En 2016, PJ Harvey fera son grand retour avec un nouvel album, The Hope Six Demolition Project, et une tournée internationale qui s’arrêtera aux festivals We Love Green et Beauregard. Néanmoins, depuis la sortie un peu décevante de Let England Shake, celle que l’on nomme Polly est-elle encore attendue ? Nous l’avons demandé à ses fans.
Ils sont là, tremblants, attendant une manifestation de leur idole. Ils ont acheté des billets l’année dernière pour assister à l’enregistrement de son dernier album, dans l’espoir de l’apercevoir et de découvrir avant tout le monde ses nouveaux morceaux. Les chanceux ont pu assister à ses sessions voix, les autres ont dû supporter 45 minutes d’enregistrement de saxophone. Ils noient vos boîtes de messages indésirables vous annonçant la sortie d’un teaser de 28 secondes qui ne permet en rien d’imaginer le reste du morceau, et concluent leur mail d’un « PJJJJJJJJ » qui n’a pas de fin.
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Un statut particulier
Ce sont les mêmes qui vous regardent un peu étonnés, voire furieux, quand vous prononcez ces quelques mots “Oui, bon, PJ Harvey, c’est pas mal mais depuis les années 2000, elle peine à se renouveler, non ? », un peu comme si vous blasphémiez en pleine église. Il est vrai que depuis la sortie de son album Dry, en 1992, l’artiste anglaise (dont l’album To Bring You My Love fait partie de nos trente œuvres indispensables) fait chavirer les cœurs tout mous, mais laisse aussi une partie du public indie circonspect devant tant d’idolâtrie. Mais qu’a donc de plus PJ Harvey ?
Ses fans l’ont souvent découverte à l’adolescence par le biais de Nick Cave, de son duo avec Thom Yorke ou encore en tombant sur l’un de ses clips ou pochettes ensorcelants. PJ Harvey a, dès ses débuts, bénéficié d’un statut quasi culte. Même Jamie Hince confiait dans nos pages qu’elle était pour lui « la seule artiste valable dans la musique anglaise. Un vrai génie, je la place à la hauteur de Billie Holiday« .
Dès le début de sa carrière, certains n’hésitent pas à faire le rapprochement avec Kurt Cobain. Du fin fond de sa ferme dans le Dorset, l’artiste aurait ainsi “pris la suite” du leader de Nirvana, détentrice d’une aura similaire, et capable du même pouvoir de fascination.
Raphaël, 31 ans, ingénieur, la suit depuis les années 2000 : “Je crois que la voir en live m’a fait me dire ‘Ok, ce n’est pas juste agréable à écouter, il y a quelque chose de plus âpre derrière. J’ai de plus loupé le coche avec Nirvana, je ne louperai pas celui-là » Ou encore David, 39 ans, musicien : « Je la connaissais depuis un moment, mais le premier disque que j’ai acheté c’est To Bring You My Love. Juste après la mort de Kurt Cobain, je cherchais du rock alternatif à me mettre sous la dent. »
Tous mentionnent aussi sa beauté étrange, même si ils insistent sur le fait que c’est “largement secondaire” comparé à la colère et à l’énergie que PJ Harvey déploie sur scène et dans ses morceaux. Ils ont ainsi succombé à sa douce folie, à sa discrétion, et à la tension sexuelle qui émane de la chanteuse.
Raphaël : « Je crois que ce que j’aime chez elle c’est cette noirceur omniprésente et sa voix, capable de me faire trouver la lecture du bottin tout à fait érotique et en même temps à la limite du criard quand elle monte dans les aigus. » Pour David : « Je me souviens d’une interview sur la Sept, où elle disait que les fréquences de l’ampli de basse lui chatouillait le bas du ventre, et que c’est pour ça qu’elle aimait faire des concerts. Elle disait ça de manière étrangement effrayante, je me suis dit qu’elle était drôle. »
Mais comparé à certaines icônes des années 90, telles que Tori Amos ou Fiona Apple, qui n’ont pas vraiment su retrouver le même engouement après les années 90, pourquoi PJ Harvey continue-t-elle à provoquer encore de telles réactions ? Raphaël l’explique assez facilement :
“Elle est sur le circuit depuis presque trente ans et elle sort un album tous les trois ans. C’est assez long pour créer l’attente et en même temps assez court pour qu’on ne l’oublie pas”.
