Face à David Cronenberg, on n’en mène pas large. Tête d’iguane hirsute, yeux bleus acérés, parole concise et rapide, le réalisateur canadien tétanise sans effort son interlocuteur. S’il n’est pas nécessaire d’être un cerveau pour faire de grands films, cela peut aider. Démonstration par l’exemple.
Le projet : « J’ai reçu le script de A History of violence par l’intermédiaire de mon agent. Je cherche en permanence des excuses pour ne pas écrire mes propres scénarios. Mais je ne savais pas au départ qu’il s’agissait de l’adaptation d’une bande dessinée. Plusieurs choses m’ont attiré d’entrée dans le scénario. D’une manière indirecte, c’est un film assez proche de Spider dans la mesure où il s’agit de deux histoires de famille et de deux caractères principaux qui s’inventent une fausse identité qui devient réelle. J’aimais aussi le côté drame américain classique. J’apprécie les films dont la complexité émerge progressivement de la simplicité. Comme dans un western de John Ford, il s’agit d’un homme qui protège sa famille avec un fusil contre d’autres hommes armés. Et cela m’intéressait de parler du rêve américain de la petite ville tranquille. Surtout aujourd’hui. »
Une histoire de la violence : « Il y a plusieurs niveaux d’interprétation du titre. Dans la presse, on lit souvent : « un homme a été arrêté avec « a long history of violence » (un lourd casier judiciaire ndlr). Il y a donc, d’abord, l’aspect personnel mettant en jeu le passé d’un personnage spécifique. Puis il y a la dimension nationale, américaine, qui m’intéresse aussi. La mythologie de l’Ouest et le droit de défendre sa propriété par les armes. Mais si vous réfléchissez, plus généralement, à l’origine de n’importe quel groupe humain, la violence est toujours présente. L’établissement d’une nation repose toujours sur la violence. Il n’y a pas que les Etats-Unis. Le problème actuel avec les Etats-Unis, est le pouvoir qu’ils exercent sur les autres pays et la façon dont l’administration Bush exploite la mythologie de l’Ouest en disant : « Puisque nous avons été attaqués, toute violence en retour est justifiée. » Il y a cette approche simpliste de la politique étrangère qui englobe le monde entier dans un schéma de western. »
Canada vs USA : « Les Canadiens et les Américains sont souvent proches mais leur rapport aux armes est très différent. Michael Moore déforme la vérité dans son film. Je lui en ai déjà parlé. Il dit que le Canada a le même nombre d’armes que les Etats-Unis mais il ne précise pas qu’il s’agit de fusils de chasse que possèdent les fermiers à la campagne. Personne, au Canada, ne possède un pistolet neuf millimètres dans sa table de nuit. Vous ne pouvez pas obtenir un fusil pour votre défense personnelle. C’est illégal. Il y a aussi beaucoup de différences culturelles. Nous n’avons pas eu de guerre civile ni de révolution. Il n’est pas marqué dans notre constitution que les citoyens ont le droit de prendre les armes pour renverser leur gouvernement. Je lui ai dit : « Cela ne me gêne pas que tu utilises le Canada pour critiquer ton propre pays mais la différence entre les Canadiens et les Américains n’est pas magique ou mystique, elle est sociale et politique. » Voilà, c’est le résumé de ma dispute avec Michael Moore. »