Joueur génial mais intermittent, tourmenté mais attachant, il a autant de fans que de détracteurs. Aujourd’hui apaisé et sélectionné pour l’euro, Ben Arfa est prêt à mettre tout le monde d’accord.
Il n’a que 25 ans mais combien de fois l’a-t-on enterré ? Combien de fois a-t-on dit qu’il n’y arriverait pas et ne confirmerait jamais les immenses espoirs placés en lui ? Partout où il a évolué, Lyon, Marseille ou Newcastle, ses détracteurs, confortés par son inconstance, ses embrouilles et ses errements, ont tenté d’éteindre la flamme Ben Arfa pendant que ses fans l’entretenaient coûte que coûte. Dans le paysage footballistique français, Hatem Ben Arfa divise car il est singulier. Sur le terrain, il se révèle parfois prodige, dribblant comme un gamin, provoquant plus que quiconque. Selon le point de vue, il est individualiste ou virtuose. A la ville aussi, il fait à sa manière. Il a toujours procédé ainsi. A 15 ans, c’était une petite star. A 16 ans, il jouait avec les pros à Lyon, la meilleure équipe du moment. Puis il a cessé de grandir, rattrapé par ses égarements alors qu’on le pensait irrattrapable. En guerre contre lui-même, contre ses dirigeants, contre ses entraîneurs et contre ce père qui ne lui a jamais dit “je t’aime”, Ben Arfa a perdu beaucoup de temps. Il le sait. Mais il se dit désormais en paix. Au sortir de trois mois magnifiques sous le maillot de Newcastle et après deux ans d’absence chez les Bleus, il va disputer l’euro. Pour “le gagner”.
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Dans tes interviews, tu as souvent parlé de ta quête du bonheur. Es-tu heureux aujourd’hui?
Hatem Ben Arfa – Je suis épanoui. Sur le terrain, je prends du plaisir et en dehors, je me sens heureux, à l’aise avec mon entourage.
Qu’est-ce qui a changé ?
Depuis deux ou trois ans, il me semble que je me comprends davantage. Désormais, en cas de problème, je me maîtrise, je fais l’effort de me mettre à la place de mon interlocuteur. Je me suis pris pas mal de baffes dans la vie et j’ai fini par comprendre que ce n’était pas toujours la faute des autres, que j’avais une part de responsabilité dans ce qui m’arrivait. A force de me remettre en question, j’ai réussi à dompter mon tempérament. Je suis moins impatient et moins impulsif, en paix avec moi-même.
Maîtrises-tu totalement tes pulsions ?
Non, je peux encore m’énerver à propos de n’importe quoi. Tout à l’heure, par exemple, le photographe m’a aspergé d’eau pour les prises de vue. A un moment, ça m’a agacé mais je ne l’ai pas montré. Cette flamme que j’ai en moi m’accompagnera jusqu’au bout. Il faut juste que j’arrive à la canaliser pour en tirer profit sur le terrain.
As-tu pensé suivre une psychanalyse ?
Je ne me voyais pas me confier à un inconnu. Je parlais beaucoup avec Michel (Michel Ouazine, son conseiller et ami qui l’accompagne depuis le début de sa carrière – ndlr) mais j’ai toujours été quelqu’un de plutôt renfermé. De toute façon, qui va prendre le temps de t’écouter et de te comprendre ? Chacun a ses problèmes dans la vie. En définitive, on est seul.
La longue période d’inactivité qui a suivi ta double fracture tibiapéroné en octobre 2010 a visiblement joué un rôle dans cette reconstruction.
J’avais déjà commencé à me poser des questions mais je reconnais que cette blessure m’a permis de faire le vide. Pendant un an, les gens n’ont plus parlé de moi. Ils m’ont laissé tranquille. J’avais besoin qu’on m’oublie.
Qu’as-tu fait pendant cette année sans jouer ?
J’ai quitté Newcastle où je venais de m’installer et je suis retourné en région parisienne. J’ai suivi ma rééducation à Clairefontaine, entouré de mes proches.
Ce retour à Clairefontaine était aussi un retour aux origines. C’est là que tu as lancé ta carrière en intégrant l’Institut national du football (INF).
Oui, j’avais 12 ans quand je suis allé là-bas pour la première fois.
Que retiens-tu de cette période ?
J’ai mal vécu cet épisode de ma vie. C’était dur. Tu es un gamin et après l’entraînement, quand tu rentres le soir, tu te retrouves toujours en compétition. Tout le monde veut être le meilleur. Mentalement, tu n’es jamais apaisé. A l’époque, je me battais très souvent, je m’embrouillais avec les éducateurs. J’étais pressé que le week-end arrive pour être tranquille.
Tu penses que 12 ans, c’est trop tôt pour quitter ses parents ?
Je ne reproduirai pas la même chose pour mon fils, en tout cas. A 12-14 ans, tu as encore besoin du cocon familial, tu n’es pas encore construit. Là-bas, je me sentais vraiment isolé. L’affection paternelle m’a certainement manqué.
