Entre la sortie, en novembre dernier, de son huitième album “La Voix lactée” et une tournée dans toute la France avec notamment un passage prévu à l’Olympia le 30 mars, nous avons rencontré Oxmo Puccino pour revenir avec lui sur l’abécédaire de sa vie. Première partie.
Suite de notre grand entretien avec le « Black mafioso », de la lettre O à Z. Oxmo Puccino y parle de sa ville de cœur et d’âme Paris, du mythique label Time Bomb sur lequel il a fait ses débuts mais aussi du Québec, d’Internet et de nourriture bio.
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O comme Opéra Puccino
Mon premier album. Symboliquement, ce fut un bouleversement. Un accès soudain à la notoriété. Je n’avais aucune idée de l’impact que ça allait avoir sur ma vie. Tous les morceaux ont une importance pour moi mais j’aime particulièrement Vision de vie. Parce que ça décrit « l’identité de ma vie » à un instant T. Le premier album, c’est fondamental ; tu craches tout comme si tu allais mourir demain, mais ce sont aussi tes fondations. Tu délivres tout ce que tu es. Pour moi ça a été, quelque part, le début de mon décalage artistique.
Au tout départ, je rappais dans la rue avec des potes. J’ai concrètement démarré avec D.Abuz System. Ce sont eux qui m’ont tout appris. Ils m’ont montré ce qu’était une MPC, ce que quatre mesures représentaient. Ils m’ont fait participer au projet L’Invincible Armada, puis je suis passé aux mixtapes. Ensuite Time Bomb, les radios, les freestyles et enfin ce premier album où j’expose enfin mes thématiques. C’était d’un coup très différent en termes de styles et de thématiques. J’avais deux styles d’écriture : un pour la spontanéité et un autre pour les projets à long terme. Je suis donc arrivé avec des morceaux sentimentaux, des mélodies pas vraiment faites pour l’époque. Opéra Puccino a été disque d’or en huit ans. A une époque où tu pouvais le devenir en deux semaines… Moi j’ai mis huit ans. Un rythme lent mais auquel je me suis habitué.
https://www.youtube.com/watch?v=_hoqaE44s1A
P comme Paris
Paris est une ville de petite superficie mais tellement immense. Immense par la force qui s’y déploie, par les millions de personnes qui la traversent tous les jours pour aller ailleurs, pour partir ou arriver, pour juste aller bosser. Ta vie peut changer tous les jours à Paris. C’est une ville en éternel bouleversement. Il suffit de s’asseoir sur un banc pour écrire un film. C’est bien sûr une énorme source d’inspiration pour mes morceaux. Paris est LA ville capitale. Quand Paris a mal, le monde entier est mal. Paris est le centre du monde. Quand je marche dans Paris, je suis tellement fier.
Avec des amis, nous nous arrêtons parfois dans la rue pour nous faire la réflexion : « On a quand même de la chance. » Il se passe tout le temps quelque chose, ça fourmille, c’est écrasant, c’est épuisant mais si on s’y prend bien, Paris nous le rend bien. J’aime beaucoup me rendre au parc des Buttes-Chaumont, sur l’île du Belvédère au centre du parc. Là se trouve le temple de la Sibylle. Il offre une vision sur l’ensemble de la ville. J’adore cet endroit, au sommet. C’est un kiosque qui surmonte le parc. J’y ai beaucoup réfléchi, pensé. Quand j’allais à l’école, nous avions cours de gym aux Buttes-Chaumont. Enfin, j’ai participé au remix de Titi Parisien de Seth Gueko et j’ai fait le morceau Pam Pa Nam. Paris quoi !
