Il aura fallu une vingtaine d’années à Julien Kertudo pour imposer sa maison de distribution, Musicast. Avec le rappeur Jul et le groupe PNL à son catalogue, il taquine désormais les majors.
Depuis plusieurs semaines maintenant, le rap français connaît quelques bouffées de chaleur, porté par un drôle de succès à deux têtes. Ils sont deux fanions à dévorer les devants de la scène, plantés à chacune de ses extrémités. D’un côté, le rap bandit et nuageux de PNL, adoubé par la critique et accaparé par les centres-ville ; de l’autre, celui peroxydé et fan de bécanes de Jul, champion de la fédération des chichas de France.
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Entre ces deux phénomènes qui cumulent près de 200 000 ventes avec leurs nouveaux albums, il existe un point commun, outre l’utilisation récurrente du vocoder : un homme, fier dandy en col roulé, loin des canons canailles signifiés par les rappeurs.
Près de 2000 artistes au catalogue
Patron de la maison de distribution Musicast, Julien Kertudo est celui grâce à qui PNL et Jul ont pu inonder les bacs à disques et les plates-formes numériques. Un double coup qui permet au bonhomme et à sa petite entreprise de s’ancrer encore un peu plus sur le circuit de la fameuse “musique urbaine”, au nez et à la barbe des majors. “C’est une certitude : aujourd’hui, Julien Kertudo fait partie du petit cercle des gens qui comptent vraiment dans le rap”, avance Disiz, qui a déjà convoqué par le passé les bons offices de Musicast.
Aujourd’hui, à 45 ans, Julien Kertudo est le capitaine d’une enfilade de bureaux aux murs blancs installés dans un immeuble sans fard du nord de Paris. Dans ces locaux, décorés çà et là de disques d’or et de platine sous verre, une vingtaine de personnes s’active pour faire vivre le catalogue de Musicast qui compte près de 2 000 artistes, parmi lesquels une bonne part est donc inscrite au chapitre rap. “La France est un pays qui fourmille de rappeurs. Ils ont besoin d’être mis en avant. Moi, je suis là pour les aider”, souligne Julien Kertudo d’une voix sourde et minérale.
Le même contrat pour tout le monde
Il y a plusieurs catégories de rimeurs qui viennent toquer à sa porte : les jeunes pousses indépendantes qui n’ont aucun contact en maison de disques, les artistes installés qui souhaitent rebondir, ou ceux dont le nombre de vues et le buzz sur le net leur permettent de viser les tops, l’indépendance en bandoulière. “Musicast est une sorte de facilitateur en tout genre, dit Fonky Flav, manager et membre du groupe 1995. Julien permet à tout le monde de se faire remarquer, surtout à ceux qui n’en ont pas les moyens au départ.”
Quel que soit l’artiste, Julien Kertudo propose toujours le même modèle de contrat à deux feuilles recto verso. Clair et limpide : sur les ventes de copies de disque, 40 % des recettes iront à Musicast et 60 % à l’artiste. “On n’a pas le confort marketing des maisons de disques mais on gagne beaucoup plus. Avec les majors, le maximum que l’on peut toucher, c’est 30 %”, explique Disiz. “C’est un contrat moral, ajoute Julien Kertudo. Avec les rappeurs, on va gagner de l’argent tous les deux. Mais si à un moment on ne veut plus travailler ensemble, on s’arrête là.”
L’exception Julien Kertudo
Après que les artistes ont signé, Kertudo active son réseau auprès des différents grossistes, d’iTunes à Carrefour. Et tous font généralement confiance à ce grand gaillard aveugle qui, en rendez-vous professionnel, n’hésite pas à se débarrasser de la paire de lunettes aux verres teintés qui, d’habitude, ne quitte jamais le haut de son nez.
“C’est rare dans la musique d’être confronté à un aveugle. Mais au bout de cinq minutes de discussion avec Julien, on ne tique plus. C’est un homme qui sait parfaitement de quoi il parle, profondément passionné par le rap. On sait qu’il va tout faire pour vendre notre disque, au contraire d’autres maisons qui peuvent s’en ficher et oublient parfois de remplir les bacs”, détaille Fonky Flav.
Un site de rencontres pour guitaristes amateurs
Cela fait maintenant près d’une vingtaine d’années que Julien Kertudo a lancé son affaire. “Au départ, je n’étais absolument pas un auditeur de rap. Je ne viens absolument pas de ce milieu”, s’étonne-t-il encore. Jadis vendeur de claviers et de guitares dans un magasin d’instruments parisien, Julien Kertudo a eu un jour, en compagnie d’un ami, la bonne idée de monter un site de rencontres pour guitaristes amateurs qui souhaiteraient partager leurs productions.
De fil en aiguille, aidé par une bonne dose de flair, d’un peu de bagou et d’une pincée de chance, il s’est retrouvé à sélectionner les disques autoproduits pour Gibert, puis Virgin. Du jazz, du rock et du métal. “Et puis le rap a explosé. Il faisait peur à tout le monde. Les vendeurs se prenaient des coups de pression de types qui venaient filer leurs CD. On a renvoyé ce public chez Musicast”, raconte Kertudo. Ce dernier commence par distribuer des mixtapes.
Une offre numérique élaborée
Sa première signature importante est le rappeur parisien Mister You. “Quelques heures après avoir signé son contrat, il a été arrêté par la police. Sa famille m’a amené les bandes pour presser l’album. Ça a été un carton.” Ensuite, il y a eu Booba pour ses mixtapes, Diam’s, Sinik, Disiz La Peste et 1995, donc, mais aussi Lacrim ou encore Alpha 5.20. Même de vieilles pointures comme La Cliqua et Fabe sont passées sous la tutelle de Musicast pour la distribution de leurs classiques.
Avec la crise du disque naissante, Julien Kertudo et sa boîte ont rapidement pris le pli du numérique, tout en élaborant leur offre. “Il s’agit de dire aux artistes qu’être sur iTunes ne suffit pas, souligne l’entrepreneur. Désormais, on propose un travail de promotion, on trouve des réalisateurs pour les clips, on démarche les médias.”
Une stratégie notamment mise en application pour la sortie du dernier album de Jul. Pour l’occasion, le rappeur marseillais à houpette a inondé YouTube de clips un peu plus léchés qu’à l’accoutumée, a envahi les rues des grandes villes avec ses affiches placardées partout et s’est dégoté un peu d’écho dans les colonnes du Monde.
« Nous allons apporter à Believe un savoir-faire dans la musique urbaine » Julien Kertudo
Le carton du rappeur (150 000 ventes) figure pour Musicast l’entrée dans une nouvelle dimension. “Il y a un avant et un après Jul, concède Julien Kertudo. Cette fois, on devient un poids lourd. Les maisons de disques ne peuvent plus dire que l’on est juste un indépendant avec un petit vivier d’artistes à surveiller.”
Avec un chiffre d’affaires avoisinant aujourd’hui les 7 millions d’euros, Musicast a tapé dans l’œil du mastar de l’industrie Believe, qui vient de finaliser il y a quelques semaines son rachat. “Nous allons apporter à Believe un savoir-faire dans la musique urbaine, nous allons être leur bras armé pour gérer leurs signatures”, énonce un Julien Kertudo pas peu fier. Il y a peu de temps, les locaux de Musicast ont été réaménagés pour faire de la place aux stocks de disques. Il faudra peut-être penser bientôt à en faire encore un peu plus.
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