LUNDI 16 > CONTES DE LA VIOLENCE ORDINAIRE A Cannes naît parfois le sentiment que tous les films racontent la même histoire. Vus le même jour, A History of Violence et Manderlay (Sélection officielle Compétition) sont construits sur des canevas dramatiques très proches. Les deux films mettent à l’épreuve l’idéalisme de leurs personnages face […]
LUNDI 16 > CONTES DE LA VIOLENCE ORDINAIRE
A Cannes naît parfois le sentiment que tous les films racontent la même histoire. Vus le même jour, A History of Violence et Manderlay (Sélection officielle Compétition) sont construits sur des canevas dramatiques très proches. Les deux films mettent à l’épreuve l’idéalisme de leurs personnages face à la barbarie du monde. La famille de Viggo Mortensen dans A History of Violence se refuse à pratiquer la loi du Talion. Mais le fils devra néanmoins sortir les griffes pour ne pas subir les brimades perpétuelles des gros bourrins de son collège. Et le père sera bien obligé de surenchérir dans le carnage pour ne pas voir tous les mafieux d’Amérique venir chahuter le charme paisible de sa retraite middle-class.
Grace, l’héroïne de Lars von Trier (passée des traits de Nicole Kidman à ceux non moins gracieux de Brice Dallas Howard), ne peut, elle non plus, se résoudre à ce que l’homme soit mauvais et violent par nature. Echappée de l’horrible village tracé au sol de Dogville, elle débarque dans une communauté plus dingue encore puisque l’esclavage des Noirs n’y a pas encore été aboli. Elle a tôt fait de transformer l’exploitation de coton en véritable coopérative autogérée, où anciens maîtres et esclaves, blancs et noirs, travaillent main dans la main pour le bien de tous. Mais là encore, les vieux habitus ne se laissent pas si facilement éradiquer. Et la jeune rousseauiste en fichu va voir sa belle utopie démocrate subir les pires déconvenues.
Ce qui sépare le splendide A History of Violence du pénible Manderlay, c’est toute la distance entre la lucidité et l’intelligence coupantes de David Cronenberg et le cynisme rigolard du bouffon Lars von Trier. Car une fois encore la faillite des idéaux de son héroïne semble au fond ravir le cinéaste danois. Elle lui permet d’exercer son sadisme d’épingleur de papillons. Plus Grace est humiliée et plus le film jouit. La cruauté du cinéaste serait moins gênante si elle ne se drapait pas dans une prétention politique dérisoire (assortie d’un antiaméricanisme ultra démago). Dans son théâtre de poupée (le film reprend le dispositif théâtral de Dogville), Trier règne en démiurge, défait et refait démocraties et tyrannies. Mais avec ce convenu conte philosophique, il n’a jamais paru aussi seul, coupé des enjeux du cinéma contemporain.
A History of Violence, en revanche, ravit dès la première image et tient jusqu’à la fin sa violence sourde de série B conceptuelle et subversive. Cronenberg tord tous les schémas du scénario habituel d’autodéfense, joue avec une malice folle avec tous les fantasmes de menace extérieure et pilote avec une maestria ébouriffante ce traité métaphysique aux allures de haletant thriller (lire entretien p. 33).
S’il y a des cinéastes qu’on ne saurait taxer de cynisme, ce sont bien les frères Dardenne. L’Enfant (Sélection officielle Compétition) est une nouvelle fable humaniste, généreuse et puissante, qui noue elle aussi les motifs de l’innocence et du mal mais pour dessiner une trajectoire inverse aux deux films précédents. Ici, la barbarie revet son visage le plus banal, celui de Bruno, petit receleur à la manque, qui, pour parer à ses besoins pressants, vend son enfant. Une fois encore, ce qui intéresse les Dardenne, c’est le déclic de la conscience, le moment où le petit sauvageon, mû simplement par le souci de survie, se range du côté du Bien. Mené comme un film d’action, avec des scènes de poursuite à la hauteur des plus beaux westerns, L’Enfant est porté par un acteur éblouissant, Jérémie Renier, qui retrouve les Dardenne et confirme avec éclat sa belle « promesse ». J.-M. L.