Q comme comme Québec
A chaque fois que je rencontre un rappeur français (et je précise bien français) qui se prépare à partir là-bas, je lui dis : “Tu as de la chance, prépare-toi.” Toujours. A l’image de la Belgique ou la Suisse, le Québec est pour moi une terre promise où nous retournons en héros. Ils apprécient le rap français dans toute son envergure. Un jour on m’a demandé pourquoi j’aimais faire ma promotion au Québec. J’ai répondu que, là-bas, je parle de ma musique et je n’ai pas à faire des plaidoiries au sujet des perturbations sociales. Je n’ai pas à me prononcer sur la propagation du virus Ebola ou sur la montée du FN lors des élections. C’est très agréable et hyper reposant de ne pas avoir à répondre à tout ça. Je ne parle que de musique et de lettres. Ils ont une affection particulière pour ceux qui mettent de l’application dans leur écriture. J’y vais pour chaque album. Ils ont cette facilité anglo-saxonne qui amène quelque chose de particulier à la musique. Quant à la météo, on s’adapte. Il fait froid mais l’accueil est chaud.
R comme Renaud Létang
J’ai entendu parler de lui bien avant de travailler avec. Il est connu comme le loup blanc dans le monde de la musique. C’est un mythe, dans le sens où ça doit faire une vingtaine d’années qu’il s’occupe de l’identité sonore, qu’il participe à l’identité sonore de la musique française. Dans le domaine du son, j’ai rencontré peu de gens aussi pointus, spontanés et avec une vision aussi large que lui. Il n’a pas d’âge. Il s’est fait connaître avec Foule Sentimentale de Souchon, il a mixé le morceau. Depuis tout le monde a commencé à le connaître, il a bossé avec des centaines d’artistes.
J’ai toujours été touché par l’univers sonore que pouvait drainer un artiste parce que personne ne sait à quel point ça construit une identité, ça fait partie de lui. Quand je vais voir Renaud, il a toujours une vision très carrée vis-à-vis de ça. Je lui fais une confiance totale. Il peut me dire : « Bon on va mettre la moitié du boulot à la poubelle. Tout ce qu’on va garder, on va en envoyer un quart vers les années 70, on va utiliser tel synthé, on va mettre une peu de classique à la Chopin. Et ce sera très bien comme ça. » Et moi, je lui réponds : « OK » [rires] Même si je ne comprends que la moitié de ce qu’il me raconte. L’album sort et deux ou trois jours après, je commence vraiment à comprendre ce qui est en train de se passer. Il a fait ses preuves. On collabore ensemble depuis Larme de paix.
S comme Slow life
Prendre le temps de marcher, de respirer, de vivre ! Prendre le temps de penser surtout. Les gens n’ont pas réalisé qu’avec un smartphone dans les mains, par exemple, on leur enlève énormément de temps. Rien que de réagir, de se rendre compte de ça, pour moi, ça fait gagner un peu de temps. Il faut savoir couper son portable de temps en temps. Marcher, lever la tête, s’asseoir, écouter de la musique. Lire, lire un peu. Dormir. Les choses naturelles qui sont devenues tellement rares que nous sommes obligés de les renommer. La blague du siècle, c’est parler de « nourriture bio ». Ce qu’on ingère est tellement truqué que lorsque l’on arrive à manger des choses « naturelles », c’est devenu bio. Je suis mort de rire. Attends des biscuits bio, tu imagines deux secondes ? [rires] Il y a eu usurpation d’identité à l’échelle mondiale de tous les termes usités. On a transformé le fond des choses tout en gardant le même nom. Alors pour parler de vraies choses, on utilise le mot « bio » [rires].