La situation était d’autant plus particulière qu’à l’époque, toi et les autres joueurs de l’INF étiez filmés pour un documentaire de Canal+, A la Clairefontaine…
J’avais 15 ans lorsque le documentaire a été diffusé à la télé. Au début, j’étais content : les gens me reconnaissaient dans la rue, à l’école tout le monde venait me parler. Mais c’est rapidement devenu pesant et ça m’a plus handicapé qu’autre chose. Lorsque tu es jeune et pas encore tout à fait équilibré, tu peux vite t’égarer et perdre tes repères. Tu estimes que tu as plus de droits que les autres et tu peux basculer dans la toute-puissance…
A cet âge-là, tu étais déjà perçu comme une star.
C’est vrai que dès mon premier contrat à Lyon, tout le monde me regardait comme un mec à part. A 15 ans, j’ai signé dans le bureau du président Jean-Michel Aulas. A l’époque, seuls les joueurs pro avaient ce privilège, pas un jeune tout juste sorti du centre de formation. Je suis arrivé avec le statut de jeune star et ce traitement de faveur a naturellement suscité de la jalousie. Les gens ne s’en rendent pas compte mais la perception que l’on avait de moi m’a pas mal pénalisé.
Ton premier entraîneur à Lyon, Robert Valette, dis que, ado, tu lisais énormément. C’est rare dans le foot…
Beaucoup de gens de mon entourage lisaient, je m’y suis mis naturellement. Plus tard, j’ai même essayé des bouquins de philosophie, Kant ou Spinoza, des trucs qui te cassent la tête. J’étais obligé d’aller sur internet pour trouver des explications (rires). Aujourd’hui, je lis moins mais à l’époque je cherchais des réponses à mes problèmes.
Quels problèmes ?
Je n’avais aucune humilité, je parlais beaucoup, j’avais toujours un truc à dire, je m’embrouillais tout le temps. A Lyon, j’ai été viré de l’école, je me suis engueulé avec les éducateurs, avec le directeur du centre de formation… J’étais dur, impulsif, sûr de moi. Quand j’ai intégré le groupe pro (en janvier 2004, à 17 ans – ndlr), je pensais que je pouvais faire la différence et dribbler tout le monde. Mais il y avait déjà des dizaines de joueurs internationaux, il a fallu que je rentre dans le rang. On me prenait pour un provocateur parce que je réalisais des petits ponts à l’entraînement, ça énervait certains anciens de l’équipe. Après quelques heurts, j’ai fini par trouver ma place. Quand je repense à Lyon, je ne me souviens que des bons moments. Ce club m’a donné ma chance, m’a construit et m’a fait évoluer. C’est la seule chose que je souhaite retenir.
Très tôt, ton côté va-t-en-guerre était déjà perceptible. On pense à cette histoire de prime d’intéressement que le président de Lyon, Jean-Michel Aulas, a refusé de te verser.
Sur le coup, sa conduite m’a vraiment choqué. Je me suis senti victime d’une injustice. Pour cette affaire de prime oubliée, je suis passé devant la commission juridique de Ligue de football professionnel et j’ai pu dire mes quatre vérités à M. Aulas. Je n’avais que 21 ans mais je lui ai demandé où était passée sa parole. Intérieurement, je me disais “heureusement que nous ne sommes pas des animaux sinon je t’aurais tué”. A cette époque, les gens le craignaient parce qu’il était puissant et membre de la commission. Moi, je m’en foutais.
Tu n’as jamais été impressionné par la hiérarchie, par tes présidents, tes entraîneurs, tes sélectionneurs. D’où te vient ce caractère ?
C’est comme ça, je n’ai jamais eu peur. A l’école déjà j’étais un rebelle. J’ai toujours eu du mal à me soumettre à l’autorité. Il fallait savoir comment me prendre, ne pas être trop dur, m’écouter, trouver le juste milieu.
Qui a réussi à te comprendre ?
Raymond Domenech, je crois. Ses paroles me touchaient, il prenait du temps pour me parler, disait des trucs comme “Ta passion doit te servir sur le terrain, ne la dirige pas contre toi”. Je sentais une réelle affection chez lui, il était protecteur et sincère. J’ai l’impression que nous sommes animés du même sentiment de révolte.
Contre le milieu du football ?
Dans tous les milieux où il y a beaucoup d’argent, on trouve un côté malsain. Par moments, à cause des pressions, des obligations et des contraintes, j’ai douté de mon amour pour le football. Quand j’ai repris l’an dernier après ma blessure, l’envie m’avait quitté. Je trouvais que ce foot-là ne ressemblait plus vraiment à celui que j’aimais. Et puis, doucement, j’ai retrouvé le goût du terrain et le plaisir.
En août 2010, alors que Marseille refusait de te laisser partir à Newcastle, tu as menacé de mettre ta carrière en suspens. C’était du bluff ?