Vus également : Alice (Quinzaine des réalisateurs) du Portugais Marco Martins, un film très noir (presque en noir et blanc), traversé de moments de suspense insoutenables. Et aussi Le temps qui reste de François Ozon, plus intéressant que ses deux précédents films mais pas totalement convaincant (lire le portrait de Melvil Poupaud ci-contre).
MARDI 17 > FLEURS ET ÉTOILES
On attendait avec impatience Broken Flowers de Jim Jarmusch (Sélection officielle Compétition). On n’est pas déçus. On retrouve la patte du cinéaste américain : sens du cadre, héros retenus et taiseux, understatment, humour cafardeux, amitié virile, poésie zen, etc. Le personnage principal du film (interprété par Bill Murray), un « Don Juan sur le retour », part à la recherche d’un hypothétique fils. Il va ainsi revoir quatre de ses anciennes maîtresses. La rencontre a toujours été l’un des principaux moteurs du cinéma de Jarmusch (lire p. 35), et celles-là (avec des actrices superbe : Sharon Stone, Frances Conroy, Jessica Lange et Tilda Swinton) constitueront toutes un événement à part entière, unique, superbe, émouvant et drôle. Jarmusch a le don de faire parler le regard de ses acteurs, et les douleurs et les traces laissées par le temps qu’on y devine sont tout simplement bouleversantes. Broken Flowers n’a sans doute pas la portée métaphysique d’un Dead Man, mais c’est le film d’un cinéaste en pleine maturité.
Pour un seul de mes deux yeux de l’Israélien et militant propalestinien Avi Mograbi (Hors Compétition) est un documentaire parfois rageur, parfois plus réflexif sur ce que signifie, au quotidien, le blocus israélien. Mograbi démontre brillamment que deux des mythes principaux qui travaillent en profondeur la société israélienne celui de Samson (qui fit s’écrouler le temple sur lui et les Philistins) et celui du massacre de Massada (ou comment des zélotes préférèrent se suicider que de tomber aux mains des Romains) se retournent aujourd’hui contre les Israéliens, car les attentats suicides dont ils sont victimes sont le fruit de la même idéologie. Le film parvient à son but : montrer la complexité de la situation. D’un côté qu’Israël maltraite les Palestiniens, de l’autre que ce pays est bel et bien une démocratie et un Etat de droit.
Pour ceux qui n’ont jamais vu un film du Lituanien Sharunas Bartas, disons que Seven Invisible Men (Quinzaine des réalisateurs) se trouve au croisement des cinémas d’Alexandre Sokourov et de Béla Tarr. Les sept hommes invisibles du titre sont des marginaux qui vont bientôt se réunir dans une ferme isolée pleine d’animaux, semblable à une arche de Noé dont on se demande comment elle a pu survivre au déluge (ici de flammes, d’alcools et de peine). Avouons-le, je n’ai rien compris à ce qui se déroule vraiment dans ce film, mais l’essentiel est ailleurs. Quelle beauté, quelle puissance d’expression, quel don pour filmer le grain de la peau, la misère, le souffle, la joie du chant et de la danse, pour enregistrer le son d’une cigarette qui se consume ou les propos nauséeux de types qui se biturent !
Plus drôle : le court métrage d’Axelle Ropert (lire portrait p. 37), Etoile violette (Quinzaine des réalisateurs), d’une grande délicatesse et d’une élégance rare sous influence d’Eugene Green ? Le soir, l’événement principal se résumait en un seul mot : pluie. On ne voyait pas les étoiles. J.-B. M.
Vu également : Pas spécialement attendu, Shanghai Dreams restera comme l’une des bonnes surprises de la compète. En s’inspirant de son propre vécu, Wang Xiaoshuai chronique le quotidien d’une famille expatriée de force dans la Chine profonde. Riche en situations dramaturgiques fortes, superbement mis en scène, Shanghai Dreams évoque le travail d’un Jia Zhang-ke ou du disparu Lin Cheng-sheng.