T comme Time Bomb
Time Bomb c’est au-dessus de tout ce que les gens peuvent s’imaginer. On était au-delà du pur talent. Tout ce que les gens imaginent que l’on a fait ne doit pas dépasser le quart de ce qu’on a réalisé. De Diable Rouge, qui n’était pas souvent là car c’était un vrai mec de la rue, à un talent immense comme Hifi Il y avait aussi les Jedi qui chantaient déjà un peu, qui avaient cette mélodie. L’album, Time Bomb, qui n’est jamais sorti. Il y avait les ambiances, les barbecues, les rigolades, les rendez-vous avant les radios, pour se préparer. Mars et sa caméra qui nous filmait, qui a encore des images de cette époque-là. Time Bomb pour moi c’est tout ça, avant tout de grands moments d’amitié. Tout le monde était en compétition, pas seulement Booba et ILL. Il faut le prendre dans un autre sens. Tout le monde voulait être admiré des autres. Tout le monde voulait que les autres éprouvent de la fierté de partager le micro. C’était ça.
Dans Time Bomb, il y avait les cadors et les autres. Mais toujours dans un bon esprit, sinon ça ne se serait pas passé. L’adversité, il y en avait déjà assez dehors. Combien de bagarres dehors, combien de fois Mars a dû intervenir ! Les gens ne le savent pas ça. Je me rappelle à l’époque de la sortie du Crime paie, il y avait des énervés ! Des gens étaient littéralement énervés contre ce morceau. D’autres artistes hein ! Ils étaient touchés, ils étaient bouleversés par la portée, par la beauté artistique de ce morceau je pense. Ils n’acceptaient pas. Mais ce sont aussi et surtout de très bons souvenirs.
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U comme Un weekend sur deux
Un morceau du dernier album. C’est une suite de ce que je disais au sujet de la famille aujourd’hui. C’est la vision d’un homme sensible sur tout ça. C’est un parti pris. Aujourd’hui, le père occupe une véritable place dans la famille. Je trouvais que c’était une jolie manière de le signaler, à travers cette chanson. On leur colle souvent le rôle du père qui se tire du foyer familial et qui s’en fout. C’est faux. C’est peut-être égoïste, mais quand je regarde autour de moi, les gens concernés, ceux qui sont en situation, sont à 100 % dans leurs enfants. C’est quelque chose qu’on oublie souvent. La société change. En tout cas c’est ce que je crois.
http://www.dailymotion.com/video/x3e3kcd
V comme Vincent Ségal
C’est un grand musicien, un violoncelliste et bassiste de formation. Il a composé une partie et a arrangé mon album Roi sans carosse. Il se situe bien au-delà du virtuose ; Vincent Ségal a une vision intemporelle de la musique, une vision mondiale. Il y a très peu de pays dans le monde que tu peux visiter avec lui sans qu’il ne connaisse les usages musicaux locaux. Sans qu’il ne connaisse les pointures du coin, les harmonies, les traditions, etc. C’est quelque chose qui est perturbant. L’autre jour, nous étions tous les deux au Maroc. Il y avait des jeunes gens qui jouaient de la guitare et qui ne parlaient pas français. Nous, on ne parlait pas l’arabe. Vincent a sorti son violoncelle et à commencer à jouer des mélodies de leur région. C’est tout de suite parti en jam. Il communique grâce à ça. Je l’ai vu faire ça à la Réunion et même au Mali ! C’est lui qui avait tout à m’apprendre [rires].
Vincent est capable de tenir des conversation « locales » partout à travers le monde. Il a une connaissance de la musique inimaginable. Quand je vais le voir dans son studio, je me rappelle toujours de sa platine vinyle d’époque et il me fait toujours écouter des enregistrements qui n’existe qu’en 3 ou 4 exemplaires. Tous les styles, tous les pays et époques, c’est extraordinaire. Enfin la simplicité avec laquelle il compose… On peut faire un album en une semaine. L’excellence. Un jour il avait été appelé sur un concert de Sting. Il est arrivée une heure avant le concert. Il n’avait pas les partitions et ne connaissait pas les morceaux. Il a remplacé le bassiste et il a été embauché à la fin du concert. Sting lui avait demandé combien de temps il avait travaillé ce concert. Alors qu’il ne l’avait pas du tout travaillé [rires]. C’est ça Vincent Ségal, entre autres.
