Sans affèteries, Florence Dupré la Tour revient sur son enfance, son père indifférent, le glacis religieux familial, sa propre tendance à torturer les animaux… Emouvant et troublant.
Auteur en 2015 du remarqué Cigish ou le Maître du Je, Florence Dupré la Tour revient avec un récit autobiographique sur son enfance. Avec ses quatre frères et sœurs, la petite Florence vit d’abord à Buenos Aires puis en Champagne, en Guadeloupe et à Lyon, au gré des affectations professionnelles de son père. Sa mère, au foyer, s’occupe de l’éducation des enfants. Désirant leur faire admirer “le spectacle de la vie”, elle leur offre une succession d’animaux de compagnie. Et ceux de Florence finissent tous très mal et très vite – par sa négligence ou par sadisme.
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Car Florence, pétrie de notions mal absorbées sur le bien et le mal, l’enfer et le paradis – la famille est très croyante –, n’applique guère ces leçons. En révolte contre les valeurs dans lesquelles elle est élevée, notamment l’indiscutable supériorité de l’homme (incarnée par son père, qu’elle représente taiseux et misogyne), elle voudrait être un garçon, elle veut du pouvoir. Elle a besoin de dominer – et quoi de plus facile à dominer que de petits animaux ?
Florence Dupré la Tour explique comment la propre bestialité des animaux et la brutalité des adultes l’ont endurcie – les enfants assistent à la dépouille d’un lapin, à l’égorgement d’un cochon, à l’anéantissement d’une portée de chatons… Sans jamais chercher à se montrer sous son meilleur jour – au contraire ! –, elle n’hésite pas à se dépeindre en petite fille machiavélique, perversement fascinée par le spectacle de la souffrance des animaux. Son trait doux prend des accents effrayants quand elle dessine des giclées de sang ou son visage illuminé par la cruauté.
L’art de l’ambiguïté
Derrière cette relation torturée aux animaux, et de torture, derrière son dégoût pour ce “spectacle de la vie”, c’est une fillette qui ne veut pas grandir, désireuse d’attirer l’attention, qui transparaît. En filigrane, Florence Dupré la Tour dresse un portrait terrible de son père – indifférent, froid, sans égards apparents pour sa femme ou sa fille.
Cette réflexion sans concession sur la construction d’une identité est très dure. Crue, avec un humour très noir, elle met parfois mal à l’aise. Dans son précédent album, Florence Dupré la Tour révélait un penchant trouble pour la manipulation, mêlant vérité et inventions dans une parfaite continuité. Ici, elle affine son art de l’ambiguïté, avec de terribles chutes de chapitre, et emmène discrètement le lecteur vers une conclusion abrupte et saisissante. Lard ou cochon ?
Cruelle (Dargaud), 208 pages, 18,95 €
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