Dans les quartiers les plus pauvres de la cité phocéenne, changer la législation sur le cannabis pourrait permettre d’inverser le cycle de violence lié aux trafics qui impliquent souvent les plus jeunes, faute d’emploi.
C’est un quartier comme il en existe tant d’autres, avec en son centre une place ouverte aux quatre vents, entourée d’immeubles aux murs gris et fatigués. Quelques enfants courent après un ballon en cette fin d’après-midi éclairée par un soleil hivernal. Dans leur coin, trois ados, survêtement aux couleurs de l’OM comme uniforme réglementaire, observent la scène du coin de l’œil. L’un d’eux roule un joint, imperturbable malgré les allées et venues des habitants.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Des trois compères, on ne saura pas qui est “guetteur” ou “charbonneur”, deux postes incontournables dans tout trafic de stupéfiants, dont le premier est souvent confié aux plus jeunes – et rémunéré jusqu’à 50 euros la journée – et le second consiste à délivrer la marchandise. La discrétion est de mise. Que changerait une nouvelle législation sur le cannabis selon eux ? “Moins de morts”, répond du tac au tac Dany, le plus bavard du groupe.
La fin d’un capitalisme ultrasauvage
La veille, Martial, 16 ans, a été tué de plusieurs coups de couteau à la Bricarde, cité voisine des quartiers Nord. Ils ne le connaissaient pas mais l’information a très vite circulé. L’enquête devra déterminer les causes de la mort, mais pour eux, inutile d’aller chercher très loin : c’est un règlement de comptes. Le ministère de l’Intérieur dénombre treize homicides liés au trafic de stupéfiants en 2015 dans la ville portuaire, porte d’entrée du shit des vallées du Rif marocain.
Faire disparaître cette épée de Damoclès au-dessus de la tête de chaque petite main du trafic, voilà ici l’argument majeur en faveur d’un changement de la législation. Car pour le moment, à Marseille comme ailleurs, c’est la loi du plus fort qui règne “et tout le monde a peur de se prendre un taquet dans la tête”, explique Adil Mahil, intervenant social en toxicomanie qui rapporte les paroles recueillies lors de ses rencontres avec les jeunes impliqués dans les réseaux de vente de cannabis.
Partisan d’un changement de législation
“Aujourd’hui, le trafic, c’est du capitalisme ultrasauvage, sans code du travail et où seule la violence est de mise”, décrit-il d’un ton désabusé. Pour en venir à bout, il est partisan d’un changement de législation qui permettrait de mettre en place une vraie régulation accompagnée d’une politique de santé publique.
“La loi de 1970 sur les stupéfiants est dépassée. Mais attention, si nous voulons mettre de l’ordre dans les trafics, c’est de légalisation qu’il est question. Dépénaliser ne s’adresserait qu’aux consommateurs.” Pour celui qui enchaîne les interventions, notamment dans les centres sociaux au cœur des quartiers les plus pauvres de la ville, l’hypocrisie a assez duré : “Tout le monde sait ce qui se passe et le tout-répressif a montré son inefficacité.”
Créer des emplois
“Boulette, boulette”, harangue inlassablement un jeune homme à la voix rauque dans une ruelle d’un quartier de Marseille aux immeubles bas. Ici, rien n’est vraiment caché, on discute salaires et affaires à voix haute. Aucun des habitants ne se risquerait à les dénoncer. “Dépénaliser, légaliser, tout le monde est pour. Mais ça ne règlera pas tous les problèmes et ça n’éloignera pas tous les jeunes des trafics”, assène une mère de famille, la cinquantaine dynamique et le verbe haut.
Ce qu’il faut selon elle, ce sont des emplois. Parmi les jeunes qu’Adil Mahil côtoie, tous ne rêvent pas de faire une carrière à la Scarface : “Donnez-leur un contrat et ils arrêtent. Mais la réalité, c’est qu’il n’y a pas d’emploi et encore moins pour eux.”
Taux de chômage de 30 %
A Marseille, dans les quartiers les plus pauvres des XIIIe, XIVe, XVe et XVIe arrondissements communément désignés par l’appellation quartiers Nord, le taux de chômage avoisine les 30 % selon un rapport de l’OCDE de 2013. Vendeurs, guetteurs, nourrices, beaucoup vivent en partie des revenus de la drogue. Changer la législation nécessiterait donc d’offrir d’autres perspectives.
La légalisation du cannabis permettrait par exemple de créer des points de vente officiels. Certains, comme Mohamed Bensaada, responsable du collectif Quartiers Nord, quartiers forts, militent pour qu’ils soient gérés par des habitants issus de ces mêmes quartiers. Mais Adil Mahil est plus pessimiste, ce ne sont pas forcément ces jeunes-là qui en bénéficieront.
Reconversion des petites mains
Reste donc la question de la reconversion des petites mains. Pour Laurent Mucchielli, chercheur au CNRS et directeur de l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux, ceux qui sont à la tête des réseaux se reconvertiront peut-être à d’autres formes de banditisme, mais pas forcément les “petits vendeurs” :
“Dans des pays où la légalisation est déjà en vigueur, on n’a pas noté d’explosion de la délinquance, précise-t-il. Le principal avantage d’un changement de législation sur l’organisation du marché serait de mettre un coup d’arrêt à l’aspiration des jeunes les plus perdus. Mais pour que cela soit efficace, il faudrait le coupler à un plan social et économique. Une priorité dans ces quartiers.” Coline Charbonnier
{"type":"Banniere-Basse"}