Embarqué et lessivé par la grosse machine comique des années 70, Pierre Richard n’a jamais été aussi bon que dans les films qu’il a lui-même réalisés. Sauf peut-être aujourd’hui dans …n attendant le déluge de Damien Odoul. Parcours sensible d’un acteur incompris.
Souvenez-vous du Distrait, en 1970, et de l’apparition de ce personnage lunaire qui renouvelait soudain le cinéma burlesque populaire. Deux ans après 68, il tranchait avec le cinéma comique de papa : jeune avec des cheveux longs, il courait dans tous les sens, pas si tête en l’air que ça puisque, mine de rien, à sa manière, il voulait par le gag tout faire péter l’entreprise, la publicité, les jeux télévisés : la société de consommation. Et puis il aimait librement, sans être égrillard ou vulgaire, avec plaisir. La scène, par exemple, où Pierre Richard tombe dans la baignoire occupée par Marie-Christine Barrault toute nue, son rire à elle, sont restés dans toutes les mémoires. Ça changeait de De Funès, du cinéma comique populaire… de droite, pour simplifier.
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Le personnage original que Pierre Richard avait créé dès Le Distrait (c’est Yves Robert qui l’avait encouragé à le filmer lui-même, alors qu’il n’avait jamais rien réalisé, pas même un court), il l’a un peu perdu par la suite. Il s’est laissé embourgeoiser au contact de réalisateurs qui n’ont pas manqué de l’exploiter. Car après le succès commercial du Distrait, puis de son second film de cinéaste, Les Malheurs d’Alfred, il est devenu le Grand Blond pour deux films avec Yves Robert (deux blockbusters, jusqu’à l’étranger), il a joué chez Gérard Oury (La Carapate et Le Coup du parapluie), chez Claude Zidi (La moutarde me monte au nez et La Course à l’échalote) et enfin chez Francis Veber (d’abord Le Jouet le premier et meilleur film de son auteur, critique sociale très amère , puis la trilogie avec Depardieu, La Chèvre et ses suites). Alors tout l’aspect révolutionnaire du personnage qu’il avait créé peu à peu a disparu. La Carapate était même une charge assez lourdingue contre Mai 68. Un comble pour ce Tati un peu baba, ce doux utopiste directement issu de l’air libertaire de l’époque.
C’est Pierre Richard lui-même qui en parle le premier, d’emblée. Ce regret lui est venu, il y a trois ans, en lisant dans Les Inrocks un article consacré à ses trois premiers films. Il l’avait bien aimé, il avait senti qu’on l’aimait surtout, et compris les reproches qu’on lui formulait aussi. Oui, il s’en veut un peu : d’avoir été trop paresseux, d’avoir manqué de confiance en soi, de n’avoir pas persévéré dans la réalisation, de s’être laissé bouffer (Pierre Richard, au milieu des années 70, c’est l’acteur le plus bankable du cinéma français). Cela dit, à l’époque, personne n’était là pour l’encourager : la critique le méprisait, les réalisateurs ambitieux ne savaient pas quoi faire de lui (Sautet le lui avait même dit). Trop extraterrestre. Et puis, qui savait faire du burlesque, à ce moment ?
Après C’est pas moi, c’est lui, en 1980, qui ne lui plaisait pas, il a arrêté pendant plus de dix ans de réaliser, et quand il s’y est remis, en 1991, avec On peut toujours rêver, interprété entre autres par Smaïn, il s’est rendu compte qu’il avait perdu le coup de main, il ne le sentait plus. Son dernier film en tant que réalisateur, en 1997, Droit dans le mur (titre prémonitoire, lapsus ?), où il s’était généreusement octroyé le rôle d’un acteur comique has-been, il a failli renoncer à le réaliser une semaine avant le tournage. A l’époque, il n’était pas bien, trop de choses se passaient en lui, dans sa vie, sa tête. Ce qui est frappant, c’est combien Pierre Richard est gentiment masochiste. Dans son livre de souvenirs publié en 2003 aux éditions du Cherche Midi, Comme un poisson sans eau, il ne cesse de se décrire comme la perpétuelle victime (d’ailleurs consentante) de ses amis (Yves Robert, Carmet, Depardieu). Mais il n’est pas doué pour l’introspection, pense-t-il. Il faut dire que tenter de parler à tête reposée avec Pierre Richard, c’est comme essayer d’interviewer un feu follet, un ludion, un enfant hyperactif : il ne cesse de bouger, ne tient pas en place, va se chercher une cigarette, un verre d’eau, ou me faire un café.
Ça lui est venu comment, le burlesque ? Comment a-t-il compris qu’il serait un acteur plutôt physique et non un bavard ? Tout est venu des jambes. Elles avaient tout le temps envie de bouger. C’est l’explication. Pierre Richard n’a jamais vraiment fait de danse, le sport est venu après 40 ans, avec le succès, quand il a enfin eu les moyens d’en faire… Car bien qu’issu d’une famille très aisée, Pierre Richard a très vite commencé à fréquenter les planches, après le bac : le cours Dullin, de la figuration au TNP (derrière Gérard Philipe, Maria Casarès et Jean Vilar), beaucoup de cabaret en duo avec Victor Lanoux, et encore du théâtre, au côté d’Yves Robert, qui le cerne aussitôt de son œil malin : ce type est un comique.
