Nouvelle création des auteurs du jeu « The Walking Dead », « Firewatch » nous place, le temps d’un été, dans la peau d’un garde forestier retiré sur sa tour de guet. Et, par son écriture subtile, implique comme rarement le joueur dans son récit interactif en plein air – qui laissera des traces.
C’est l’histoire d’un homme qui n’en pouvait plus et qui, alors, a voulu changer de décor. Cet homme, c’est Henry, c’est vous, quasi quadra dont le grand amour n’est plus vraiment là. Le prologue, sidérant de simplicité évocatrice, juste des mots affichés sur un écran, nous a dit l’essentiel de leur existence partagée. Leur rencontre, en 1975, dans un bar, à Boulder, Colorado. Et puis la suite, ensemble, heureuse, jusqu’à la maladie, sa maladie à elle, Julia, Alzheimer. Aujourd’hui, elle ne le reconnaît plus, elle est repartie chez ses parents, en Australie, et lui ne sait plus trop quoi faire de sa vie. Alors il part, en cet été 1989, jouer les gardes forestier dans un parc naturel du Wyoming.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Et Henry s’installe dans une tour isolée d’où il guettera les départs de feu, tel Jack Kerouac dans l’Etat de Washington quelques décennies plus tôt – l’auteur de Sur la route s’était inspiré de sa propre expérience pour écrire Les Anges de la désolation. Henry est donc seul, mais pas tout à fait comme Kerouac, justement, car il est relié par radio avec une certaine Delilah, sa supérieure hiérarchique qui lui donne des instructions et avec qui des liens de plus en plus forts vont peu à peu se nouer alors qu’il ne se sont jamais rencontrés.
Firewatch est l’histoire de leur relation. Mais c’est aussi beaucoup d’autres choses qu’ont réussi à glisser dans une expérience de jeu assez brève – compter 3 à 6 heures selon votre goût pour les promenades en plein air et votre sens de l’orientation – les membres du studio californien Campo Santo, formé par le duo Jake Rodin – Sean Vanaman qui, chez Telltale Games, était derrière le (brillant) jeu The Walking Dead. Firewatch s’inscrit d’ailleurs dans le prolongement de ce coup de maître qui a beaucoup fait pour la renaissance du jeu d’aventure, mais en plus ouvert et dépouillé, même si on reste ici très loin du jeu d’exploration vraiment libre.
Car Firewatch n’est pas une simulation de la vie de garde forestier mais, plutôt, un voyage fragmenté et incertain dans un esprit humain entre tensions, doutes, éclaircies et découragement. Un voyage un peu expérimental, aussi, qui navigue esthétiquement entre Telltale et Tale of Tales – studio belge responsable des sidérants Sunset et Bientôt l’été.
Dehors, il y a la forêt, les lacs, les rochers. Il y a les « missions » que nous confie Delilah – aller voir de plus près ce que cache une colonne de fumée, par exemple. Bientôt, on découvre que, dans ce parc, il se passe des choses un peu étranges. Qui a coupé ce câble, abandonné des canettes de bières partout, laissé traîner ses vêtements ? Mieux vaut ne pas entrer dans les détails car il est important, ici, de faire les découvertes soi-même. Ce monde de signes donne peu à peu le sentiment d’être sur le point de basculer. A moins que ce ne soit nous, Henry (ou nous, le joueur), qui commencions à dérailler ?
Adeptes de la narration environnementale (BioShock est une influence directe), les auteurs de Firewatch ont parsemé leurs décors d’une multitude d’objets, lettres et notes qui sont aussi des vestiges du passé, des traces laissées par ceux qui ont précédé Henry dans ces lieux hors du monde ou, plus exactement, de la société. Et qui ne valent pas seulement en tant qu’éléments factuels mais, au moins autant, comme pièces d’une subtile tapisserie sensuelle et émotionnelle qui doit aussi beaucoup à la place que les voix de Delilah et d’Henry tiennent dans le jeu. Il y a ce qu’elles disent – et qui prend souvent la forme de dialogues à choix multiples dont, comme dans Kentucky Route Zero, on ignore l’impact réel – mais aussi, plus profondément, leur présence, chaleureuse ou un rien distante, flottante ou rassurante.
Alors qu’on crapahute en plein air, qu’on escalade ou qu’on descend en rappel, qu’on cherche en vain des canards – une passion personnelle – ou qu’on décide d’adopter une petite tortue (mais pas ce raton laveur qui nous saute à la figure), qu’on s’égare un peu malgré notre carte de la région (régulièrement complétée) et notre boussole, quelque chose se passe que seul pouvait produire un jeu vidéo. Quelque chose qui a à voir avec le fait d’être en partie à un endroit et en partie ailleurs, d’agir sans être tout à fait soi-même ni absolument un autre, de perdre pied et, en même temps, bizarrement, de se retrouver.
Quand la forêt s’enflamme et que la fumée rend notre progression délicate, qu’on se cogne aux arbres, qu’on commence à prendre (vraiment) peur, qu’est-ce qui brûle vraiment, qu’est-ce qui se consume ? Au final, on réalisera qu’on a évolué à l’intersection d’au moins trois histoires. On se dira qu’après The Witness et That Dragon, Cancer, le jeu vidéo indépendant vit vraiment un très beau début d’année. Et puis on éteindra la console ou l’ordinateur avec le sentiment qu’on a laissé un peu de nous dans la tour de guet.
Firewatch (Campo Santo), sur PS4, PC et Mac, environ 20 €
(Au moment de sa sortie et dans l’attente d’une probable mise à jour, la version PS4 du jeu souffrait de nombreux bugs qui pouvaient sérieusement compliquer, voire bloquer, la progression du joueur.)
{"type":"Banniere-Basse"}