ainsi Colin Newman. Nous voulions tous une musique à la fois mélodique, immédiate et riche en textures. Je ne sais pas trop ce que recouvre le terme “pop”, mais il défend un idéal de fraîcheur qui me plaît. Personnellement, j’avais aussi envie de faire un disque ample, qui rivalise avec ce qui se produit dans les grands studios et tranche avec le côté lo-fi du rock indé.”
Le résultat est franchement jubilatoire. Sans perdre de son abrasivité ni de sa sécheresse de ton (l’album, plié en trente-cinq minutes, ne contient pas une once de gras), Wire, aujourd’hui réduit à l’état de trio suite à la défection du guitariste Bruce Gilbert, met sa force de frappe naturelle au service de chansons accrocheuses en diable, rarement croisées depuis leur mythique 154 de 1979.Et délivre au passage une savoureuse leçon de songwriting, qui devrait renforcer son statut d’éclaireur et de maître à penser. “Au début des années 90, on disait que toutes les bonnes chansons avaient été écrites, conclut Newman. On jugeait inutile de s’illustrer encore dans ce domaine – d’où le boum de la techno ou de la drum’n’bass. Aujourd’hui, il semble à nouveau pertinent de revenir à cette forme d’écriture, qui a ses limites mais qui brasse toujours des enjeux esthétiques passionnants. Avec le temps, je m’aperçois que je suis de plus en plus sensible à la mélodie et Object 47 m’a permis d’assumer pleinement ce penchant.”
{"type":"Banniere-Basse"}