Du pain, des jeux, et c’est Trump qui gagne à la fin. Outrance du personnage et rancœur de l’électeur se fondent en un cocktail hilarant, garanti 100% gueule de bois électorale.
Manchester, Etats-Unis. On va voir Trump comme on va au spectacle. L’ambiance déborde sur le parking de l’arène de 11 700 places, avec écran géant, investie pour le dernier meeting avant liquidation de la concurrence. Dans le blizzard on distribue des pancartes, des autocollants, des mains géantes en mousse. Le public se masse aux portes, plus nombreux que pour n’importe quel autre candidat. Tout est fait pour qu’il se sente privilégié : avec Trump, on va passer un moment très spécial. “Trump, c’est comme un accident de la route : c’est horrible à voir, glisse Audu, étudiant en droit, en même temps, tu ne peux pas détourner les yeux.”
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« Welcome to The Show«
Passés la queue devant les portes du Verizon Arena (antre des Monarchs, l’équipe de hockey de Manchester) et le détecteur de métal, un membre du service de sécurité, baptisé « secret service », tend un autocollant « Trump 2016 » à coller sur ses vêtements et prononce cette phrase qu’on n’entend que chez Donald: « Welcome to The Show« .
The Donald arrive enfin, en chair et en os. Hurlements dans la fosse et les gradins. Il félicite la foule, repère un homme grimé en sosie dans la fosse et l’invite à grimper sur scène; puis il ordonne à sa quatrième femme, Melania, de réciter au micro le slogan de son futur président de mari: “Make America Great Again”. La top modèle slovène s’exécute maladroitement.
Poignée d’opposants infiltrés
Le public se divise en plusieurs catégories. Ceux venus passer un bon moment, voire participer à une farce. Ils surjouent la Trumpmania, c’est à ça qu’on les reconnaît. Jay Bird, casquette de la NRA vissée sur la tête et t-shirt pro-Trump, se laisse interroger par une télé japonaise avant de les planter en pleine interview: “Je dois vous laisser, je me sens mal, je suis défoncé au pop corn« . En aparté, Jay Bird tombe le masque et se dit « horrifié par ce qui se passe avec Donald Trump« . Une sorte de clown triste.
Il y a la poignée d’opposants infiltrés qui, entre deux saillies du milliardaire, se dressent sur leur chaise et hurlent des slogans vite étouffés par les sifflets. En quelques instants, ils disparaissent dans l’ombre des gradins, encadrés par le service de sécurité. “C’est bien ! dira Trump. Je les adore. Comme ça, les caméras des médias se braquent sur mon public, et on saura combien vous êtes ce soir ! »
Dernière catégorie, ceux qui soutiennent vraiment Trump. Ce sont les plus nombreux, à en juger sa victoire écrasante de cette nuit. Ils se méfient des médias, que Trump étrille à longueur de journée. « Moins les gens veulent parler, plus ils aiment Trump« , note Bird.
« He’s a pussy »
Tics bizarres, moulinets des bras, on se régale : la machinerie Trump est hypnotique, elle nourrit le cerveau de calories vides comme du pop corn aromatisé à la politique. On touche du doigt ce culte de la personnalité étrange, 100 % américain. Ses punchlines de la soirée: « Moi élu, on pourra se redire Joyeux Noël au lieu de Joyeuses Fêtes, je vous le garantis« , destiné à la défense de la religion chrétienne, déclenche un tonnerre d’applaudissements.
Il sera dépassé en intensité par cette bombe qui explose l’applaudimètre: traiter son adversaire Ted Cruz de « tapette » (“He’s a pussy!”). Dans les gradins le public agite les pancartes : “La majorité silencieuse est avec Trump”, répond au doigt et à l’œil au milliardaire. Une adolescente en hyperventilation est prise d’un malaise dans la fosse. Les infirmiers l’allongent sur le dos et lui agitent les jambes comme un footballeur pris de crampes.
« Je suis pas encore sûr de voter Trump, dit Mike Sassel, inscrit sur les listes électorales du Texas. Je suis même pas sûr de voter tout court. Mais Trump au moins, qu’est-ce qu’il me fait marrer ! »
On vient le voir de Rochester, de Boston, de Buffalo (huit heures de route). « Il a dit et fait beaucoup de mauvaises choses dans sa vie, mais le pays a beaucoup de problèmes et je pense qu’il est le mieux qualifié pour les résoudre« , hurle Matthew, venu en voisin du Massachusetts. Sa voix couvre avec peine Start me Up des Rolling Stones.
A droite de la scène, Trump entame une tournée de selfies et d’autographes. Insulter un opposant comme il l’a fait ce soir ? “Y en a marre du politiquement correct. Je pense que ça nous affaiblit en tant que nation. Oui, il dit des conneries… Il est humain. Des fois, il me fout la honte… Mais c’est un leader ! Et l’Amérique a besoin d’un vrai leader.”
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