A l’occasion de la sortie de son premier album, le romantique Happiness, le français Sébastien Schuller répond à nos questions. En prime, deux titres en écoute dont un inédit.
Il y a deux ans, sur ces mêmes pages, nous vous parlions déjà de l’ami Sébastien Schuller. A l’époque, ce français avait publié un premier maxi, Weeping willow, dont la chanson-titre nous avait fichu un sacré tournis.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
A presque 30 ans, ce musicien doué y dévoilait ses obsessions musicales, de Mark Hollis à Roger Hodson en passant par Thom Yorke, tout en affirmant une aisance mélodique des plus convaincantes.
Depuis, sans nouvelles de Sébastien, on avait classé ce dossier sans suite, certain de ne jamais entendre une note de plus. Pourtant, retranché dans son appartement parisien, Sébastien n’avait pas dit son dernier mot.
En ce début d’année 2005, la découverte de ce premier long format, Happiness, vient heureusement nous donner tort et confirme tout le talent de cet artisan échevelé.
Dans l’interview qui suit, Il revient pour nous sur la conception de cet album, et sur son parcours de musicien.
Pour agrémenter la lecture, nous vous proposons de découvrir par l’écoute un titre de l’album, Tears coming home, ainsi que la version alternative et inédite d’un autre titre Donkey Boy (à découvrir en passant le curseur de la souris sur le bouton AUDIO/VIDEO en haut de page).
D’où viens-tu , et où vis-tu ?
Je viens des Yvelines, entre les Mureaux et Mantes, d’Aubergenville. J’habite maintenant, depuis cinq ou six ans, à Paris, dans le 18ème arrondissement, à Montmartre.
Ton enfance dans les Yvelines a-t-elle une influence sur ta musique ?
Oui, j’y ai vécu 20 ans. J’y ai plein de souvenirs, tout un vécu en banlieue qui voyage avec moi. C’est les premières envies de vraiment faire de la musique, de sortir un disque. Ca m’est venu très tôt, vers l’âge de 16 ans. C’est les premières échappatoires à écouter de la musique, en regardant par la fenêtre et en pleurant les amours perdus’ (rire)
Quel est ton parcours musical ?
J’avais une école de musique juste en face de chez moi, j’ai commencé par la percussion classique, pendant à peu près 7 ou 8 ans, puis du conservatoire en contemporain. J’ai fait du solfège. Mais parallèlement à ça, j’ai toujours voulu faire de la batterie rock, mais il n’y avait pas de cours dans ma ville. C’était une première approche, un peu par dépit, mais ça m a permis de me rapprocher de la batterie.
Dès que j’ai pu jouer dans des groupes rock, assez tard, vers les 17 ou 18 ans, je l’ai fait. Des groupes de banlieue, de lycée, qui n’ont jamais vraiment fait parler d’eux. On était deux potes batteurs, je voulais par amitié jouer dans son groupe, j’ai donc eu mon premier clavier à ce moment là. C’est comme ça que j’ai commencé à écrire mes premières bribes de morceaux
Et tes influences ? Comment « consommes » tu la musique, qu’écoutes-tu ?
J’ai écouté un peu de tout. Beaucoup de new-wave, car j’ai grandi en plein dans cette période. Depeche Mode m a énormément marqué. Plus gamin, Supertramp m a beaucoup marqué aussi, mes frères et s’urs écoutaient leurs disques : les mélodies de Roger Hodgson m ont beaucoup marqué?
Après, j’ai écouté un peu de jazz, de la techno, de l’indie pop, j’ai rejoint cette dernière famille au début des années 90, en découvrant des groupes comme My Bloody Valentine, Slowdive, Ride, Chapterhouse Ce ne sont pas des influences majeures, mais ça m a quand même marqué : je jouais à l’époque dans un groupe qui s’appelait Kangaroo, puis Spaciba, j’avais mes premières bonnes sensations au sein d’un groupe, et on marchait un peu dans cette voie. Mais c’est difficile de dire ce qui m a le plus marqué, j’ai écouté des tonnes de trucs très divers tout au long de ma vie.
Et aujourd’hui ?
Je suis justement très impressionné par toute une frange de groupes qui mélangent plein de style. Je n’ai pas encore acheté l’album, mais TV On the Radio, c’est un bon exemple. Je trouve celui de Franz Ferdinand absolument épatant : écrire d’aussi bonnes chansons, faire danser tout le monde, aussi simplement, être aussi efficace, c’est vraiment fort.
