Entre Tame Impala et Radiohead, le jeune groupe anglais sort son premier disque bluffant, « The Album Paranoia ».
« La décision de monter un groupe, le choix de son nom, celui de l’album, l’artwork : tout s’est joué en une soirée. ». Cheveux dans les yeux et débit fiévreux, le chanteur Rhys Edwards nous explique la scène. Originellement Londoniens, lui et son meilleur pote Rhys Williams se retrouvent un soir dans un appart à Berlin. Le décor s’imagine et se visualise facilement : des bières, de la poussière, quelques joints et un vieille partie de FIFA. Puis l’un d’eux remarque une vieille guitare posée dans un coin, et tout d’un coup, la révélation : « Mec, on monte un groupe ? ». L’histoire banale,vieille comme le monde, de la plupart des groupes de rock, nés pour tromper l’ennui. Et Edwards d’ajouter :
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« On se connaît depuis environ quatorze ans, mais on ne se parlait pas tant que ça. Du moins, pas avant de s’intéresser à la musique. Pour l’artwork, il y avait ce collage affiché dans la chambre, on s’est dit que ce serait cool d’en faire une pochette. Et pour le nom d’Ulrika Spacek, c’est juste un avatar que je m’inventais en allant en soirée…Rien de très intéressant à ce niveau-là. »
« Le mot psychédélique ne veut pas, ou plus rien dire »
Et pourtant, il faut croire que quelque chose d’intéressant s’est joué lors de cette soirée, puisque deux ans plus tard, le groupe anglais sort The Album Paranoïa chez Though Love (qui abrite également Girls Names et Autobahn). Leur première date parisienne avait lieu au Petit Bain, fin janvier. Sur scène ou sur disque, c’est une guitare noyée dans le fuzz qui débute les hostilités. Et une voix bercée par la réverbération et l’écho. Difficile, dans ce cas là, d’échapper à l’un des qualificatifs le plus fatiguant de l’époque en matière de musique : « psychédélique ». Un lieu commun qui fait suite à la vague du revival lancée par Tame Impala, Pond et consorts. Ulrika Spacek se défend néanmoins – à raison – d’être une simple photocopie des susnommés groupes. Voilà ce qu’ils répondent d’une même voix lorsqu’on leur pose directement la question :
« On n’a pas réellement l’impression faire partie d’une scène, encore moins du mouvement psychédélique. Ce mot ne veut pas, ou plus rien dire. Des tas de groupes se collent cette étiquette avant même de savoir jouer une seule chanson, ça nous dérange un peu. Nous, on essaie juste de jouer de la musique. »
Ils le démontreront en ce pluvieux samedi de fin janvier, juste après un excellent concert de Roberto Succo, side-project expérimental de Jessica 93 et d’un membre de Noir Boy George. Les cinq garçons timides et chevelus d’Ulrika Spacek – trois guitaristes, un bassiste et un batteur – ne sont pas là pour jouer un rôle ou prendre la pose. Visages penchés sur leurs instruments, devant un écran qui diffuse des images abstraites, ils délivrent un set assez court – tout au plus sept titres – et plongent le public dans une ambiance aussi rythmée que léthargique. Les influences du Brian Jonestown Massacre et de Kevin Parker sont palpables, mais il en va de même pour celle de Radiohead.
« Le premier album qui m’a réellement marqué à vie, c’est OK Computer, de Radiohead. En l’écoutant, j’ai découvert ce qu’était un groupe libre, vraiment libre. »
Paranoïa, schizophrénie et shoots de morphine
Influence assumée, donc, et qui se ressent surtout dans la voix du chanteur. Lequel a un jeu de scène très sobre, presque réservé, quand il psalmodie des paroles obscures.
« Je n’aime pas trop m’exprimer là-dessus, mais de manière générale, mes paroles parlent de paranoïa, comme l’annonce le titre de l’album d’ailleurs, ou de schizophrénie, ce genre de choses. »
La thématique de la schizophrénie se retrouve également dans leur musique, aux changements d’ambiance divers. En témoigne le meilleur morceau de l’album, Beta Male, joué en ouverture du concert. Un titre qui débute sur un riff entêtant, allant puiser dans les tréfonds du krautrock et du shoegaze, avant de se transformer en ballade shootée à la morphine.
The Album Paranoia, produit et enregistré par les soins du quintet, contient des chansons à la grâce hantée, contenant plusieurs niveaux d’écoute. Léger en surface, sombre en profondeur, l’album oscille constamment entre ombres et lumières, et perd l’auditeur dans des méandres hallucinées.
« Les ambiances de nos morceaux sont en constante évolution. C’est peut-être parce qu’on privilégie l’instinct, avant tout. On ne décide jamais à l’avance de la couleur qu’aura une chanson. Ça doit venir comme ça. Ou ne pas venir du tout. »
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