W comme WorldWideWeb
Je me rappelle en 1995, je me suis connecté sur Netscape et j’ai vu une vidéo qui faisait la taille d’un timbre poste. Et là j’ai compris, qu’il allait se passer quelque chose. Aujourd’hui, les gens ne comprennent toujours rien au WorldWideWeb. Ils n’y comprennent rien rien rien rien rien. C’est comme les gens qui s’accordent le droit de conduire une voiture sans savoir ce qu’il y a dedans. Mais on ne passe pas toute sa vie dans une voiture, alors que certaines passent leur vie sur Internet, sans savoir ce que c’est réellement. Les réseaux sociaux, etc. C’est un monde à part entière, sans limite d’âge. Comme un monde souterrain, caché, par où l’on peut accéder de n’importe où. En l’occurrence, par un téléphone, par un clavier. Ce n’est pas le monde d’Internet qui me fait peur mais les gens dessus qui me font peur. L’utilisation, les informations qu’ils délivrent… J’attends la première arrivée du premier « total autodidacte » grâce à Internet. Il n’y a plus de notion de compétences validées par des acquis, par un diplôme ou par un titre. Des gens qui vont changer le monde sans jamais être allé à l’école. Parce qu’ils auront appris tout seul sur Internet. Ca remet même en cause le système scolaire et éducatif. On parle de choses qui n’ont jamais été relevées. Mes deux premiers albums se sont retrouvés sur Internet. J’ai tout de suite compris que ça pouvait avoir sur le cours de la vie. Tout ce qui palpable peut se retrouver sur Internet. Même son voisin ! On se cache derrière des interfaces pour faire connaissance. Tout ça ne peut pas se finir sans conséquence.
X comme Xénophobie
La peur de l’étranger. Ca me fait penser à cette blague de Raymond Devos : « J’ai un ami qui est xénophobe. Et il est tellement xénophobe que lorsqu’il part à l’étranger, il ne se supporte pas lui-même. » Je préfère en rire que de m’en faire pour eux. Ces gens manquent d’ouverture, de curiosité et, au fond, de connaissance d’eux-mêmes. Pour découvrir son identité, il faut aller un peu à la rencontre de celle des autres. La xénophobie n’est que de la peur. Un animal, quand il a peur, soit il fuit soit il attaque. Le mélange, c’est l’histoire de l’humanité. Le sort se retourne toujours contre eux.
Y comme Yole
Les petits bateaux, les petites embarcations des pêcheurs. C’est l’image qui vient de tous les pays de bord de mer. Ces petits bateaux couchés sur la plage, comme des pirogues. Ils m’évoquent la sédentarité des premiers hommes, la première embarcation des Indiens. C’est ce qu’il y a de plus simple. Un morceau de bois, creusé, pour aller chercher le poisson. C’est comme ça depuis la nuit des temps. C’est beau qu’à l’heure d’Internet, des gens vivent encore comme ça. Ce sont des images de vacances, de réflexion. C’est la vie tout simplement.
Z comme ZUP
Les zones à urbaniser en priorité. Ce sont des mondes à part. Des zones à part. On a vue sur l’autoroute. Des grosses barres d’immeubles, où la plupart n’ont jamais mis les pieds. On ne sait pas et on ne demande pas ce qu’il s’y passe. Au mieux, on regarde la télé pour voir ce qu’il s’y passe. Mais on n’y est jamais allé pour voir si ce qu’on nous montrait à la télé reflétait la réalité. Toute ma vie j’ai été confronté à cette vision-là, car j’y ai vécu mon enfance. Pour moi, c’est le symbole de l’exclusion, les grandes tours, les grands blocs, blancs ou gris. Lorsqu’on arrive en avion, on les voit en premier. C’est là qu’est la tristesse. Le plus dur, je pense, c’est l’image qu’on se fait de ces zones. Ces tours, il ne fallait pas les construire, il ne fallait pas entasser les gens là-bas.
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