Il y a aussi Animal Collective, que je trouve très fort au niveau de leur concept de jeu, d’écriture. J’aime aussi beaucoup Sigur Ros, qui a une vision très personnelles des choses et ils arrivent à l’imposer. Et Radiohead, depuis très longtemps’
Tu n’as pas peur qu’on te compare trop souvent à Radiohead ?
C’est déjà fait. Mais c’est un groupe que j’ai effectivement beaucoup écouté, c’est donc forcément une certaine influence pour moi. Je ne pense pas en revanche les avoir calqué, je pense avoir mûri ça en moi, de l’avoir personnalisé, de l’avoir digérer. Après, c’est aux auditeurs de juger. Mais il y a vraiment des hasards : le début de la mélodie du Dernier Jour, pas mal de gens l’ont rapproché d’un morceau d’OK Computer, mais ça vient totalement de l’inconscient, et la suite du morceau n’a plus rien à voir. Et c’est pas mal comme références.
Tu as une trentaine d’année, tu sors ton premier album : c’est assez tard, comparé à une certaine norme. Tu attendais quelque chose ?
Non, c’est venu comme ça. Je ne connaissais personne pour m introduire au départ dans le monde de la musique, j’ai donc fait comme beaucoup de groupes, j’ai envoyé des cassettes. Mais c’est vrai que, comparé à d’autres, j’ai franchi les étapes de manière assez lente. C’est pas plus mal : j’ai réussi entre temps à mûrir mon premier album.
Mais j’ai quand même la sensation que j’avais des albums prêts, depuis quelque temps. J’aurais pu, il y a quelques années, sortir un album. Il ne se serait pas appelé Happiness, il aurait été à majorité instrumentale. À l’époque où Portishead sortait son premier album Ça aurait pu avoir un petit potentiel’
Pourquoi ne se serait-il pas appelé Happiness ?
Ce nom ne m’est pas venu a priori, il n’est venu que quand j’ai rassemble tous les morceaux. C’est un certain contraste avec la mélancolie qu’il y a dans l’album. C’est un peu ironique, par rapport à ma situation, où je me sentais plus bas que terre Tout le monde me disait « ah, tu sors ton premier album, ça doit être super, tu dois être heureux ». Mais non, pas spécialement. C’est dur à dire, quand tu sors un disque, tu te dois d’être heureux. Bon, je le suis quand même, ou en tous cas je recherche ce bonheur Une fois que je verrai ce disque dans les bacs, ça ira mieux. Ma vision du bonheur est simple : être bien, en famille, avec ses amis, en amour. Être en harmonie. Comme tout le monde.
Comment composes-tu ?
J’ai un synthé de prédilection, sur lequel je travaille depuis longtemps, avec lequel je triture des sons, me fabrique des banques de sons. Je fabrique des atmosphères à partir de ces sons, qui font naître d’autres sons. C’est ma méthode d’origine. Je me base beaucoup sur les atmosphères. Le fait de chanter est récent, nouveau pour moi. Je composais des instrumentaux, avant. Mais j’avais envie de chanter depuis longtemps.
Les méthodes changent aussi un peu avec le temps, je me suis mis à la guitare, les morceaux partent parfois de là, quand je ne trouve plus l’inspiration au clavier. J’essaie de trouver rapidement des mélodies. Ca me prend du temps, je veux des mélodies qui me plaisent, qui se chantent, et qui restent : je suis très exigeant là-dessus.
Ça t’a pris combien de temps, pour Happiness ?
Certains titres ont été écrits il y a longtemps, comme Weeping Willow, qui a deux ans, Tears Coming Home ou Le Dernier Jour, qui ont deux ou trois ans et que je voulais absolument mettre sur l’album, que je ne voulais pas lâcher. Tous les autres ont été faits assez rapidement.
L’enregistrement s’est étalé sur une année, mais pas une année pleine ; il y a eu un mois en studio, où je suis parti avec un bassiste, un guitariste, un batteur, Sancho, anciennement Brother in Sound, est venu m aider sur des productions additionnelles. Puis j’ai réécouté, j’ai retravaillé, remixé des choses, pour finir l’album. Dix mois de travail et de réflexion.
Quel est ton rapport à la technologie, à l’ordinateur ?
Avant, l’ordinateur, un vieux Mac, me servait uniquement de séquenceur. Mais je me suis acheté un bon Mac, avec un logiciel très compliqué que j’ai du mal à maîtriser pour l’instant. C’est Logic Audio, qui n’est d’ailleurs pas très logique. Ça me permet de m’enregistrer en meilleure qualité, et surtout d’enregistrer chez moi. Je ne suis pas un prodige de technologie, j’aime bien aller vite, et que les choses répondent vite à ma demande de créativité.