Vincent, prof d’arts plastiques à Montpellier, pense quant à lui qu’elle détient un rôle spécial et unique » Dans le paysage musical contemporain, si elle n’est pas à sa place je ne vois pas quel autre artiste peut se targuer d’en être digne« .
Un statut particulier qui lui permet de prendre le temps pour chacun de ses disques et de s’épanouir sans se soucier des tendances, ni du contexte hyper rapide et fluctuant de la musique actuelle. Mariette, 29 ans, réalisatrice, la décrit comme “une grande artiste”.
“Elle est impressionnante dans ses performances, dans sa justesse, elle tente toujours de nouvelles choses. Son image et sa façon de chanter changent au fur et à mesure des albums, elle a eu plusieurs périodes dans sa carrière. J’ai l’impression qu’elle fait ce qu’elle veut, qu’elle donne libre cours à toutes ses envies au niveau musical ».
La réalisatrice va jusqu’à la comparer à David Bowie : “Elle incarne une sorte de figure indémodable, elle se réinvente comme un caméléon, elle fait vraiment partie de ces musiciens comme Bowie qui traversent les époques et marquent les décennies. »
Un point de vue que partage Raphaël :
« Elle a bien suivi les évolutions du rock dans les années 90 avec un son qui s’est enrichi au fur et à mesure, en partant d’un combo guitare, batterie, basse. Elle a parfois rajouté des couches, mais toujours dans une juste mesure pour être de bon goût et dans l’air du temps. Tout cela sans toucher à l’électronique, ce qui la différencie facilement de beaucoup d’artistes des années 2000. »
PJ Harvey, démodée ?
Si tous continuent à écouter ses premières compositions, beaucoup ont néanmoins depuis quelques albums délaissé les messes triannuelles de PJ, sans minimiser pour autant son talent ni l’importance qu’elle tient dans leur vie. Raphaël, qui lui reconnaît néanmoins « un parcours sans fautes » (elle a remporté deux fois le Mercury Prize en l’espace de dix ans), n’hésite pas à évoquer sa déception :
« Je continue à écouter tous ses premiers albums jusqu’à ‘White Chalk‘ et j’ai bien peur, depuis ‘Let England Shake‘, qu’elle n’ait entamé toute seule sa ringardisation. »
David tient les mêmes propos :
« Elle fait du blues rock minimaliste avec une certaine élégance dans sa simplicité, qui la rend légère et fine. C’est assez unique comme mélange, et les artistes similaires en font souvent des tonnes : elle est plus ‘digeste’. Néanmoins, ce mélange reste fragile et parfois, comme sur ses derniers disques, cela devient lourd et raté. Elle fait de la soupe depuis un long moment, elle a deux ou trois éclairs de génie comme sur Who The Fuck ? mais ça ne reste pas fou. »
Il reste néanmoins les indéfectibles, comme Vincent, 34 ans, professeur : “C’est une rock star et ça se sent direct, encore plus en concert. J’écoute encore ses albums et The Hope Six Demolition Project est le disque que j’attends le plus de 2016.” Mariette est du même avis : “Je la suis, c’est comme un baromètre, je me demande ce qu’elle va sortir par rapport au contexte, à l’époque.”
The Hope Six Demolition Project, qui sera dévoilé au printemps, peut inquiéter. PJ Harvey arrivera-t-elle à apporter une touche de fraîcheur, de nouveauté et de légèreté à sa musique, sans perdre son identité ? Si ce disque ne bénéficie pas d’une attente similaire à celui de LCD Soundsystem ou de Frank Ocean, pourtant PJ Harvey reste prêtresse en son royaume, et continue de prêcher dans sa paroisse sombre pleine de fidèles, qui verront dans cet album une nouvelle vision du monde et du rock selon Polly.
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