Nés sur scène, les jeunes Parisiens défendent dans toutes les salles leur premier album, Ici le jour (a tout enseveli). Dandys, littéraires, pétris d’influences musicales allant de Dylan à Booba, ils tracent leur route avec passion. Rencontre.
“Nous sommes… Feu !… Chatterton !…” Arthur, le chanteur du groupe, a du mal à entamer le deuxième morceau du concert. “Vous êtes vraiment très intenses, ce soir !”, lance-t-il à une assemblée effectivement surexcitée. Nous sommes le 17 février au Trianon, à Paris, et les fans crient tant et si bien que le groupe doit patienter, en riant de joie, avant de pouvoir reprendre son set.
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Les cinq garçons viennent de jouer Ophélie. Quand le public se calme, ils enchaînent avec Fou à lier, puis Côte Concorde. Ils joueront bientôt La Mort dans la pinède, Boeing et bien sûr La Malinche, qu’ils étirent dans une version technoïde et musclée de presque dix minutes. En quelques mois à peine, la clique parisienne a su imposer ses petits tubes en concert.
Une vision universelle du rock
Tout au long de celui-ci (deux rappels compris), Arthur alterne les moments de transe et ceux de poésie pure, tandis que ses camarades se lâchent progressivement autour de lui. Ils sont comme possédés par une fièvre qui les dépasse une fois la musique en marche – plus vraiment les mecs tranquilles et blagueurs qu’on croisait, une bière à la main, quelques minutes avant de les voir monter sur scène…
Devant leur public, ils ne sont plus que gestes francs et tendus, mots lancés au ciel et pas de danse à la Ian Curtis. On a rarement vu, en France, un groupe si jeune maîtrisant une telle signature scénique. Depuis Noir Désir jusqu’aux éclats récents de Fauve ≠, rares ont été les Français capables de transporter une vision universelle du rock. Mille fois traversée mais toujours sur l’avant-poste du renouveau esthétique, cette musique trouve sa raison d’être sur scène : dans la chaleur, les cris et la communion d’un public avec son groupe préféré. Démonstration est faite au Trianon.
A la rencontre d’un public toujours plus dense
Une semaine plus tôt, Feu ! Chatterton est aussi sur scène, dans une plus petite salle. Au Théâtre du Garde-Chasse, aux Lilas, les cinq garçons sont dans leur élément. Leur live est rodé, efficace, et leur prestance aurait de quoi questionner le charisme de beaucoup de musiciens consacrés. En tournée quasi constante depuis des mois, à raison parfois de trois ou quatre concerts par semaine, ils ont pris l’habitude de naviguer d’une ville à l’autre, partout en France, dans les petites salles et d’autres plus grandes, à la rencontre d’un public toujours plus dense.
Car Feu ! Chatterton n’est pas le genre de groupe sur lequel on tombe par hasard en festival, en se disant : “Ah, tiens, c’est pas mal.” Après s’être révélé au festival Bars en Trans 2013 puis lors du concours inRocKs lab 2014, “Feu !” a su fédérer une communauté de fans fidèles qui, passionnée depuis qu’elle a vu le groupe sur scène, ne manque jamais une occasion de le retrouver quand il est de passage dans le coin.
Un album poétique et audacieux, jamais à court d’idées
Avec ses potes Clément, Sébastien, Raphaël et Antoine, Arthur a publié un premier album en octobre 2015. Enregistré entre Paris et Göteborg, en Suède, avec le producteur Samy Osta (Rover, La Femme…), Ici le jour (a tout enseveli) est à l’image de son titre : poétique et audacieux, jamais à court d’idées, à mille lieues des évidences musicales actuelles.
Sa veine littéraire, qu’on doit à la plume aiguisée d’Arthur, s’empare des thèmes de l’amour et de la mort d’une façon qui échappera aux jeunes gens trop modernes – la force de ces quelques chansons, c’est aussi leur intemporalité.“J’aimerais bien pouvoir dire qu’on vient du studio, qu’on est ce genre de groupe, nous dit Arthur. Mais la vérité, c’est qu’on vient de la scène. Les gens qui nous suivent nous ont connus comme ça.”
Il poursuit sur leur quotidien, le même depuis des mois : “Tout le monde fantasme la vie de musicien, mais il faut arrêter. Prendre un camion, partir dans des salles à l’autre bout de la France, ce n’est pas du tout sexy. Le vrai luxe, c’est l’instant du concert, cet échange fugace mais puissant qu’il permet. Le reste n’est pas très excitant et demande beaucoup d’abnégation. Moi, plus tard, je veux une famille, des enfants, et je sais d’avance que ce sera compliqué.”