Je ne connais pas les manuels par c’ur, je vais à l’essentiel, même si ça peut faire défaut pour parfaire certaines choses. Du coup, tu laisses quelques accidents, quelques erreurs qui nourrissent aussi ce que tu fais. La limitation crée des ratures, et les accidents sont importants en musique. Quand on connaît les logiciels trop bien, on fait des choses trop carrées, rigides. On peut faire une musique réellement vivante avec des synthés et des ordinateurs, Animal Collective en est le meilleur exemple.
Es-tu influencé par autre chose que la musique ?
Par les films, beaucoup. Le monde cinématographique m attire beaucoup, j’adore les films indépendants. Notamment ceux qui ont été primés à Sundance. Jim Jarmusch, Harmony Korine, pour sa violence poétique. J’ai beaucoup de films en tête, ce n’est pas la musique qui me guide, mais les images, les impressions, qui me restent dans le crâne et m aident à approfondir des idées musicales. Je pense au ciel bleu-noir, qu’il y a dans Elephant, au début du film ; ce ciel annonce tout le film, la tension et la douceur, la violence qui se dégage de la journée. C’est magnifique, un ciel.
Tu te verrais composer de la musique pour des films ?
Oui, j’aimerais beaucoup. Mais, à part Michel Gondry à qui je dirais oui tout de suite, je suis pas mal attiré par des films étrangers. Je n’ai rien contre les films français, mais je n’ai jusque-là trouvé personne qui m ait inspiré ou fait rêver de cette manière-là, les films français tournent plus sur la psychologie, sont moins esthétiques.
Peux-tu me parler de tes paroles, que racontent-elles ?
C’est assez complexe : souvent, ça suit réellement l’image première ou le rêve que j’ai eu à propos du morceau. Je fais d’abord la ligne mélodique, je trouve la mélodie de voix en improvisant, en yaourt, et j’essaie ensuite de faire coller mon anglais, mon histoire, au yaourt. C’est souvent assez difficile, périlleux. Car je veux respecter le sens premier que je voulais donner au morceau.
Weeping Willow, par exemple, c’est l’histoire de quelqu’un qui est enfermé, un peu malgré lui, dans un asile, et qui a comme image d’espérance, d’évasion, un saule pleureur qu’il observe dans la cour. Sleeping Song, c’est une berceuse, Ride Along the Cliff, c’est un hommage à Quadrophenia, une escapade de deux potes qui vont prendre des drogues et boire de la bière sur la plage
Tu composes avec une idée de narration en tête
J’ai souvent des impression fortes qui sont là, qui restent pendant tout le moment où je compose le morceau. Et il y a des mélanges, d’influences musicales, d’images de films, de rêves de paysages. Where We Had Never Gone, c’est pour moi vraiment un road-movie, une influence de Dead Man et des guitares de Neil Young, de la musique de Talk Talk, des routes perdues au fin fond des Etats-Unis à l’image de Lynch Un peu le rêve de traverser les USA de bout en bout sous un orage, en écoutant de la musique au volant d’une grosse berline américaine.
Peut-on parler de la pochette de l’album ?
Elle a été faire par mon ancienne amie, qui est suédoise. Elle avait fait la pochette de Weeping Willow, j’aime beaucoup son univers. On a passé quelques années ensemble, et le hasard fait qu’on a des univers qui se croisent, aussi bien graphiques que musicaux. J’adore tout ce qu’elle fait, aussi bien des badges, que des animations sur ordinateur, des bandes dessinées’
Je lui avais dit que je voulais appeler mon album Happiness. Une sorte d’ironie, un jeu de ma part, elle a joué dedans’ Au téléphone, on parlait même d’une première ligne de suicide, comme idée potentielle pour Happiness, mais on a oublié, c’était un peu dur (rires) Le visuel s’interprète de différentes manières, mais ce sont les différentes possibilités du bonheur : on peut aller se coucher, croiser le soleil et la lumière, ou choisir, pour moi, de fuir la ville et d’aller ailleurs.
C’est ton idéal ?
On pense toujours à fuir. Mais il faut se méfier des fuites, on peut toujours retrouver ses problèmes ailleurs. C’est une illusion, mais ça reste un rêve, c’est moteur à un certain mouvement. Il faut garder cette idée de fuite.
Comment envisages-tu l’avenir ?
J’aimerais faire des concerts et écrire rapidement un deuxième album.
Avec l’aimable autorisation de Catalogue
{"type":"Banniere-Basse"}