MERCREDI 18 > FAIRE L’AMOUR OU DÉLIRER
« Souriez, vous êtes filmé. » C’est l’ahurissant slogan d’une publicité pour la politique sécuritaire de la ville de Cannes, annonçant avec fierté que cent caméras de surveillance sillonnent la ville. Le télescopage de cette campagne d’affichage avec l’invasion de la Croisette par les télévisions a quelque chose de savoureux. On pourrait croire à l’intervention post-situ d’un artiste féru de critique des médias. Bien plus de cent caméras sont à Cannes cette semaine, mais rien ne sert de sourire, car les caméras de télévision, bien moins démocratiques que celles de la vidéo-surveillance, choisissent avec parcimonie qui mérite d’être filmé (stars, people, semi-people…). Heureusement, les dispositifs sécuritaires sont là pour ramener un peu d’égalitarisme dans ce possible devenir-image de tout un chacun. Il y a effectivement de quoi sourire.
Si être filmé à votre insu vous fait flipper grave, alors partez dans le Vercors connaître, dans le noir complet de la forêt, les joies du sexe à partenaires multiples avec les aimables quinquagénaires de Peindre ou faire l’amour, le film joyeusement hédoniste d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu. Pas d’amertume façon Lemming ici, pas d’illusions perdues ni de fatalité du renoncement. A l’âge où la vie sociale desserre un peu son étau, des époux matures (Auteuil et Azema) voient leur vie réenchantée par un couple de voisin (Sergi Lopez et Amira Casar) qui les initie à l’amour à quatre. Dans ce Festival où toutes les projections de la Compétition officielle sont précédées d’un extrait de film de Renoir (en bande-annonce de la grande rétrospective prochaine à la Cinémathèque française), Peindre ou faire l’amour ressuscite le panthéisme et la sensualité échangiste de l’auteur d’Une partie de campagne. Un ravissement.
On ne saurait parler tout à fait dans les mêmes termes des deux autres films du jour, Odete du Portugais João Pedro Rodrigues (Quinzaine des réalisateurs) et Eli, Eli… de Shinji Aoyama (Un certain regard). Ils sont tous deux très impressionnants, mais pas tout à fait du côté du plaisir et de la grâce. Eli, Eli… est une fable ésotérique qui voit le Japon menacé par une vague de suicides. Seule la musique, poussée dans ses extrémités les plus bruitistes, peut ramener l’humanité du côté des vivants. Filmé avec un sens du cadre évoquant les films des années 80-90 de Godard, construit de façon étoilée et complexe, Eli, Eli… est un film touffu, dense, extrêmement inventif, qui renforce l’admiration que l’on porte à l’auteur d’Eureka.
Depuis O Fantasma, on attendait beaucoup de João Pedro Rodrigues. Odete confirme bel et bien que le cinéaste compte désormais parmi les cinq ou six meilleurs en activité. Une jeune femme malheureuse dans son désir frustré d’enfant (son mec ne veut pas) s’immisce dans la famille d’un jeune homosexuel mort dans un accident, en prétendant être enceinte du défunt. S’ensuit une grande histoire d’amour morbide cernée par l’ombre hitchcockienne de Vertigo, un mélodrame totalement barré, où l’outrance gothique s’allie à une légèreté narquoise (lire portrait p. 31).
JEUDI 19 > ASIA, MIDI ET SOIR
C’est l’anniversaire du grand Kaganski. Le nouveau film d’Amos Gitai, Free Zone (Sélection officielle Compétition), démarre plutôt bien, avec Natalie Portman pleurant en écoutant une chanson enfantine, puis devient moins bien dès qu’un discours vient se coller sur les images, pourtant très belles. Je me déconnecte très vite du récit (bien lourd, avec ses trois personnages féminins emblématiques et incapables de se comprendre : une Israélienne, une jeune fille américaine dont le père est juif et une Palestinienne) pour me laisser bercer par les couleurs, et leurs mouvements abstraits, bien plus parlantes que n’importe quel discours.
Le Wim Wenders, Don’t Coming Knocking (Sélection officielle Compétition), est une catastrophe qui permet de réévaluer le Jarmusch. Sur un sujet similaire (un quinquagénaire immature apprend qu’il a un fils et tente de le retrouver), Wenders enfile allégrement les clichés. Tout est mauvais, et ce qu’on annonçait comme le grand retour du cinéaste allemand, vingt ans après Paris, Texas, avec Sam Shepard (définitivement un mauvais acteur) et Jessica Lange (là aussi, son interprétation ne supporte pas la comparaison avec ce qu’elle fait dans le Jarmusch), est un flop magistral. Reste, soyons juste, son talent à filmer les espaces urbains américains. Mais bon, nous aussi on aime bien Edward Hopper, comme tout le monde, mais ça finit aussi par gonfler, à la longue.
