Connasse hilarante, Camille Cottin a nuancé d’émotions sa drôlerie crissante cette année, dans Dix pour cent . Beau Gosse vraiment cool à ses débuts, Vincent Lacoste se rend désormais indispensable dans le cinéma d’auteur. Rencontre.
Camille, cette année, tu as prolongé au cinéma la vie de ton personnage de Connasse. C’est une façon d’y mettre un point final ?
Camille – En tout cas, je ne pense pas qu’on donnera une suite au film. La série mettait en scène des situations du quotidien. Le cinéma nous a permis de mettre en œuvre des enjeux plus intimes, plus personnels. Je crois que les auteurs et moi avons plutôt envie de faire autre chose.
Ensuite, il y a eu Dix pour cent. Le personnage d’Andréa Martel a été écrit pour toi ?
Camille – Pas du tout. Il est inspiré d’une personne réelle, une agent, Elisabeth Tanner. Dominique Besnehard, le producteur, la connaît bien, mais les auteurs de Dix pour cent, pas vraiment. Ils s’en sont donc un peu dégagés. Je n’ai rencontré Elisabeth qu’une fois lors d’un dîner et je n’ai pas essayé de la copier. Depuis la diffusion, elle m’a envoyé un message plutôt sympa : “J’espère que les filles dans le Marais te laissent quand même un peu tranquille” (rires).
Tu n’avais pas tellement été utilisée dans le registre dramatique avant Dix pour cent…
Camille – A l’image, non. Mais au théâtre, oui. Ce qui est beau dans une série, c’est qu’on peut explorer un personnage dans ses nuances les plus contradictoires. Andréa est tour à tour cassante, fragile, dure, attachante…
Vincent, ça a été pour toi une année charnière. Tu as été nommé aux César dans la catégorie meilleur acteur pour Hippocrate, Lolo a été un vrai succès et tu as enchaîné quatre tournages…
Vincent – Oui, j’ai beaucoup tourné. Après, savoir si c’était une année charnière, je ne me pose pas la question. C’est vrai qu’avec Hippocrate, pas mal de gens m’ont dit qu’on me découvrait dans un emploi moins ado, plus dramatique.
Maintenant, on me propose davantage des rôles d’adultes. Ce n’est pas le cas de Lolo, où mon personnage n’est encore pas vraiment un adulte. Mais j’avais déjà travaillé avec Julie Delpy, je l’aime beaucoup et j’aimais bien le côté tordu, malsain de ce personnage. J’ai tout de suite eu des idées sur la façon de le jouer. Mais de toute façon, je choisis un film plutôt par rapport au réalisateur qu’au personnage.
Tu as tourné ensuite avec Pascal Bonitzer, Delépine/Kervern, mais aussi des cinéastes plus émergents comme Justine Triet, Danielle Arbid, bientôt Guillaume Brac. C’est important pour toi de jouer avec de jeunes réalisateurs ?
Vincent – Oui, vraiment. Je trouve la dernière génération de cinéastes français passionnante. Il y a aussi Katell Quillevéré, Mia Hansen-Løve, Lucie Borleteau, Nicolas Pariser dont j’aime vraiment Le Grand Jeu… C’est important pour moi ce rapport à une génération. J’aime bien avoir l’impression de participer à un nouveau truc.
Camille, tu as toujours voulu être comédienne ?
Camille – Oui. Déjà toute petite je torturais ma petite sœur en lui faisant croire que nos parents étaient morts. J’adorais faire croire à des choses inventées. J’ai donc fait une école de théâtre, puis des petits boulots, et j’ai eu une licence d’anglais. Pendant cinq ans, j’ai enseigné dans des collèges. C’était un désastre, je n’avais aucune autorité, les élèves lançaient des trucs dans tous les sens… Puis j’ai fait du théâtre.
Même avant de devenir un peu connue, j’étais contente de mon métier, je faisais des trucs qui m’intéressaient, je prenais du plaisir. Aujourd’hui, des journalistes me disent “Alors, vous avez connu des années de galère…” Mais c’est pas du tout la galère, c’est la vie de la grande majorité des comédiens et ça va.