Non, j’étais prêt à rester jusqu’à la fin de mon contrat et à ne pas jouer pendant un an. On avait convenu de quelque chose avec le club, j’étais dans mon droit, j’étais serein. J’attendais tranquillement à Paris dans mon appartement. Si la situation n’avait pas avancé, je serais resté comme ça.
Tu étais vraiment prêt à vivre sans le football ?
J’y serai bien obligé un jour (rires). Mais je suis prêt, j’y pense parfois. Je ne sais pas à quoi ça ressemblera mais je trouverai ma voie.
Venons-en à ton jeu, fait de dribbles et de provocations balle au pied. Penses-tu qu’il reflète ta personnalité ?
Ton jeu, c’est toujours ta façon d’être. Dans la vie comme sur le terrain, j’aime prendre des initiatives, ne pas trop dépendre des autres, sortir du lot, afficher ma différence. Faire des passes à deux mètres qui ne servent à rien, ça ne m’intéresse pas. Si je n’avais pas été footballeur, je crois que j’aurais monté ma boîte tout seul, sans demander l’aide de personne.
Que cherches-tu sur le terrain?
J’estime que le foot doit rester un plaisir. C’est mon métier mais lorsque je joue, j’essaie toujours de retrouver le plaisir que j’ai connu au pied des tours du quartier des Aviateurs, à Châtenay- Malabry, où j’ai grandi. Je sais que lorsque je parviens à retrouver cette joie dans le jeu, je suis plus performant.
As-tu renoncé à une part de toi-même pour réussir dans le foot moderne, obnubilé par la gagne ?
Je ne pense pas. J’ai conservé mes qualités en y ajoutant d’autres choses. Aujourd’hui, je prends du plaisir même dans le travail défensif, je suis satisfait quand mes adversaires n’arrivent pas à marquer. A Newcastle, j’aime bien défendre en bloc pour avoir ensuite l’occasion de marquer en contre J’ai beaucoup évolué, je me suis adapté à la philosophie de l’équipe. Bien sûr, je préférerais jouer dans une équipe où l’on garde davantage le ballon.
Comme Eric Cantona, l’exil en Angleterre semble t’avoir fait du bien.
Enormément. La vie y est relaxante, sans pression. Si j’avais pu venir en Angleterre dès mes 17 ans, je l’aurais fait. C’est un autre monde, une autre culture. Tu peux perdre 3-0, mais les supporters ne te sifflent pas pour autant. Le club te met dans les meilleures conditions, te responsabilise, il n’y a pas de mises au vert. Lorsque tu joues un match à 15 heures, c’est comme en benjamins, c’est léger : ils te donnent rendez-vous à 13 h 30, ça veut dire que tu peux aller au McDo à midi et jouer à 15 heures si tu veux… Si tu estimes que tu dois te reposer plutôt que t’entraîner pour être en forme pour le match suivant, le coach te fait
Comment s’intègre la religion dans cette vie ?
Je prie chez moi cinq fois par jour. J’en ai besoin. Cela m’apaise et me rend plus tolérant.
Dans une interview à L’Equipe en janvier, tu évoquais l’endoctrinement que le chanteur Abd Al Malik et son manager t’avaient fait subir (1)…
Je n’avais pas prévu d’en parler : j’ai répondu à une question et je ne pensais pas que ça prendrait autant d’ampleur. Je ne sais pas si ça m’a fait du bien d’en parler, j’ai simplement voulu être sincère et dire ce que j’avais sur le coeur. Aujourd’hui, je n’ai aucune rancune envers Abd Al Malik.
Veux-tu toujours devenir le meilleur joueur du monde ?
Depuis que je suis petit, je rêve du Ballon d’or. Aujourd’hui, je suis prêt. J’ai perdu un peu de temps au cours de ma carrière mais les épreuves que j’ai traversées m’ont renforcé.
As-tu déjà pensé que tu ne connaîtrais jamais le destin de superstar qu’on te prédisait ?
Jamais, jamais, jamais (en remuant la tête). Ça fait dix ans que j’entends “avec un talent comme ça, il n’a pas le droit de décevoir.” Il y a toujours eu énormément d’attente vis-à-vis de moi et comme je n’y ai pas répondu immédiatement, j’en ai déçu certains. Mais à aucun moment je n’ai douté de moi-même.
Tu savais que Laurent Blanc allait te présélectionner pour l’Euro ?
Ça ne m’a pas surpris qu’il fasse appel à moi. Je le méritais.
Ton ambition pour l’Euro ?
Gagner.
Propos recueillis par Marc Beaugé et David Doucet
1. Dans cet entretien, Hatem déclarait : “C’était un système comme dans une secte. Je faisais partie d’un mouvement avec un chef spirituel, un cheikh. Quand je suis entré dans la salle de prières, ce maître, il fallait que je lui baise les pieds (…) Ils m’ont endoctriné à une époque où j’étais très vulnérable (…) Je me suis réveillé à temps.”
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