Le temps de changer de salle, et voici le court métrage de Bertrand Bonello, Cindy, the Doll Is Mine, avec deux Asia Argento pour le prix d’une (lire ci-contre) : qui disait que « le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos fantasmes » ? C’est l’histoire que raconte Cindy, the Doll Is Mine avec ses larmes godardo-dreyeriennes amères.
Conte de cinéma de Hong Sang-soo (Sélection officielle Compétition), pose un cas plus délicat. Fatigue de fin de festival ? Malgré le plaisir toujours renouvelé de voir un nouveau film du cinéaste coréen (un de nos chouchous), nous sommes restés un brin dubitatifs. Bon ou mauvais ? Acceptez que nous ne concluions pas de façon aussi abrupte, pour une fois. Disons que les sentiments ressentis à la vision du film sont tout aussi ambigus et ambivalents que le cinéma de Hong. Conte de cinéma allie un récit subtil et complexe à une mise en scène à la fois plus Nouvelle Vague que jamais et étrangement avec quelque chose du tendre et faux relâchement des films de Woody Allen. On retrouve dans Conte de cinéma tous les ingrédients des films précédents du cinéaste coréen : humour pince-sans-rire, scènes de sexe réalistes, déambulations sans fin dans les rues, rapports hommes-femmes douloureux, maladroits et manqués, amours éperdues, imbibées et romantiques, avec, c’est ce qui fait la nouveauté de ce film, une sérénité et un certain optimisme inédits jusqu’à présent chez Hong.
Le soir, sur la terrasse de MK2, ceux des journalistes des Inrocks qui en avaient encore la force dansèrent, dit-on, fort tard sur les mixes de la belle Asia, tandis que la Méditerranée se gondolait dans le noir, aussi admirative qu’indulgente.
VENDREDI 20 > TROIS FOIS OUI
Dans une sélection Un Certain regard globalement moyenne, la perle restera le premier long d’un réalisateur sri-lankais de 27 ans. Vimukthi Jayasundara est un ancien critique, cinéphile qui sait tout de Bergman ou Tarkovski, mais son beau film mutique et contemplatif (ainsi que la difficulté à retenir son nom pour un Occidental) rappelle notre ami Jo Weerasethakul (Tropical Malady). Situé aux confins du monde, dans une zone incertaine entre guerre et paix (présence de militaires et de tanks qui ne tirent pas), La Terre abandonnée raconte le quotidien de quelques paysans, entre adultère et survie quotidienne. Superbement cadré, travaillant les durées et l’imprégnation sensorielle, La Terre abandonnée marque l’éclosion d’un cinéaste à la maîtrise incontestable et la présence du Sri Lanka sur la cinécarte mondiale.
Attendu avec un brin de curiosité, Trois enterrements (Sélection officielle Compétition), première réalisation de l’acteur Tommy Lee Jones, déçoit d’abord, puis devient dans sa seconde partie un très beau voyage initiatique où il est question de rédemption à combustion lente, de dénonciation douce de la police des frontières, d’amitié américano-mexicaine, de prendre soin d’un cadavre d’émigré qui voulait être enterré chez lui et de voir comment les codes du western peuvent fonctionner dans le monde d’aujourd’hui. Pas mal du tout pour un seul film.
Changement de décor, de continent et de météorologie artistique avec le film du vétéran Seijun Suzuki. Attention les yeux et les oreilles ! Sorte de mélange maboule entre le kabuki, la fantaisie colorée de Demy et l’étal d’une boutique de bazar dont le patron aurait fumé la moquette, Princess Raccoon (Sélection officielle hors Compétition) n’en finit pas de surprendre, de passer du coq mélodramatique à l’âne comique de troupe, d’exhiber fièrement son énergie décomplexée et de toute absence de surmoi de bon goût.
