Troisième album comme un menu de fête pour le chanteur mitron.On déguste.
On ne jauge le talent brésilien qu’à l’appétit. Contrairement à la nôtre qui fut insurrectionnelle, leur “nouvelle vague” (bossa-nova) n’a rien renversé parce que trop occupée à digérer lentement, paresseusement tel un boa, les acquis de la samba. Idem du tropicalisme, de la MPB, de l’Axé, du rap, du samba rock, dont chaque protagoniste s’est présenté ventre à terre en adepte d’une même philosophie qu’il faut lire ainsi au plan oedipien : pourquoi se contenter de tuer le père quand on peut le bouffer ? Bouffer Cartola, Pixinguinha, João Gilberto, Jobim, le choro, le frevo et le maracatu, c’est ce que firent Lenine, Carlinhos Brown et ceux de la novo géraçao. La coutume est ancienne. C’est vous dire : elle remonte à la capture du missionnaire Hans Staden par les Indiens tupis en 1522. Depuis son apparition en 2002, Seu Jorge, lui, nous semblait affligé d’un estomac délicat et timoré. Son premier album, Carolina, chipotait. Ses versions acoustiques et lusophones des chansons de Bowie dans le film La Vie aquatique amusaient certes, mais comme amuse-gueule. Quant à son second album, bien qu’étiqueté Cru, il n’offrait ni saignant, ni consistance. Et voilà que pour ce troisième service, Jorge chausse enfin les crocs, sort les grands couteaux, les fourchettes de banquet, branche les guitares d’équarrissage et les harmonicas d’Arizona bavant un blues de comptoir (America do Norte, Trabalhador). Qu’il envoie le cavaquinho et le berimbau de Mina do Condominio se faire picorer les cordes dans les cuisines de Beck. Entre un alléchant So no chat, comme rissolé dans son jus funky, un Samba rock qui donne le hoquet et un Eterna Busca onctueux comme une pâtisserie à goût pistache et glaçage variétoche, il a encore la place pour un sorbet romantique (Seu olhar), et une bossa qu’on en mangerait (Mariana). Voilà le menu de ce disque qui régurgite pas moins de 60 ans de musique. Pourtant, même aussi richement sustenté, vous ne pourrez résister à croquer ce Burguesinha d’une tentation extrême, d’une chair à la tendresse de péché. Là, entre pop radiophonique et samba du diable, on est dans les hors-d’oeuvre d’une nuit d’amour qui, selon les critères locaux, se doit d’approcher les élans cannibales. Dansez dessus tout l’été et alors vous pourrez crâner que vous êtes allé vous faire rôtir au Brésil.
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