Les Francofolies de Montréal font le plein. Suite de notre compte-rendu dans l’autre grand festival de la francophonie, festival où Camille vient faire oublier Bashung, JP Nataf et Albin de la Simone se marient, et où l’on découvre deux groupes québécois fantastiques, Gatineau et Malajube.
Après les quatre premiers jours de Festival, forcément, il fallait faire oublier Bashung et ses deux concerts mémorables prolongés par ceux de Christophe et Daniel Darc. Après sa performance en extérieur des plus réussies, les yeux se sont donc naturellement tournés vers Camille pour combler l’espace, le grand espace. Sur la scène d’un Spectrum plein comme un œuf, la jeune femme débarquait finalement moins décontractée et rieuse que la veille. Il faut dire qu’à quelques exceptions près, Camille préfère en général promener son Fil dans des salles de tailles très raisonnable, pour ne pas le perdre, justement, ce Fil. Pourtant, et même si le Spectrum était un peu plus vaste que là où Camille joue à l’habitude, celle-ci parvient d’emblée à convaincre son monde, à se mettre Montréal dans la poche. Moins vanneuse et funky que la veille, Camille laisse entrevoir ce soir ci sur plusieurs titres (Quand je marche, Rue de Ménilmontant) une profondeur de chant bouleversante, scotchant les spectateurs et rejoignant le camp des Cat Power ou Fiona Apple quand beaucoup ne parlent que de Zap Mama. C’est ce qu’on aime chez Camille, cette aptitude à se réinventer sans rien travestir, à se placer de côté lorsque tout le monde l’attend au centre (et Dieu sait que tout le monde ici aux Francofolies avait coché son nom sur le programme). Camille n’a pas déçu : elle a prouvé qu’elle était aujourd’hui l’une des artistes les plus passionnantes de l’Hexagone, loin devant là meute des chanteurs à piano qui racontent leur année de 4ème au lycée Jules Ferry.
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Montréal a eu la chance de voir cette Camille-là, comme le Français de passage à Montréal a eu la chance de découvrir Mara Tremblay, dont la voix impressionne par ses aspérités folk et sa hauteur, à tel point qu’il paraît qu’ici le fameux Mont Tremblant pourrait bientôt se faire rebaptiser le Mont Tremblay (à propos de mauvaises blagues, profitons en pour réparer une erreur écrite dans le compte-rendu précédent, et corrigée par une jeune et jolie lectrice : Robert Charlebois ne brasse plus sa bière, il a revendu l’affaire à des Ontariens, on n’est plus que malheureux de l’apprendre). Le jour d’après Camille, alors qu’on pensait avoir vu le Spectrum plus plein que jamais, Tiken Jah Fakoly fait encore plus fort : au moment où l’on pénètre dans l’endroit, la salle est en ébullition et le grand rasta ivoirien met une ambiance incroyable, convoquant même des spectateurs en transe sur la scène. Voilà longtemps que l’on n’avait pas vu un concert de reggae aussi intense, classe et péchu.
Le Spectrum est bouillant, et juste avant qu’il ne prenne feu on prend vite le chemin du concert commun de JP Nataf et Albin de la Simone, au Monument national, où l’on croise sur le chemin Brad Scott, alias l’un des musiciens de Bashung mais aussi DJ Smokehood, qui s’apprête à mettre le feu au Shag, l’endroit où l’on danse à Montréal pendant les Francofolies, jusqu’au bout de la bière et de la nuit. Brad Scott est hilare est déchaîné, le Shag s’apprête à imploser. Chez JP Nataf et Albin de la Simone moins de bruit et de fureur, mais néanmoins une pop parfaite, soignée, malade ce qu’il faut, jouée en duo par les deux compères du 20ème arrondissement de Paris. Sur une idée originale de Laurent Saulnier, programmateur des Francos, que de la Simone qualifie « d’être supérieur » avec une certaine lucidité, les deux s’échangent leur répertoire et marchent sur leurs plates bandes avec une joie non dissimulée. Dans cette venelle entre chez les uns et chez les autres, on prend un plaisir fou, et l’on prend même quelques frissons lorsque JP Nataf, tout seul, interprète cette chanson de chevet qu’est « Mon ami d’en haut », certainement l’une des plus belles entendue ces dernières années.
On refile ensuite au Spectrum, ou Tiken Jah a laissé la place à Françoiz Breut. L’ambiance est moins furieuse c’est sûr, mais la môme Breut joue sur un autre tableau, plus introspectif, et lorsqu’elle entame Tarifa, son morceau de bravoure, on n’est comme d’habitude un peu tout chose. Tout comme au moment de retrouver Jérôme Minière, dont le départ vers le Canada a laissé ici de grands inconsolables. Revenu dans la foulée de cet étrange personnage qu’est Herri Kopter, Jérôme Minière prouve qu’il est toujours l’un des songwriters les plus aigus de sa génération, lui a qui l’on doit cette punchline : « Avoir un gros chien, c’est déjà un avis de défaite ». Avis de défaite, c’est aussi ce que l’on avance au moment de rejoindre le Shag de DJ Smokehood, où épuisé par la fatigue on ne fera qu’un petit tour, croisant un « être supérieur » au top de sa forme.
Reposé, on file vite le jour qui suit au concert d’Amadou et Mariam, pour ce rendre compte que l’on devrait dire « le couple de rockers du Mali », et non pas « le couple aveugle du Mali », comme disent beaucoup (trop). Amadou a la guitare qui le démange, alors il gratte un petit peu, et on passe vite de la musique mandingue à de la musique complètement dingue. Mariam le suit à la voix, et c’est tout le Spectrum qui capote comme on dit au Québec, pour le début d’une des soirées les plus chouettes du festival. Parce que c’est après Amadou et Mariam, en première partie de Stefie Shock, que l’on découvre l’un des groupes les plus chouettes de la semaine. Ils s’appellent Gatineau, c’est un croisement entre Stupeflip et les Beastie Boys, et c’est vraiment un truc incroyable d’énergie. On est totalement décontenancé, surtout lorsque le MC du groupe se roule par terre alors qu’un de ses collègues dit « c’est notre chanteur, et c’est un breakdancer » : un moment surréaliste, drôle, sur des beats dérisoires et décalés comme on les aime. Devant un public venu on l’imagine plutôt pour Stefie Schock, Gatineau fait son truc sans se soucier de qui que ce soit, en laissant une impression colossale. On est impatient de voir ces types débarquer en France.
Tout comme on est impatient de voir débarquer un jour Malajube, l’une des autres sensations de cette fin de festival. Malajube, c’est des types habillé de rouge, qui jouent une pop-rock abrasive à découvrir sur un disque parfait, Le Compte complet. Bien avant que l’on assiste à leur concert, tout le monde nous avait parlé d’eux. Malajube, Malajube, Malajube. Et bien on a eu raison d’écouter, trois fois raison. Nous aussi maintenant, on dit Malajube, Malajube, Malajube, avec la certitude d’avoir vu jouer un groupe à l’avenir passionnant, qui encore une fois nous fait quitter Montréal avec la certitude que cette ville est vraiment un endroit privilégié pour faire de la musique.
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