La musique électronique connaît un succès grandissant et son public s’élargit de plus en plus. Pour autant, force est de constater que son industrie reste encore dominée par les hommes. Des femmes artistes témoignent du sexisme ambiant qui règne dans l’industrie de la musique électronique française.
21 janvier 2016 au soir, dans le Paris Musique Club du sous-sol de la Gaîté Lyrique. Rag, DJ, programmatrice d’événements et directrice artistique du collectif Barbi(e)turix organise un débat sur la place des femmes dans la musique électronique. De l’attachée de presse à la programmatrice d’un grand club parisien, en passant par la jeune DJ, cinq femmes sont venues témoigner de leur expérience en tant que femme dans un univers hyper-masculin. « Aujourd’hui, les hommes n’ont plus le monopole des platines », lance Rag, en préambule.
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À l’heure où la musique électronique connaît un succès grandissant et où son public essaie de se diversifier, les femmes souffrent d’un cruel manque de visibilité. Si toute la presse a crié au scandale quant au manque de dessinatrices de bandes-dessinées dans la sélection au Grand Prix 2016 du festival d’Angoulême, l’absence d’artistes féminines dans les grands festivals de musique électronique, comme le Weather, le Peacock, ou encore les Nuits Sonores, est elle aussi bien réelle.
Réflexions graveleuses
Pourtant, elles sont nombreuses ; artistes, productrices, techniciennes du spectacle, ou programmatrices à devoir jouer des coudes pour faire leur place dans un univers né du mélange des cultures et de l’affirmation des minorités sexuelles. Et les clichés sexistes sur les femmes y ont la peau dure. Rares sont celles qui n’ont jamais reçu de commentaires graveleux. « Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai entendu ‘tu mixes bien pour une fille…’« , confie Emeline Ginestet, directrice artistique du Rex Club, label manager et DJ (sous le nom de Molly).
Hélène*, attachée de presse indépendante, avoue ressentir du sexisme au quotidien. Elle s’est même posée la question de porter des jupes pendant les festivals, après avoir reçu des remarques déplacées.
Quand ce ne sont pas de mots, ce sont carrément des gestes. Contactée par les Inrocks, Louisahhh !!!, la figure féminine du label Bromance témoigne : « Il m’est arrivé de frapper un manager qui m’avait mis la main aux fesses ». Être une femme dans la musique électronique, c’est aussi devoir affronter les techniciens qui se permettent de « faire ‘quelques réglages’ avant ton set alors qu’ils n’oseraient pas toucher aux platines d’un DJ homme », raconte Rag, directrice artistique du collectif Barbi(e)turix et DJ.
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Plafond de verre
L’image du plafond de verre n’existe pas seulement dans les métiers traditionnels. Même dans le milieu de l’électro, les femmes doivent justifier de leur légitimité. Claire Abitbol, co-fondatrice du label 100% féminin RA+RE et DJ, raconte aussi comment elle a souvent « la sensation de déranger » :
« Un jour, j’étais dans un club où plusieurs Djs avaient prévu de faire un set tous ensemble. Que des hommes bien sûr. Et là, un ami me propose de jouer. Je me suis installée derrière les platines, et ils se sont tous mis à me dévisager d’un air de dire ‘Non mais tu fais quoi là ?!’ »
Idem en ce qui concerne la question de l’inégalité salariale. Fanny Coral, agent d’artistes et co-créatrice du label Kill The DJ, doit régulièrement se battre pour ses artistes féminines : « Pour un DJ garçon, j’annonce un prix et tout le monde me dit : ‘ok’. Pour une femme, qui a déjà sorti plusieurs albums, je rame toujours un petit peu pour obtenir le même cachet. »
Hypersexualisation
Le stéréotype de l’admiratrice ou de la « suiveuse » semble toujours avoir de l’avenir :
« Un jour, on m’a demandé de descendre de scène car on m’avait prise pour une groupie et non pas pour une des DJ de la soirée. Comme si produire de la musique était incompatible avec le fait d’être une femme », s’indigne Louisahhh !!!.
Finalement, toutes s’accordent à dire qu’il est plus difficile pour une femme d’être prise au sérieux dans le milieu de la musique électronique. Lourde en sexisme ordinaire, la promotion des artistes relève parfois du parcours du combattant. Dans les médias, les femmes DJ sont une espèce rare. En novembre 2013, Trax, un magazine spécialiste des musiques électroniques publiait une photo sur ses réseaux sociaux afin de présenter les têtes françaises. Résultat : 67 hommes et 2 femmes. De nombreuses lectrices avaient alors dénoncé l’absence notoire de parité.
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PHOTO DE CLASSE ! PARIS 2013-2014TRAX 169 // De haut en bas, de gauche à droite : Zaltan (Antinote), Stanislas Aron…
Posté par Trax Magazine sur mardi 19 novembre 2013
Même dans leur traitement, les médias ont parfois tendance à réduire les artistes à leur genre ou leurs atouts physiques. Hélène*, attachée de presse dénonce même le choix des termes utilisés :
« J’ai parfois dû insister auprès de certains journalistes pour qu’il soit écrit ‘dj’ et non ‘djette’ qui est synonyme de ‘fillette’ ou de ‘petite dj’. Personne n’écrit d’ailleurs ‘productrice’, comme si les femmes ne créaient pas leurs propres musiques. »
En 2010, Trax Magazine dédie un numéro à la scène féminine, et c’est une photo de femme nue, un bouton de platines à la place du téton, qui est choisie pour incarner la couverture. Même frisson embarrassant lorsque Nina Kraviz donne une interview au réputé magazine en ligne Resident Advisor, nue dans un bain de mousse. Très vite, les médias s’enflamment, et beaucoup dénoncent le besoin de montrer ses atouts physiques pour pouvoir être produites. On parle même alors de « Bathgate » ou de « Bubble gate ». « Tu ne sais jamais où te placer finalement. Car si tu gardes une part de féminité on te traite de salope », déplore Fanny Coral, agent et co-créatrice du label Kill the DJ.
Réelle avancée ou simple favoritisme ?
Bien que les femmes soient encore sous-représentées dans les festivals d’électro, la tendance semble commencer à s’inverser.
« Ce serait mentir que de dire que le fait d’être une femme ne m’a parfois pas avantagé. C’est comme si j’étais devenue une anomalie marketing qui me distingue de mes collègues hommes. En réalité, c’est même dingue de voir que, très souvent, quand je collabore avec d’autres artistes, les médias ont tendance à s’intéresser davantage à moi, et je suppose que c’est parce que je suis une femme, et que ça change », reconnaît Louisahhh !!!.
Claire, de chez RA+RE, avoue être parfois contactée pour venir jouer, simplement à cause de son genre, « alors qu’ils n’ont pas toujours écouté ce que je produis, mais ils sont simplement content d’inviter une femme ». Attention alors à ne pas tomber dans le favoritisme, rappelle Louisahhh !!! :
« Dans le milieu, on pense souvent qu’une fille est invitée à jouer, simplement parce qu’elle a une paire de seins ou parce qu’elle couche avec le programmateur. C’est pourquoi les femmes doivent davantage prouver qu’elles sont douées, surtout lorsque l’on débute ».
Face à ce constat accablant, la principale solution pour faire avancer les choses reste la prise de parole. »Je pense que pour que les choses avancent, il est très important d’élargir le débat, il faut se tourner vers les personnes qui peuvent faire bouger les lignes : les médias, les labels, les programmateurs, les managers… », conclut Louisahhh !!!.
* Son prénom a été modifié
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