Après la bande très originale du film Les Chansons d’amour, Alex Beaupain poursuit son exploration de l’état amoureux, sans fausse pudeur.
Une seconde chance : c’est ni plus ni moins ce qu’a offert Christophe Honoré à Alex Beaupain quand, en 2006, il lui a demandé de reprendre et réorchestrer des chansons de son premier album pour la bande originale du film Les Chansons d’amour. Une deuxième chance couronnée par le succès (le César de la meilleure musique écrite pour un film), avec un effet totalement libératoire sur son auteur. « Mon premier album Garçon d’honneur n’avait pas trop marché, ça a même été un bide, raconte sans détour Beaupain, à la terrasse d’un café parisien. J’avais eu peur que le disque soit trop personnel, nombriliste. Avec Les Chansons d’amour, je me suis rendu compte que même après le film, les gens les écoutaient, les aimaient, en un mot que cela fonctionnait. ».
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En plus de prendre, avec le film d’Honoré, un tour générationnel, les chansons de Beaupain, interprétées par les acteurs du film occupèrent toute de suite un créneau particulier dans le paysage de la chanson française actuelle : l’exploration totale, de l’état amoureux. Rarement, depuis peut être Dominique A ou Daho, on avait entendu des chansons qui acceptent de se confronter aussi directement avec les sentiments. Des chansons qui entrent dans votre vie avec la faculté de la décrypter, de s’en faire l’écho, de traduire au plus juste un sentiment balbutiant ou déchirant, une distance qui s’installe, une rupture, un coup de sang, aussi la violence. « Les chanteurs d’aujourd’hui se donnent souvent le beau rôle : « On s’est fait quitter, on est tristes ». J’ai eu aussi beaucoup tendance à le faire. J’aime bien raconter quelque chose d’un peu plus franc. Dire que dans des histoires on peut être utilisé par des gens, aimer quelqu’un autant qu’on le déteste, faire souffrir. Morrissey a écrit des trucs abominables sur le sujet, mais je trouve ça très beau d’aller creuser dans comment on peut être un vrai salopard ».
Une crudité, une franchise qui infusent aujourd’hui 33 Tours, le nouvel album qu’il a enregistré avec Frédéric Lo, arrangeur entre autres de Daniel Darc, rencontré sur Les Chansons d’amour. « Il est très exigeant. Je lui ai fait écouter beaucoup de chansons. Il en aimait certaines, mais il m’a fait retravailler quand il trouvait ça redondant sur les thèmes, ou qu’il me trouvait fainéant ». Avec raison. Car avec 33 Tours, en douze titres qui alternent ambiances et tempo, Beaupain parvient à renouveler son répertoire, en rendant au passage hommage aux Souchon, Daho qui l’ont visiblement influencés. Et si les arrangements sont toujours aussi pop et léchés, les mots se font plus rêches, plus sexe qu’auparavant. « J’avais envie d’écrire des chansons sexuelles, sans fausse pudeur, sans passer par une poésie, explique-t-il. On le fait en littérature, au cinéma. En chanson c’est plus compliqué, surtout chez les garçons. C’est un terrain assez peu exploité en France, ou alors on tombe dans la chanson paillarde. Les anglo-saxons sont plus doués, il n’y a qu’à penser à PJ Harvey ».
Pari tenu avec des chansons telles A travers ou Je Veux. Mais comme dans ses disques précédents, il y a aussi beaucoup de morts dans ce 33 tours : des deuils, des amours à mort, des amours qui meurent, et des jours de pluie, interminables. Comme la pluie, titre chanté à quatre voix par Ludivine Sagnier, Clothilde Hesme et Chiara Mastroianni, les trois actrices des Chansons d’amour, que Beaupain rejoint sur le final, s’impose d’ailleurs comme le plus beau titre du disque et vaut à lui seul le détour. Une perle qui n’aura pas échappé à Christophe Honoré, qui en a fait (dans une version réorchestrée) un des moments forts et tragiques de La Belle Personne. « J’aime que les choses circulent, avoue Alex Beaupain, non sans élégance, en forme de conclusion, qu’elles se transmettent. »
Géraldine Sarratia
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