Le bon goût, et pour tout dire, la splendeur, on les retrouve dans Three Times (Sélection officielle Compétition) de notre maître bien-aimé Hou Hsiao-hsien (lire portrait p. 38). Dès la fin de la projo, c’était l’un de nos favoris perso pour la Palme. HHH délivre ici ce qu’on attend de lui (magnificence cérémonieuse des mouvements de caméra, sensualisme du filmage, minutie des décors, rareté de la parole, etc.), mais surprend aussi par quelques menues variations dans son système : par exemple, en faisant de ce film une trilogie de sketchs, il raconte des histoires moins longues, comme s’il passait du roman à la nouvelle ; dans le même ordre d’idée, ses plans-séquences sont plus courts, moins jusqu’au-boutistes qu’à l’accoutumée. Récapitulant en les condensant les univers de Good Men, Good Women, Les Fleurs de Shanghai et Millenium Mambo (on retrouve ici la sublimissime Shu Qi, lire aussi p. 39), le grand cinéaste taïwanais livre une nouvelle réflexion mélancolique sur le souvenir, sur ce que l’on retient d’une vie, sur la fugacité du bonheur et sur le retour du même à travers le temps (les mêmes comédiens jouent des personnages différents à des époques différentes). Le tout en recadrant toujours ses petites histoires intimes dans la grande histoire de la Chine. Apparemment mineur par les fragments de récits choisis, mais majeur dans la façon de les sublimer par la mise en scène, Three Times est une magnifique rêverie proustienne. De quoi couper en beauté majuscule la ligne d’arrivée de cette édition 2005.
SAMEDI 21 > DERNIERS PRONOSTICS AVANT VERDICT
En cette journée finale consacrée à l’usuelle distribution des prix, le jeu des pronostics allait bon train. On ne voyait pas le président Kusturica, double palmé, accueillir un nouveau membre dans ce petit club prestigieux, ce qui éliminait d’office les Dardenne, Van Sant, von Trier ou Wenders. En revanche, on voyait bien le jury honorer en priorité Jarmusch (film plaisant) ou Haneke (film exhibant son grand sujet comme son système formel).
Suivant la cérémonie à la télévision, on a d’abord assisté aux habituelles cuistreries télévisuelles (montée des marches commentée comme un événement décisif, confusion répétée entre Hong Sang-soo et Wang Xiaoshuai, patronymes effectivement bien plus difficiles à mémoriser que Besson pour nos commentateurs « cinéphiles »…), puis à une présentation allègre et vive de Cécile de France et enfin à un hilarant numéro en franglais de Lambi et Vali, alias Valérie Lemercier et Lambert Wilson. Le jury, composé de personnalités de la trempe d’Agnès Varda ou Toni Morrison, ou de cinéastes cultivés comme Benoît Jacquot ou John Woo, a finalement accouché du palmarès mi-figue mi-raisin que l’on espérait éviter sans trop y croire.
On est bien sûr heureux pour les Dardenne qui entrent de façon tonitruante dans le fameux cercle précité (deux Palme en six ans) et dont L’Enfant fait une Palme d’or tout à fait digne, on n’a rien non plus contre le plaisant western de Tommy Lee Jones, ni contre le charmeur Broken Flowers de Jarmusch, on note que le beau Shanghai Dreams n’a pas été oublié, on admet que le cinéma d’Haneke ait ses adeptes et le prix de l’Israélienne Hana Laszlo est tout sauf un scandale. Alors ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Eh bien tout simplement l’absence totale des propositions de cinéma les plus stimulantes de cette édition. Ce palmarès a les défauts des compromis. Résultat : les prix vont aux films agréables (Broken Flowers) ou aux uvres à message (L’Enfant, peut-être honoré plus pour sa teneur sociale que pour sa proposition formelle, ou Free Zone, film pacifiste médiocre), rarement aux films stylistiquement aventureux. Cela étant, comme le rappelait Jarmusch dans son beau discours, les palmarès ne veulent pas dire grand-chose, le cinéma n’est pas une compétition et c’est l’existence de beaux films qui compte avant tout. Hommage donc à A History of Violence, à Three Times, à Last Days, à Peindre ou faire l’amour, et aussi au Batalla en el cielo, uvre qui partage mais a au moins le mérite de ne pas servir de l’eau tiède.