Décédé il y a dix ans, J Dilla reste considéré comme l’un des producteurs hip-hop les plus influents de l’histoire. Son groove unique n’a pas fini d’être décortiqué, par ses plus éminents compères américains comme par la nouvelle scène beat française.
Même Questlove le dit : « comprendre le groove de J Dilla c’est comme regarder quelqu’un réussir un puzzle de 10 000 pièces en un temps record ». Le célèbre batteur de The Roots a bien connu le producteur décédé il y a tout juste dix ans d’une maladie du sang très rare (e purpura thrombotique thrombocytopénique) à trente-deux ans et trois jours. Entre 1994 et 2006, Dilla a eu le temps de bosser avec les plus grands : Common, A Tribe Called Quest, Busta Rhymes, The Pharcyde, De La Soul, Talib Kweli, Madlib ou encore Erykah Badu. Avec ce groove si particulier.
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Un groove incompréhensible
Ce charleston souvent désarticulé, des boucles en décalage, un beat robuste et un savant mélange ternaire-binaire… La marque de fabrique J Dilla est aisément identifiable. Tellement qu’elle a fait du producteur le premier beatmaker érigé au rang d’objet de culte après son décès, comme 2Pac ou Biggie ont pu l’être chez les MC’s, toute proportion gardée. oOgo et Chomsky, membres de La Fine Equipe et boss du label Nowadays, continuent aujourd’hui à poncer sa discographie. Leurs trilogie La Boulangerie est un hommage assumé à l’album Donuts de leur maître à penser musical : » Il a une signature rythmique unique. C’est un peu comme James Brown ou Fela Kuti : il fait partie de ces quelques personnes qui ont inventé un groove. C’est énorme, c’est comme inventer un style musical. »
Ce que son groove a de si dingue ? Les beats ne sonnent pas programmés, quantizés. Ils semblent joués en direct à la MPC. Dans ce cas, un batteur devrait pouvoir les rejouer aisément… mais c’est en enfer, un entre-deux spécial au groove unique. Le producteur 20syl (C2C, Hocus Pocus, On And On Records), n’y va pas par quatre chemins :
« Il a traumatisé tous les beatmakers de ma génération. Je pense que si tu lis les bios de 90% d’entre eux, J Dilla est présent comme référence. En tout vas dans un certain style, c’est incontournable. »
http://www.youtube.com/watch?v=W_-qRcHAhzk
La batterie du hip-hop
J Dilla était batteur à la base, et il a longtemps composé ses instrus sans savoir « quantizer » les beats. Peut-être que l’explication de cette rythmique particulière vient de là, d’une sorte d’accident. Peut-être aussi de l’influence de la techno de son Detroit natal, qu’il revendiquera de plus en plus au fil de sa carrière. Toujours est-il que la scène hip-hop ne s’est jamais véritablement remise de son passage éclair sur Terre. Parfois, quand il envoyait ses beats aux artistes, ces derniers les retouchaient, pensant qu’il y avait un problème avec la rythmique. J Dilla s’est alors mis à n’envoyer que des beats masterisés, afin qu’ils ne puissent pas être modifiés.
En France, la nouvelle scène beat qui marche fort actuellement lui doit une fière chandelle. oOgo s’explique :
» Il y a cette deuxième vague de beatmakers qui est influencée par ceux qui, comme nous, ont eux-mêmes été influencés par J Dilla. Si ça se trouve, il y en a même parmi eux qui sont influencés par J Dilla sans le savoir. »
Ils sont tout de même nombreux à tout connaître de J Dilla, aka Jay Dee (et de son vrai nom James Dewitt Yancey). C’est le cas de Blutch, jeune producteur morlaisien : » Chez tous les nouveaux beatmakers que j’écoute, c’est rare de trouver des instrus pile poil dans le rythme. Sa patte est partout. »
http://www.dailymotion.com/video/x2c3stc
Le mythe perdure
Prophète en son pays, le protégé du label Stone Throw a traumatisé les plus grands de ses compatriotes. Questlove, donc, dont le jeu de batterie est énormément influencé par les MPC de Jay Dee, Dr Dre, Q-Tip, Cut Chemist, Dj Baboo, mais aussi Kanye West. Ce dernier fait partie des quelques artistes à se rappeler une phrase devenue gimmick dans le milieu : » What would Dilla do ? « . Dans un documentaire sur Stone Throw, il expliquait pour :
« Quand je prends un son jamaïcain bien barré, ça fonctionne au début, mais c’est seulement quand je rajoute ce [il fait un son de nappe très bizarre, rappelant celles de J Dilla] qui sonne comme de l’art ou joliment faux. Et maintenant que c’est faux, tu l’envoies à la radio. Joue ça mec ! Joue ce titre de cinq minutes qui va complètement baiser ta programmation. Joue ça ! La meilleure marque de respect que l’on puisse donner à ce grand artiste qui nous a tant inspiré est de ne jamais brader ce que l’on fait. »
Madlib, collègue de Stone Throw et ami (ils formaient ensemble le génial duo Jaylib), semble être l’héritier le plus proche de Dilla. Et derrière lui, une volée innombrable de producteurs suit : Ta-ku, Jazzy Jeff, Bullion… Tous publient des mixes hommages. Stone Throw et la mère de J Dilla ont même la fâcheuse tendance de sortir des prémixes non terminés, directement chargés depuis la MPC du beatmaker. Parfois égratigné de la sorte, le mythe parvient tout de même à rester intact. Tout ça grâce au groove.
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