Récit de la dernière journée du festival berlinois.
Saint-Amour
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Le duo Kervern-Delepine a eu la bonne idée de réunir deux monstres qui dominaient chacun un de leurs précédents films et d’en faire un couple père-fils de fiction, en continuant à les déshabiller de leurs costumes de stars. Le hic, c’est que cette très bonne idée est un peu la seule qui soit novatrice dans Saint-Amour (Compétition). Le film n’est ni mauvais ni désagréable, juste sans vraie surprise. Un film routard et routinier, une sorte de version kerverno-delepinienne de La Vache, sauf qu’au lieu de traverser la France pour aller au salon de l’agriculture, c’est ici le contraire : on part du salon pour traverser la France et espérer trouver l’amour (et le gouleyant saint-amour). Kervern et Delepine réitèrent leur vision d’un monde des exclus et des gens d’en bas, où travailleurs, agriculteurs, chômeurs, vieux, handicapés, moches représentent la France silencieuse qui accède à la fiction de cinéma. Chez eux, la frontière est toujours très mince entre le populaire et le populisme et Saint-Amour fait moins d’étincelles ciné que Le Grand soir ou Mammuth. Leur univers de tragicomédie punko-beauf est désormais bien repéré et le plus difficile est de le renouveler.
Zero days
Dans Zero days du britannique Alex Gibney (Compétition), la nudité est toute aussi métaphorique puisqu’il s’agit de celle des services secrets américains et israéliens. Ce docu-enquête revient sur l’affaire Stuxnet où les occidentaux avaient tenté de détruire les infrastructures nucléaires iraniennes au moyen d’un puissant virus informatique. Passant à la question une palanquée d’agents secrets et d’informaticiens, Gibney s’inquiète de ce que Stuxnet ait ouvert la boite de Pandore de la cyberguerre, un truc d’apprentis-sorciers qui pourrait déraper et échapper à tout contrôle étatique et démocratique. Bienvenue dans un monde où en quelques clics, on peut à distance faire dérailler un train, « fukushimer » une centrale nucléaire, foutre la zone dans le système financier ou littéralement éteindre un pays. Imaginez : plus d’électricité, plus d’internet… Okay ? Ce docu au sujet prenant et flippant nous dit que l’informatique est notre force mais aussi notre grande faiblesse puisque tout ou presque dépend d’elle. A part ça, Zero days n’a aucun intérêt artistique et a plus sa place dans une grille de programme télé que dans la Compète d’un grand festival de cinéma.
La Commune
La nudité réelle, on y vient avec La Commune (Compétition) de l’ex-enfant terrible de Dogma, Thomas Vinterberg. Beaucoup de banquise a fondu depuis Festen et Vinterberg a presque disparu des radars cinéphiles, en tous cas en France. Ici, il ne s’intéresse pas du tout à l’insurrection parisienne mais plus modestement à la vie communautaire d’une demi-douzaine de quinquas bourgeois de Copenhague (et qui serait inspirée de l’expérience de ses parents). Voilà donc un prof d’archi, sa femme sorte de Claire Chazal locale et leurs amis et enfants qui décident de vivre ensemble dans la même grande maison. Pour fêter ça, tout le monde à la mer, à poil. Et tout le casting mature fesses, bites, chattes et nichons à l’air. Plus le prof d’archi couche avec une de ses étudiante. Le soir où il avoue à son épouse dans le lit conjugal, elle est légèrement vénère mais lui dit « bonne nuit. Je t’aime ». Sacrés scandinaves. Bon, quand même, scandinaves ou pas, libertaires ou pas, se faire tromper est rarement épanouissant, surtout quand l’amante rejoint la communauté et le lit conjugal. Très tolérante mais faut pas non plus déconner, l’épouse finit quand même par criser, pleurer et picoler. Toujours branché sur les petites communautés (famille, village, quartier…) et leurs dysfonctionnements, Vinterberg pond ici du Lars von Trier light, du Bergman coupé d’eau tiède, un téléfilm bourgois baba (plus ou moins) cool qui ne déclenche que quelques sourires et pas mal de bâillements. Du cinéma-Habitat, confortable, standardisé et stérile.
United states of love
On termine notre Berlinale avec United states of love (Compétition) du Polonais Tomasz Wasilewski, qui lorgne lui aussi du côté de chez von Trier et des grands humanistes autrichiens à la Ulrich Seidl. Le titre est bien entendu une anti-phrase et le film est bien glauque, bien cynique, quoique non dénué de talent. On y suit quatre femmes dans une sinistre cité HLM perdue au milieu de la nature, au moment de la chute du Mur et de l’émergence de Solidarnosc. Si le rideau de fer tombe, la vie quotidienne des gens, et surtout des femmes, demeure aussi gaie et fun qu’un discours de Brejnev. L’une est secrètement amoureuse du curé local, l’autre a secrètement un amant qui ne veut plus d’elle, la troisième voudrait être actrice ou au moins top model international et la quatrième est une retraitée solitaire. Chacune veut se tirer (du bled, voire une balle dans la tête), chacune est enserrée par le manque d’argent, de perspectives, d’amour, et par l’église omniprésente. On suppose que dans ses intentions, Wasilewski est avec ses personnages féminins qui en chient et contre la société catho-communiste mortifère, mais sa mise en scène contribue à enfoncer encore un peu plus ces femmes plutôt que de les émanciper ou de leur faire entrevoir un rayon de soleil à l’horizon. Avec sa photo désaturée, pisseuse, il filme complaisamment ses (belles) actrices (et acteurs) à poil, y compris des vieilles dames aux corps usés et déformés par les ans, sous des lumières grisâtres et blanches bien crues, tout sauf érotiques. Wasilewski insiste à mort sur la tristesse de la chair qui rejoint la tristesse fonctionnelle du verbe en une sorte de cinéma eucharistique démoralisant. Vaillantes, les quatre actrices, toutes magnifiques, font ce qu’elles peuvent pour résister à ce tableau cynique et y injecter un peu d’humanité et de féminité habitée. Wasilewski n’est pas mauvais, il sait composer un cadre, mener un récit, diriger les comédiens, user des ellipses et silences, mais tout ce talent est au service d’une vision désespérée et désespérante du monde ou plus rien ne communique ni n’exulte. Et puis comme nous le rappelait le Berlin moderne à la sortie de la projo, près de trente ans après la chute du Mur, il y a peut-être plus excitant et novateur à faire que de condamner le communisme réel.
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