“Nos live sont plus complets et plus professionnels”
A la fois bourré de références et libre d’inventer l’avenir, cet album trouve une nouvelle résonance aujourd’hui en se confrontant à la rigueur d’une tournée, avec ses exigences physiques et mentales, son engagement sur la durée et le besoin qu’elle induit d’aller plus loin dans l’ambition artistique.
Raphaël, le batteur, constate “un rapport nouveau à la scène et au public”. L’étape du premier album franchie, il a fallu mettre la barre plus haut et ne pas se reposer sur les acquis. Il continue : “Jusqu’à présent, on était beaucoup dans la présentation du groupe. Désormais, les gens qui viennent connaissent mieux, voire très bien, les morceaux. On n’a plus autant besoin d’aller les chercher, de les convaincre, mais il faut être à la hauteur des attentes. Du coup, on est plus détendus tout en se donnant davantage.” Clément acquiesce : “On n’a jamais été aussi fatigués qu’en ce moment, mais c’est cool. Nos live sont plus complets et plus professionnels, d’une certaine manière.”
“Je suis devenu très discipliné” Arthur
Quant à Arthur, qui termine chaque concert en sueur, tire sans manière sur sa voix rocailleuse et n’est pas avare d’une gestuelle toute particulière sur scène, il a également revu son approche de la vie de musicien : “C’est une période très intense, je suis devenu très discipliné. Ne serait-ce que pour préserver ma voix, je ne peux plus trop faire la teuf…”
“On est entrés dans une autre phase de notre parcours. Jusqu’ici c’était la course, la conquête ; mais maintenant que ça devient stable et qu’on a la chance de vivre de notre musique – même si on sait que c’est potentiellement précaire –, on ne le vit plus du tout comme ça : nous sommes musiciens, voilà notre fonction, notre métier.” Un métier qui n’est pas “le plus dur du monde”, ajoute-t-il, mais dont l’angoisse particulière tient au fait de ne pas décevoir, de se confronter encore et toujours à l’altérité du public.
Un courant d’air frais dans le rock français
Retour au Trianon. Le groupe y a joué au début de sa tournée en octobre, est revenu en décembre et s’apprête à y repasser en mars, puis en avril. En 2014, c’est également sous les boiseries mythiques de la salle qu’il a remporté la finale du concours inRocKs lab, décrochant à la fois le prix du public et celui du jury.
A l’époque, le groupe est déjà loin au-dessus de ses concurrents, pourtant prometteurs. Après La Femme et Fauve ≠ ces dernières années, Feu ! Chatterton se hisse d’emblée parmi les candidats sérieux au statut de groupe générationnel, faisant d’une poignée de chansons le symptôme d’un courant d’air frais dans le rock français.
Depuis des années, Feu ! Chatterton préparait son éclosion, mais sans plan préconçu, porté seulement par une approche singulière de l’écriture. Fan de Bob Dylan comme de Booba, biberonné à la pop culture autant qu’à la littérature, Arthur traîne dans ses cahiers plus de quinze ans d’écriture.
“Je ne comprenais rien au rythme, à la musique…”
Pendant longtemps, dès son enfance dans le XXe arrondissement de Paris, il griffonne des mots épars, passant un instant par le rap avant de rencontrer Clément et Sébastien. Il raconte : “A l’époque, Clément et Sébastien étaient les mecs cool du lycée. Ils gambadaient dans la cour entourés de jolies filles, et moi, comme dans une série B, je les regardais de loin. Un an plus tard, comme ils savaient que j’écrivais, ils m’ont proposé de chanter mes textes pour eux, qui faisaient déjà de la musique ensemble. J’étais hyper content mais ça a été une catastrophe. Je ne comprenais rien au rythme, à la musique… Pour eux, je n’étais qu’un cancre, un rigolo.”
“On est devenus cool quand on a arrêté d’essayer de l’être, sourit Arthur. Quand on a vu arriver Mustang, Lescop, Aline, La Femme et Granville, on s’est dit : ‘Putain, ça y est ! On peut faire de la musique en français sans être ringard !’ Et puis après, c’est Fauve ≠ qui est arrivé. Ça a donné un autre éclairage à la nouvelle scène française.”
Des journées entières à débattre sur chaque détail
Difficile d’imaginer la situation quand on voit Arthur sur scène aujourd’hui, flamboyant comme un leader – ce qu’il n’est pas. Groupe férocement démocratique, quitte à perdre des journées entières à débattre sur chaque détail, Feu ! Chatterton prend forme dans les années qui suivent, en parallèle des études (brillantes) de chacun. Bientôt, ils seront rejoints par Antoine et Raphaël, qui ont reçu une formation musicale plus solide. A partir de là, on connaît l’histoire.
Le message est transmis aux Victoires de la musique, qui continuent de décerner des prix à Johnny Hallyday. Le 12 février sur France 2, en direct du Zénith, les live défilent à l’écran. Quelques prestations sauvent la mise (Christine And The Queens, Hindi Zahra) mais l’ensemble reste au niveau des habitudes.