Pour toi, Vincent, le succès est venu très vite ?
Vincent – J’ai tourné Les Beaux Gosses à 15 ans et le film a marché. Mais ça n’a pas changé ma vie. J’ai continué le lycée jusqu’au bac. Ce n’est qu’après que j’ai commencé à tourner régulièrement, ce qui m’a permis de ne pas faire d’études, et tant mieux parce que ça aurait été catastrophique. C’est sûr que quand je tournais Astérix tout en révisant mon bac et que le tournage s’arrêtait si j’avais à passer le rattrapage, y avait une petite pression (rires). Et par rapport à Depardieu ou Deneuve avec qui je tournais le jour des résultats, ça aurait été la honte. Mais bon, je n’ai pas eu l’impression de monter dans la fusée Ariane et de ne plus rien contrôler. C’était tranquille.
Connasse, Andréa : c’est un plaisir, Camille, de jouer des personnages désagréables ?
Camille – Je ne sais pas pourquoi j’y arrive aussi facilement. Parce que dans la vie, vous le voyez bien, je suis quand même hypermignonne (rires). Mais je m’épanouis dans ce registre. Après, bien sûr, plus le personnage est ambivalent et plus c’est amusant à jouer. C’est bien aussi quand il y a une faille, comme chez Andréa. Connasse, c’est pas vraiment un personnage, c’est plutôt un clown.
Tu n’as jamais fait de théâtre, Vincent ?
Vincent – Une fois, avec Edouard Baer. C’était chouette. Mais je n’ai pas fait de cours, je n’ai aucune formation. Et on ne m’en propose pas beaucoup. Ça me fait un peu envie, même si je m’y sens moins à l’aise qu’au cinéma. Le problème avec le théâtre, c’est que c’est à l’heure du dîner et moi j’aime bien dîner (rires).
Ça dérègle complètement mon métabolisme, le théâtre. En plus, la relâche, c’est le lundi, et le lundi tous les restaus sont fermés… Je me retrouve à manger des bols de nouilles chinoises avant et après la représentation. Du coup, je grossis… Non vraiment, c’est chiant le théâtre (rires).
Quels sont vos films préférés, cette année ?
Camille – Moi, c’est Mustang et Much Loved. Au moins c’est clair, un cinéma féministe et engagé. (En regardant Vincent Lacoste) Bon, et puis Lolo, bien sûr (rires). Et toi ?
Vincent – Moi, j’ai aimé Trois souvenirs de ma jeunesse, Foxcatcher, Mia madre, The Visit…
Camille – Ah oui, Shyamalan…
Vincent – Il s’était perdu mais là, c’est à nouveau bien. J’adore l’idée de faire un film d’horreur où l’horreur n’est pas du tout provoquée par un truc surnaturel, mais par la chose la plus banalement humaine qui soit : la vieillesse. Le truc qui fait vraiment peur, c’est de se faire caca dessus, de perdre la tête, la déchéance sous toutes ses formes. Et il en fait un truc à la fois flippant et drôle.
Vous allez voir le nouveau Star Wars ? Vous êtes fan ?
Camille – C’est un mythe et je n’en ai vu aucun… On va vraiment penser que je vis sur une autre planète. C’est comme une série, j’ai l’impression que je dois commencer par le début. J’étais super petite gamine quand c’est sorti et je ne m’y suis jamais mise. Je pense que je suis plus fantasy que vraiment science-fiction.
Game of Thrones ou Le Seigneur des anneaux, j’adore. Et là, jouer avec les sabres laser, c’était marrant. J’attends que mon fils grandisse pour les mater avec lui. Là, il est déjà à fond. Chaque soir, je lui lis un bouquin pour enfants où tous les personnages de Star Wars vont se coucher.
Vincent – La première trilogie, je l’ai vue en salle, lors de sa reprise à la fin des années 1990. J’avais 5 ans et ça a été un gros choc. Le plus beau de tous reste L’Empire contre-attaque. Le début dans la neige, la fin hyper dark, le mythique “I’m your father” : c’est énorme.
