Florisant et triomphant aujourd’hui, le jeune folk français doit beaucoup à Herman Dune. Les pionniers reviennent en ordre dispersé : un frère d’un côté, son cadet de l’autre. Et la joie partout.
“Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous”, écrivit Saint-Exupéry. Deux grands albums de folk français chantés en anglais viennent lui donner raison. Constellé de ballades éthérées et bercé par le timbre serein d’un certain Stanley Brinks, Dank U a surgi en plein mois d’août dans la plus stricte confidentialité. Gorgé de pop-songs solaires et de vocalises dorées, Next Year in Zion d’Herman Düne paraît ces jour-ci, avec la promesse d’une tournée mondiale à la clé. Ces deux-là sont génétiquement liés : Stanley Brinks n’est autre que le pseudo d’André, co-fondateur d’Herman Düne et démissionnaire du groupe depuis 2006.
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C’est juste après la sortie de l’album Giant, qu’il décide de jeter l’éponge, laissant son cadet David-Ivar et le batteur Neman seuls aux commandes. “C’était un cap, je ne me sentais plus à ma place musicalement. Aujourd’hui, on se voit beaucoup moins parce qu’on ne travaille plus ensemble, mais nos rapports n’ont pas changé”, explique André désormais installé à Berlin. Et David-Ivar de renchérir : “Je pense qu’après dix ans de vie commune, il avait besoin d’une expérience solitaire. Ça m’a fait mal au cœur au début, mais aujourd’hui, je me sens très bien. D’ailleurs, je reviens de Berlin.”
Herman Düne naît à Paris, à la fin des années 90 et dévoile d’emblée un songwriting unique porté à deux voix anglophiles et quatre mains prodiges par les frangins franco-suédois. A la fois dépouillées et bavardes, poétiques et mélodieuses, leurs ballades folk-rock semblent surgies du fin fond des Appalaches pour offrir une jolie descendance à Jonathan Richman. Très vite, le trio est associé à la scène anti-folk qui essaime de New York à Paris (Moldy Peaches, Jeffrey Lewis…). Mais l’étiquette underground finit par devenir un peu trop collante à la barbe fleurie de ses membres érudits : le temps de la mue est venu avec Giant.
L’ultime création fraternelle d’Herman Düne n’a pas volé son nom. C’est une œuvre panoramique et grandiose, dont la substance s’est enrichie d’une section de cuivres de Brooklyn, d’un groupe vocal féminin et de bongos. Des guitares calypso et un saxo viendront parfaire ce road-trip intemporel, aux confins abstraits de La Nouvelle-Orléans et des Caraïbes. Mais à peine le groupe se voit-il promis à une carrière internationale que la moitié de son cerveau se fait déjà la malle. En 2006, on ne donne alors pas cher de la peau d’Herman Düne. Rares, en effet, sont les formations qui survivent à l’amputation d’un membre fondateur. A l’inverse, on s’inquiétait de voir l’inspiration d’André tourner en boucle comme un vieux disque rayé. C’était bien mésestimer leurs génies respectifs.
Avec Next Year In Zion, Herman Düne revient prouver qu’il est possible de révérer tout à la fois Leonard Cohen, les Shadows, Bob Dylan, Shangri-La’s, Will Oldham, Muddy Waters, Ennio Morricone, les musiques yiddish ou mariachi et le label Stax. Ce huitième album a beau compulser une somme délirante d’influences et de territoires sonores, il brille par sa cohérence avec, pour fil conducteur, le phrasé cuivré de David-Ivar. C’est à Los Angeles, face à l’immensité océane, qu’il a imaginé ses textes. Tantôt transie (Try To Think About Me), tantôt amère (When We Were Still Friends), tantôt légère comme une plume sur un wurlitzer (Baby Baby You’re My Baby), son écriture évite brillamment l’écueil de la naïveté.
L’enregistrement de l’album a eu lieu en Provence, sur une console jumelle d’Abbey Road, live et en stéréo, comme au bon vieux temps de Rubber Soul. “Je ne prétends pas révolutionner la pop-music, je me contente juste de réutiliser les outils de mes disques idéaux”, explique David-Ivar qui a rappelé l’intégralité de la dream-team de Giant – engageant au passage son propre père à la voix et l’harmonica. Il y a quelque chose d’humble, et de finalement très décomplexé, dans sa façon d’orchestrer la succession d’Herman Düne. Enchanté par les chœurs célestes du girls-band The Baby Skins, rythmée par la batterie chaloupée de Neman, scindé de cuivres soul et de guitares surf, Next Year In Zion irradie de bonheur. Pas gaga pour autant, David-Ivar sait aussi empoigner le cœur : sur le bouleversant Someone Knows Better Than Me, il ressuscitera l’art ancestral du storytelling avec une poésie rare.
A ce petit jeu-là justement, son aîné est un adversaire de taille. “Durant l’été 1973, un garçon est né et ce garçon, c’était moi (…)/ Ma mère était calme, elle était éduquée, elle a parcouru le monde, elle a étudié et peint (…)/ Mon père était docteur mais jouait de la guitare / Le jour de ta naissance, tu sais ce que tu vas devenir”, chante en boucle Stanley Brinks sur le single éponyme de Dank U, tandis qu’un vieux saxo dérange une guitare à la simplicité déchirante. En quelques vers, l’aîné introverti d’Herman Düne aura rarement mieux parlé de lui, des siens, du cycle humain. Et c’est comme ça sur tout l’album : un cortège lumineux de mélodies épurées, d’histoires intimes et d’impressions sur le monde. Son existence berlinoise serait tout sauf un exil. Si le garçon l’a élue, c’est pour mieux dilater le temps et s’y suspendre tranquillement : “On est encore au 20ème siècle ici, à bicyclette, sans téléphone de poche et avec très peu d’internet. Ça change dramatiquement comme partout, mais il est encore normal de vivre dans la rue. Les seuls artistes qui s’ y installent ici sont ceux qui n’ont pas réussi ailleurs. C’est une bonne page blanche.” Stanley Brinks ne se lasse pas de la noircir. Artiste prolixe, il multiplie à l’infini les pseudos (Klaus Bong, Ben Dope, Ben Haschish…) et les genres (rock, blues, électro…). On sait dès lors ce qui nous manquera chez Herman Düne. Il y a d’abord cette voix d’un demi-ton plus grave et forcément plus mélancolique, mais aussi ce regard à la fois humaniste, onirique et décalé sur les dysfonctionnements modernes de notre monde.
Soudain, le titre Next Year In Zion ressemble à une promesse. Si les deux frères ont emprunté des sillons divergents, un paradis perdu pourrait bien attendre quelque part de les voir à nouveau réunis.
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