En direct devant presque trois millions de personnes
Ce soir-là, un seul espoir a raison de notre mauvais esprit. Feu ! Chatterton, sélectionné dans la catégorie “révélation scène”, participe pour la première fois. Le groupe joue le jeu et fait comme s’il était normal, pour lui, de se produire en direct devant presque trois millions de personnes. Toutefois, malgré une interprétation très classe et très maîtrisée de La Malinche, c’est Hyphen Hyphen qui remportera curieusement cette chère Victoire.
Pour le reste, on ne manquera pas le rendez-vous de Feu ! Chatterton avec l’avenir, que le groupe pourrait bien se mettre dans la poche en un rien de temps (il serait déjà au travail sur un deuxième album). Et si Arthur et ses potes ne sont pas dupes des aléas de la vie d’artiste, ils n’en gardent pas moins une foi profonde en ce projet enfin abouti qu’est leur aventure commune.
“On se rend compte que c’est illusoire d’imaginer toujours plus de sommets à atteindre, conclut Arthur. Quand on fait de la musique, il y a toujours des fantasmes de gloire, de succès, de reconnaissance… Mais quand tu frôles du doigt ton rêve, que reste-t-il après ça ? Avec ce groupe, on a trouvé une quête suffisante pour une vie entière.”
album Ici le jour (a tout enseveli) (Barclay/Universal)
concerts le 5 mars à Grenoble, le 7 à Paris (Trianon), le 9 à Reims, le 10 à Esch-sur-Alzette (Lux.), le 11 à Strasbourg, le 12 à Dijon (+ Pain-Noir), le 18 à Caen, le 19 à Angers, le 23 à Massy, le 24 à Allonnes, le 1er avril à Toulon, le 2 à Istres, le 4 à Paris (Trianon), le 22 à Rennes (+ La Femme), le 29 à Brainans, le 30 à Bourg-en-Bresse, le 11 mai à Paris (Trianon), le 19 à Bruxelles (+ Radio Elvis), le 20 à Saint-Etienne (+ Radio Elvis), le 28 à Laval, le 25 août à Charleville-Mézières
Feu ! Chatterton, c’est…
Clément Doumic
guitariste et claviériste, 28 ans
Malgré son regard sombre, Clément est un type calme et sensible. Il est fan d’Arcade Fire et de Radiohead (surtout pour Jonny Greenwood), mais ce qu’il aime par-dessus tout, c’est oublier Paris pour voyager. Les périodes de tournée sont donc pour lui l’occasion idéale de rencontrer de nouvelles têtes et de partager un sourire, qu’il finit toujours par lâcher.
Arthur Teboul
chanteur et parolier, 28 ans
Avec ses airs de personnage de film noir, à la fois poseur, fêtard et séducteur, Arthur porte l’image du groupe sur ses épaules. Consommateur insatiable de chanson et de littérature, il écrit ses premiers textes à 10 ans, puis s’essaie au rap avant de rencontrer Clément et Sébastien au lycée, à Paris. Ces derniers l’encourageront bientôt à écrire pour eux et leur musique, jusqu’à la révélation commune que sera Feu ! Chatterton.
Raphaël de Pressigny
batteur, 27 ans
En 2014, après avoir vu la bande-annonce du film Whiplash, Raphaël annule ses vacances et s’enferme dans une maison de campagne. Jour et nuit, pendant une semaine, il joue jusqu’à l’épuisement… C’est dire l’obsession du garçon pour la perfection rythmique, qu’il développe depuis toujours à travers sa passion pour les sons traditionnels africains et la musique répétitive. C’est le pilier technique du groupe.
Sébastien Wolf
guitariste et claviériste, 28 ans
Diplômé de l’Ecole normale supérieure en physique (oui, oui), Sébastien a finalement délaissé les ondes gravitationnelles pour les distorsions de sa guitare. Toujours enjoué, affable, souriant, c’est le genre de mec à se faire draguer sans s’en rendre compte, ignorant que ses mèches rebelles et son perfecto, qu’il ne quitte jamais, ne laissent pas insensible. Dans les débats sans fin du groupe, il arrive à calmer le jeu.
Antoine Wilson
bassiste, 26 ans
Discret comme tout bassiste, Antoine est le plus jeune de la bande. Il est aussi le plus rêveur, du genre à se perdre dans ses idées en fixant bizarrement le plafond. Doté d’une solide formation classique due au Conservatoire, Antoine s’est toutefois révélé, aussi, à l’écoute des Ambient Works d’Aphex Twin. Il ne transige pas sur l’exigence artistique et pourrait encourager, avec Raphaël, des directions musicales inattendues pour l’avenir du groupe.
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