Dans Alexandre le Bienheureux (1967) d’Yves Robert, il a un petit rôle, mais on le remarque. Pierre Richard a toujours aimé les films burlesques. Mais il se sent plus proche des Américains notamment Harpo Marx, à qui il voue un culte tendre et sans excès, comme s’il se reconnaissait comme son petit frère, mais aussi Buster Keaton, Jerry Lewis ou Danny Kaye que des Français, comme Tati, trop triste pour lui, ou le sous-estimé Pierre Etaix. Il n’est pas non plus cinéphile. Non, comment lui est venu le burlesque, il ne sait décidément pas. Ce sont les autres qui ont découvert que jouer avec son corps c’était son truc, sa nature.
C’est le mot qui convient : Pierre Richard est une nature. Face à lui, on est saisi par cette évidence assez troublante : il ressemble à ce qu’il est dans ses films. Effectivement distrait, il cherche souvent ses mots, même les plus simples. Le lendemain, il devra s’y reprendre à trois fois pour laisser son numéro de portable sur ma messagerie, et je m’apercevrai par la suite que c’est le premier qui était le bon… Toujours un peu mal à l’aise avec la réalité. Son visage est ultra-expressif (on croit lire dessus tous les sentiments qui le traversent on lui donnerait le bon Dieu sans confession). Les gens l’aiment bien, il le sait, « même si, au fond, je n’ai jamais su pourquoi », dit-il pour dissimuler son émotion. Ne le cachons pas, il est sympathique. Et beau aussi : de la bonne ride sans contrefaçon agrandit encore son rire.
Aujourd’hui, pour le cinéma commercial comique, il est ringard, oublié. Cherchez-le dans l’un des nombreux blockbusters comiques, rejetons de la télé tous ces films que leurs auteurs ou acteurs, si prompts à montrer leur cul à la télé, n’ont pas les couilles de montrer à la presse avant leur sortie , vous ne le trouverez pas. Radié des listes. Trop vieux ? Même Veber ne le fait plus tourner… Pierre Richard ne veut pas en parler, mais il ne les voit plus, les gens qui… Alors il a créé un spectacle, Détournement de mémoires, écrit et monté à Paris, en collaboration avec Christophe Duthuron, actuellement en tournée en Belgique, où il raconte, là encore, sa vie, et puis ce que c’est que le burlesque, ce décalage entre deux choses, un corps et le monde matériel.
Finalement, il rencontre Damien Odoul, qui lui propose un film. Pierre Richard, qui connaît le cinéma et comment il fonctionne, comprend qu’Odoul n’a ni argent ni distributeur. On est en mai. A chaque fois qu’ils se parlent au téléphone, le jeune réalisateur, très sûr de lui, affirme qu’ils vont tourner en septembre. Richard est de plus en plus sceptique. Mais effectivement, en septembre, il se retrouve dans un château humide avec Damien Odoul, Anna Mouglalis et toute une bande d’amis du réalisateur. Ils ne savent pas précisément ce qu’ils vont tourner (en numérique), seulement qu’ils vont vivre ensemble pendant plusieurs semaines dans le château, et que parfois, ils tourneront. En pleine nuit, Odoul vient le réveiller : « Debout, Pierre, on tourne ! » Après, on va se recoucher. Pierre Richard ne connaissait pas ces méthodes, ce qui l’a beaucoup motivé. Surtout que Damien Odoul l’a secoué : « Arrête de jouer ! Il faut que ça vienne de là ! » Et Pierre Richard, tout rouge, mime Odoul en train de faire semblant de lui bourrer le ventre de coups de poing. « Moi qui n’étais pas habitué à travailler avec ce que j’ai à l’intérieur, ça m’a fait le plus grand bien. J’ai adoré. »
Le résultat est magique : Pierre Richard n’a jamais été aussi impressionnant de présence, de fragilité. Le film lui a aussi rappelé l’aventure folle et improvisée de ce superbe film qu’est Les Naufragés de l’île de la Tortue, récemment ressorti sur les écrans, dans laquelle l’avait entraîné le grand Jacques Rozier. A l’époque, Richard sortait du Grand Blond, il était à la mode, il avait un trou dans son emploi du temps juste avant le tournage de La moutarde…, et sur un coup de tête il avait suivi Rozier dans sa folle équipée. Ses yeux en brillent encore.
Est-ce qu’il se sent des fils spirituels ? Il veut me citer un court métrage qui lui a bien plu, dans lequel il s’est reconnu, mais il ne se souvient ni du titre ni du nom du réalisateur (il m’enverra un fax deux jours plus tard pour me les dire : La Solitude de l’éboueur de Jean-Marc Peyrefit, alors je le cite parce que je pense que c’est important).
Est-ce que Pierre Richard n’aimerait pas réaliser un autre film ? « Mais… je n’ai plus de producteur. » Et pourquoi pas en numérique ? « Oui, j’y pense, c’est grâce à Damien, je me demande si… J’aurais envie de… Je ne sais pas… » Il ne faudrait pas trop le pousser, d’ailleurs il est déjà au bord du canapé, dans les starting-blocks. Avis aux amateurs. Mais il y a d’autres journalistes il nous a donné rendez-vous à la même heure qui l’attendent dehors, et il ne veut pas qu’ils prennent froid. Alors il est déjà debout. C’est vrai qu’il a des jambes.
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