Mais j’ai beaucoup aimé aussi la seconde trilogie, même si, avec le recul, ce sont de moins bons films. Le jour où est sorti L’Attaque des clones, en mai 2002, c’était quand même le plus beau jour de ma vie. On parle souvent des émotions que suscitent les films après leur vision. Mais il ne faut pas oublier les émotions parfois violentes qu’ils provoquent avant qu’on ne les voie. C’est aussi important.
Moi, je n’ai jamais eu envie de voir un film aussi violemment que les Star Wars entre 10 et 12 ans. J’y pensais tous les jours. C’était intenable. Je voulais absolument savoir comment Anakin Skywalker pouvait devenir Darth Vader. Et aujourd’hui, il m’en reste encore quelque chose. Le nouveau, je meurs d’envie de le voir. Rien n’égale les émotions de l’enfance.
Qu’est-ce qui vous fait rire ?
Vincent – Camille Cottin, déjà (rires).
Camille – Haha ! Cela dit, c’est vrai que moi j’aime beaucoup Les Beaux Gosses et plus largement l’univers de Riad Sattouf, très drôle et très sensible.
Vincent – Moi, j’adore Louis C.K., Bill Murray… Will Ferrell, même dans des films parfois pas terribles, est toujours drôle. J’aime beaucoup le cinéaste Greg Mottola, qui a réalisé à la fois SuperGrave et Adventureland, un très beau film avec Kristen Stewart et Jesse Eisenberg, jamais distribué en France.
Camille – J’aime beaucoup aussi Kristen Wiig. Notamment dans Mes meilleures amies.
Vincent – Les Deux Amis de Louis Garrel m’a aussi pas mal fait rire. Vincent Macaigne est souvent très drôle, même s’il n’est pas seulement ça.
Quels sont vos disques de l’année ?
Vincent – Kendrick Lamar, carrément ! To Pimp a Butterfly, c’est vraiment très très bon. En single, j’adore Hotline Bling de Drake (il esquisse la choré du clip en fredonnant). L’album de Tame Impala était pas mal. Au Baleapop de Saint-Jean-de-Luz cet été, j’ai vu Flavien Berger en concert et c’était hyperbien.
Camille – Jamie xx. Je le trouve hyper fort, même si ça me touche moins que les xx. Je suis une grosse fan du premier album, c’est devenu l’un de mes classiques. C’est d’une telle pureté.
Camille, on t’a vue sur le net dans une pub réalisée par Wes Anderson avec Brad Pitt…
Camille – C’était à mes débuts, une pub pour un téléphone japonais. J’avais 25 ans, je n’avais pas vu ses films. Sur le tournage, j’étais excitée parce qu’il y avait Brad Pitt. Un de mes collègues m’avait dit : “Mais non, la star c’est Wes Anderson”. Par la suite, je les ai tous vus et c’est devenu mon réalisateur préféré. J’aime son esthétisme, sa poésie, sa part d’enfance. Quand il sort un nouveau film, je suis aussi excitée que si je devais ouvrir mes cadeaux de Noël. J’aimerais vivre dans ses films.
En dehors du cinéma, qu’est-ce qui vous a marqués cette année ?
Camille – Qu’est-ce qui a marqué l’année ? La sextape de Valbuena ? (rires) Bon, non, ça a été une année vraiment secouante, bien sûr. Comme toute notre génération, je sors beaucoup dans les Xe et XIe arrondissements, même si je n’habite pas là. On a tous un ami ou un ami d’ami qui était dans le quartier ce soir-là. Dans le courant de nos vies, on est concentrés sur soi, on se dit que ça va, même si autour il y a des choses graves ou violentes. Et puis quand se produit un événement comme ces attentats, ça vole en éclats, on ne peut plus ne penser qu’à soi, on est obligés de se reposer la question de notre engagement.
Vincent – Et c’est arrivé deux fois dans l’année. C’est plus du tout possible d’être insouciant. Mais bon, c’est difficile de parler de ça. En tout cas, c’est devenu difficile de se souvenir d’autre chose que ça dans l’année.