À l’occasion de la sortie de « Spotlight », retour en douze films sur la figure « héroïque » du journaliste au cinéma.
C’est proprement américain. De même qu’un médecin urgentiste court dans tous les sens, qu’un flic ne dort jamais et se fait quitter par sa femme, un journaliste est une figure héroïque, un homme seul dans une salle de rédaction qui parcourt la ville en tous sens, pénètre les réseaux les plus fermés, possède une force de conviction à toute épreuve et vit seul avec son chat. Comme le flic, il doit se coltiner des supérieurs hostiles et politicards, résister à la corruption. Mais il faut mieux qu’arrêter des coupables : figure quasi mystique, il défend la démocratie à l’aide de la vérité. Son arme n’est pas le flingue, mais la révélation.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Dans L’homme qui tua Liberty Valance, John Ford faisait dire à l’un des personnages, le journaliste et patron d’un petit journal local, que lorsque la légende est plus belle que la vérité, il faut imprimer la légende. Le cinéma a en tout cas mythifié le métier de journaliste – sans parvenir toujours à convaincre, aujourd’hui où la profession de journaliste est, à tort ou à raison, l’une des plus décriées et critiquée par les populations occidentales et pourtant libres.
Citizen Kane d’Orson Welles (1941)
Le pouvoir, pour Charles Foster Kane (inspiré par Randolph Hearst, le magnat de la presse américaine), ce n’est pas seulement la fortune (dont il a hérité), mais celui qu’on peut exercer sur l’opinion. Le vrai pouvoir est le cinquième. C’est grâce à lui que Kane se lancera dans la politique. Le journalisme est une arme de propagande. Mais elle peut se retourner contre vous.
La 5e victime de Fritz Lang (1956)
Un tueur psychopathe terrorise la ville. Le nouveau patron d’un grand journal promet à celui de ses journalistes qui confondra l’assassin un poste très élevé. L’un d’entre eux va utiliser sa compagne comme appât. C’est une fois de plus le mal qui fascine Lang. Notamment celui qui pousse un ambitieux à mettre en danger la vie de sa femme. Qui est le plus criminel ? L’assassin ou celui qui le tente sciemment ? Le journaliste langien est un personnage ambigu. Un héros dangereux.
La Dolce vita de Federico Fellini (1960)
Marcello (Mastroianni) est un reporter people. Avec son photographe Paparazzo (personnage qui donnera son nom aux photographes harceleurs), il hante les boîtes de nuit, les aéroports, la campagne romaine, en quête d’un scoop, d’un scandale, d’une liaison, d’un miracle… Mais le journaliste inventé par Fellini (qui le fut lui-même dans sa jeunesse) lui sert surtout à décrire la société italienne de son temps, en plein boom économique, la perte plus ou moins heureuse de ses valeurs traditionnelles, la peur face à la libération sexuelle, un avenir inquiétant. Marcello est un poste d’observation parfait, qui fréquente tous les milieux. Il fait un sale boulot, mais il rêverait d’être un intellectuel, comme son ami Steiner (Alain Cuny). Mais celui-ci se suicide après avoir tué ses enfants, et Marcello se réfugie dans l’imaginaire de la fête.
Les Fantômas de Louis Feuillade (1913) et André Hunebelle (1964-65-66)
Jérôme Fandor, inventé par les écrivains Souvestre et Allain, est certes journaliste, mais il est surtout le fils spirituel de l’inspecteur Juve, en tout cas dans les romans et les films de Feuillade. Il est le fils de deux victimes de Fantômas, et Juve l’a aidé à changer de nom pour qu’il puisse échapper au maître du crime. Dans les films de Hunebelle, des comédies parfois assez inquiétantes, Fandor (Jean Marais) est bien plus malin que l’inspecteur Juve (De Funès), qui garde toujours en tête que Fandor pourrait être Fantômas – ce qui est fort possible, puisque Marais joue aussi le rôle de l’ange du mal. Le journalisme et la police main dans la main.
Les hommes du président d’Alan J. Pakula (1976)
Un film matrice. Adaptation du livre de Bob Woodward et Carl Bernstein, les deux journalistes qui ont révélé au monde le scandale du Watergate pour le compte du Washington Post, où comment deux grands professionnels peuvent faire tomber un président des Etats-Unis, envers et contre tous, en prouvant sa culpabilité. Les hommes du président pose les fondations du film à la gloire du journalisme, sauveur de la démocratie, implacable justiciers, enquêteurs infatigables. Des héros du quotidien. Le film de gauche typique.
Les super héros : Spiderman et Superman
Hasard ? Dans le civil, Spiderman est photographe de presse indépendant, Superman journaliste. Pourquoi ? Pour être au courant de tout avant tout le monde, bien sûr !
https://www.youtube.com/watch?v=MWGMGvRPiQQ
Révélations de Michael Mann (2000)
Les Hommes du president, version industrielle, avec cette enquête sur les magouilles et les mensonges de l’industrie du tabac. Mais cette fois-ci, le crime est plus grave. Et c’est Al Pacino, présentateur vedette, qui mène l’enquête, aide par Russell Crowe en vice-président de la recherche et du développement de Brown & Williamson Tobacco Corporation. Ils devront non seulement affronter les lobbys cigarettiers, mais aussi les menaces que les annonceurs publicitaires font peser sur sa chaîne. A cause de la pression de l’argent, il est de plus en plus difficile de faire triompher la vérité.
Good night, and good luck de George Clooney (2006)
L’histoire du présentateur de CBS Edward R. Murrow qui, soir après soir, porta ses coups pour faire tomber le sénateur Mac Carthy, l’homme qui lança la terrible chasse aux sorcières contre les communistes et mourut d’une cirrhose du foie. Il terminait chacune de ses interventions par ces mots : “Good night, and good luck”. C’est le film démocrate par excellence. Réalisé par George Clooney pour rendre hommage à son père, lui-même journaliste, Good night, and good luck, héroïse la figure du journaliste sans aucune retenue.
Frost/Nixon, l’heure de vérité de Ron Howard (2009)
David Frost le journaliste anglais qui amena, à force de psychologie, le président Richard Nixon à accepter de participer à une émission de télévision après sa démission et l’affaire du Watergate. Le film tiré d’une pièce de théâtre, oppose le politique et le journalisme, dans un duel où chacun veut tirer profit de l’autre (Frost doit lui aussi relancer sa carrière), le manipuler, et surtout l’emporter. Dans une lutte presque fratricide entre les deux types de pouvoir.
Zodiac de David Fincher (2007)
Le petit dessinateur de comics trip (Jake Gyllenhall) se joint à ses deux collègues du San Francisco Chronicle (Mark Ruffalo et Robert Downey Jr) et devient un redoutable enquêteur. Qui de mieux pour retrouver un tueur en série qui laisse des symboles traîner partout ? Mais cette fois-ci, le journalisme va échouer. Fini, le reporter qui gagne à tous les coups. Les temps changent.
Spotlight de Tom McCarthy (2016)
La mine déconfite, la bande d’enquêteurs vedettes du Boston Globe vont découvrir et révéler que l’église catholique américaine est infestée de prêtres pédophiles, et qu’elle les dissimule sciemment. Un peu neuneus, nos héros sont en constante ébullition, et la moindre découverte les laisse bouche bée. On n’en apprendra peu sur la pédophilie, davantage sur les arcanes labyrinthiques de la justice US.
Jean-Baptiste Morain
{"type":"Banniere-Basse"}