Se raser la tête, déchirer un uniforme de prisonnière, coudre un drapeau russe, voici quelques-uns des actes symboliques effectués par Katrin Nenasheva afin de protester contre le gouvernement de Poutine.
Ex-étudiante en journalisme prolongeant aujourd’hui ses études à l’Institut de littérature de Moscou, Katrin Nenasheva, 21 ans, fait ses débuts dans un journal pro-Poutine et en ressort aussi vite, désillusionnée par l’état des médias russes. Katrin commence alors à travailler pour la Rivière de l’enfance, une organisation caritative aidant les mères emprisonnées à garder contact avec leurs enfants.
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Après avoir rencontré une femme qui n’a pas été autorisée à envoyer une seule photo d’elle à sa famille depuis ses cinq ans d’incarcération, Katrin tente alors d’organiser des sessions photos. L’initiative est évidemment étouffée dans l’œuf par l’administration pénitentiaire, mais Katrin n’a pas dit son dernier mot. Ces événements signeront le coup d’envoi de son action artistique.
Faire voir l’invisible
Le 25 mai 2015, Katrin inaugure une série de performances visant à dénoncer la condition des détenus et la violation des droits de l’homme dans les prisons russes. Durant un mois, la jeune russe va arborer un uniforme de prisonnier dans les rues de Moscou. Son objectif ? Donner à voir l’invisible en introduisant des symboles de captivité dans des zones supposées être libres. En signe de soutien à ces prisonnières, elle se prend en photo au cours de ses pérégrinations, mais l’administration pénitentiaire ne permettra pas que ces clichés soient remis à leurs destinataires derrière les barreaux.
(Crédit Victor Novikov)
Le Jour de la Russie
Une dizaine de jours plus tard, toujours affublée de son uniforme, Katrin se lance dans une deuxième performance à laquelle se joint Nadia Tolokonnikova, membre bien connue des Pussy Riot. Pour “le Jour de la Russie”, fête nationale commémorant la création de la fédération de Russie en 1992, Katrin et Nadia se rendent sur la place Bolotnaya. Là, elles se mettent à coudre un drapeau russe en référence aux prisonniers qui pour beaucoup travaillent dans des ateliers de couture. Sur cette place qui a été le lieu de manifestations anti-gouvernementales après les élections de 2011 et 2012, les forces de l’ordre ne tardent pas à se montrer. Première détention pour Katrin. Nadia, elle, est habituée. Dans la station de police où les deux amies feront trois heures de garde à vue, elles finissent de coudre leur drapeau avant de l’accrocher au mur.
Dans une tribune sur Vice, Nadia explique que cette « action consistant à coudre le drapeau national lors de la Journée de la Russie visait à montrer que la Russie, ce n’est pas seulement Poutine et ses amis oligarques. La Russie, ce sont également les 600 000 âmes qui peuplent nos prisons, comme ces militants qui ont participé à la manifestation qui s’était tenue le 6 mai 2012 place Bolotnaya afin de protester contre l’élection de Poutine. Aujourd’hui, certains de ces militants sont encore en train de coudre des uniformes de police dans des camps de prisonniers « .
(Crédit Victor Novikov)
« Don’t be afraid »
Deux semaines plus tard, le 25 juin, Katrin réalise Don’t be afraid, sa performance la plus connue à ce jour. Et pour cause, l’artiste activiste se fait alors raser le crâne sur la Place Rouge et déchire son uniforme de prison. Cette action lui vaudra cette fois-ci d’être détenue trois jours en prison. Katrin raconte avec ironie : “En Russie, les policiers sont presque des partenaires artistiques ! En venant me chercher juste après avoir déchiré mon costume de prisonnière, ils m’ont aidé à terminer ma performance, créant une sorte de dialogue entre les artistes et les représentants de l’ordre ». Considérant qu’aucun véritable travail de réinsertion n’est fait suite à l’incarcération des femmes, stigmatisées à vie pour avoir été emprisonnées, mais aussi qu’en Russie les frontières entre la liberté et servitude sont brouillées, toute personne y vivant comme une sorte de prisonnier, Katrin laisse pendant un temps son numéro de matricule sur ses vêtements.
Затолкали в автозак за то, что мы в формах заключенных шили российский флаг на Болотной площади. Праздничек! pic.twitter.com/0XkuJh69X0
— Nadya Tolokonnikova (@nadyariot) June 12, 2015
« A wake instead of a Christmas party »
C’est un buffet funéraire que Katrin Nenasheva a installé place Oktyabrskaya, en décembre 2015, devant le ministère de la Justice et des Affaires intérieures où se trouve aussi le siège du service pénitentiaire fédéral. Cette fois-ci Katrin mange et boit de la vodka, conformément aux rites funéraires russes… tout en lisant à haute voix les noms des personnes mortes ou tuées à travers le pays par les différents services de police au cours de l’année 2015.
Galerie à ciel ouvert – « Not Peace »
Par ailleurs, afin de toucher la plus grande audience possible, Katrin a dernièrement lancé une série d’expositions artistiques anti-guerre en pleine rue. Faute d’avoir reçu une autorisation officielle, la première de ces expositions s’est transformée le 27 décembre dernier en marche dans les rues de Saint-Pétersbourg, où les artistes ont dû circuler avec leurs œuvres à la main. Tandis que la prochaine exposition est d’ores et déjà programmée pour le 21 février à Riga en Lettonie, Katrin espère pouvoir en organiser une autre fin février à Moscou.
Juliette Ihler & Sasha Raspopina
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