Après s’être attaqué de front à l’Amérique de Bush, CALEXICO retrouve les grands espaces de la fiction dans un album lumineux, qui cristallise tous ses talents mélodiques.
Sur la pochette du nouvel album de Calexico, une femme, assise au volant d’une vieille bagnole, traverse une ville écrasée par le cagnard. Le ton est donné : Carried to Dust sera un carnet de voyage inondé de lumière. Deux ans après Garden Ruin, dont les textes sondaient les recoins les plus sombres de l’Amérique de Bush, Joey Burns et John Convertino, les deux têtes pensantes du groupe, ont décidé de reprendre du champ et de respirer un air moins pollué, moins chargé de colère et d’amertume.
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« La pochette de Carried to Dust indique clairement que nous sommes sortis du tunnel, explique Burns. Avec Garden Ruin, nous voulions évacuer la frustration de vivre dans un pays aussi fondamentalement conservateur que les Etats-Unis. De ce point de vue, c’était un album plus étroit d’esprit : il parlait exclusivement de l’Amérique, même s’il ne s’adressait pas qu’à ses seuls habitants. » Que font les Américains lorsqu’ils en ont assez de se heurter aux dures réalités de ce temps et à la bêtise épaisse de leurs dirigeants ? Ils se racontent des histoires, encore et toujours. Avec Carried to Dust, Calexico quitte donc le registre frontal de la chronique politique et sociale et retrouve le vaste terrain d’aventure de la fiction – un outil tout aussi efficace pour refaire le monde. Dès ses débuts, à l’aube des années 90, la paire Burns-Convertino s’est inscrite dans la tradition du storytelling. Elle en a redimensionné la forme grâce aux textes et à la voix pointillistes de Burns, mais aussi grâce au souffle long et au cadre panoramique de ses compositions, habitées par une foultitude d’instruments et de musiciens de tous horizons.
Burns et Convertino sont les dignes citoyens de Tucson, Arizona, cette ville ouverte à tous les vents du désert qui, depuis des lustres, fait office de passe-plat entre le Nord et le Sud, l’Ouest et l’Est. De la musique mariachi aux BO de Morricone, de l’ambient aux rythmes caribéens, de la musique gitane au post-rock, leurs chansons évoluent dans une zone-frontière unique en son genre : une terre d’accueil pour les sons nomades du monde entier. « J’ai toujours été attaché au songwriting, à sa façon d’entrer dans le détail des choses, affirme Burns. Mais si je l’aime autant, c’est surtout parce qu’il est un formidable point de rencontre, où toutes les sensibilités peuvent se retrouver. En étudiant le classique et le jazz à l’université, j’ai aussi compris que les instruments pouvaient eux-mêmes raconter des histoires incroyables. Dans Calexico, je ne suis jamais le seul à prendre la parole : chaque note qui est jouée participe au récit. »
La musique de Calexico possède en effet une puissance narrative qui ne repose pas que sur les qualités vocales de Burns. Sur ce plan, John Convertino, certainement le batteur le plus soufflant apparu ces vingt dernières années dans la sphère du rock indé, joue aussi un rôle essentiel. Avec lui, le moindre frémissement de cymbale ou le moindre roulement de caisse claire devient un poème, une ligne de chant éloquente qui soutient et enrichit la trame mélodique. « John a un sens de la nuance, une souplesse d’exécution et une signature sonore incomparables, confirme Burns. La plupart de nos chansons naissent de son jeu de batterie, l’un des plus mélodieux qui soient. »
Avec Carried to Dust, Calexico poursuit le virage pop amorcé dans Garden Ruin. Epaulé par de nombreux partenaires (des membres de Iron & Wine, Tortoise ou du groupe espagnol Amparanoia, l’harmoniciste Mickey Raphael, la chanteuse canadienne Pieta Brown…), le duo joue compact, resserre les lignes mélodiques et signe au passage certaines de ses chansons les plus accrocheuses (Two Silver Trees, le cubanisant Inspiracíon). Mais même dans un périmètre esthétique à priori confiné, sa musique garde cette profondeur de champ qui la distingue des vignettes traditionnelles du folk-rock. La conquête de l’espace sonore, avec les surprises et les détours qu’elle entraîne, reste la grande affaire de Burns et Convertino : en studio, ils n’aiment rien tant qu’avancer sans carte, poussés par les forces de l’improvisation.
En pointillés, Carried to Dust conte d’ailleurs le périple d’un scénariste de Los Angeles qui, en pleine grève des plumes à Hollywood, décide de tracer la route vers le désert et de se laisser porter par le hasard. Son errance, qui le mènera par la pensée jusqu’au Chili (Victor Jara’s Hands, House of Valparaiso) ou en Russie (Red Blooms), résonne comme une ode au caractère imprévisible de l’existence et à la beauté de l’inconnu. Tout en renvoyant aux mythes pionniers de l’Amérique, ces thèmes dépassent ici de loin ce seul horizon historico-géographique pour embrasser un territoire bien plus large. « Notre musique caresse moins un hypothétique rêve américain qu’un possible rêve universel, note Burns. Moi-même, je ne me considère pas vraiment comme un Américain. J’ai passé le plus clair de mon existence aux USA, mais le fait de voyager et de rencontrer d’autres musiciens a gommé ma nationalité. Dans ma quête d’un pays idéal, la musique m’a ouvert d’innombrables possibilités. »
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