Rares sont ceux qui ne le trouvent pas sympathique, Borloo. Il y a bientôt deux ans, gravement malade, il quittait la vie politique. Depuis, il a retrouvé l’énergie : il a monté une fondation visant à électrifier l’Afrique, avec l’aide de la communauté internationale, des Etats et de grosses entreprises privées. On est allé prendre de ses nouvelles.
Un matin de décembre, il fait beau mais froid dans le cossu VIIIe arrondissement de Paris où sont installés les bureaux de sa fondation. Il arrive un peu en retard, frigorifié, recroquevillé, les yeux rougis, les traits tirés. Il veut des chouquettes.
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– Des chouquettes ? Vous avez des chouquettes ?, demande-t-il à une associée.
– Y a plus de chouquettes. Mais je vous amène autre chose. Avec un petit café. Oui, je sens que vous en avez besoin là.
On en prend un aussi, tant qu’à faire. Il se réchauffe soudain, nous regarde par en dessous, ses yeux pétillent, il s’enquiert :
– Oui, alors, vous vouliez faire ?
– Prendre de vos nouvelles. Ma première question allait être… Comment ça va ?
Il éclate de rire : “Bah c’est mal parti !”
Lazarus
En fait, il a l’air d’aller bien. Il y a deux ans, une pneumonie aiguë l’a cloué plusieurs semaines sur un lit d’hôpital. En avril 2014, il annonce son retrait de la vie politique et quitte son poste de député. “Je n’ai pas, en l’état, toute l’énergie nécessaire pour remplir complètement mes responsabilités”, explique-t-il dans une lettre adressée à son parti, l’UDI, dont il quitte aussi la présidence.
Aujourd’hui, il est ragaillardi. Sa fatigue matinale s’explique. La veille, il est rentré de Guinée, où il a assisté à l’investiture “d’Alpha” – le président Alpha Condé, réélu en octobre dernier. Depuis qu’il s’est relevé de son lit d’hôpital, Jean-Louis Borloo a parcouru l’Afrique et rencontré plus de 40 chefs d’Etat pour promouvoir un grand plan d’accès à l’énergie. Sa fondation Energies pour l’Afrique est soutenue par une trentaine de grosses sociétés (Total, Veolia, Vinci, Eiffage…), mais aussi par l’Assemblée nationale, le Sénat, le gouvernement, la Caisse des dépôts, l’Agence française de développement…
Plus proche d’un Africain que d’un Norvégien
Une mission philanthropique ? Il assure : “Complètement philanthropique. Moi j’ai rien à vendre, je m’en fous. Je n’ai pas d’agenda personnel.” Pourquoi l’Afrique ? Il y a déjà ça : “Il se trouve que je me sens bien en Afrique. On ne peut peut-être pas dire ça, mais je me sens plus proche d’un Africain que d’un Norvégien, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Mais aucune animosité contre la Norvège hein !”.
Ministre de l’Ecologie sous Sarkozy de 2007 à 2010, il a côtoyé l’ex-secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, alors à la tête de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra) – “J’l’aime bien, Koffi”, dit-il. Avec lui, il a fait le constat d’une aide au développement qui ne fonctionnait pas. “Je la fais courte : elle est aveugle, éparse, inefficace, sans stratégie et 80 % revient en fait aux cabinets de consultation occidentaux.”
Autre rencontre marquante, celle de Meles Zenawi, Premier ministre éthiopien et porte-parole des pays africains lors de la COP 15, à Copenhague en 2009, où Borloo a défendu son plan “Justice-climat” pour l’Afrique. Jean-Louis Borloo est “subjugué par le personnage”. Il se passionne dès lors pour les problématiques du continent africain. “Je vais voir tout le monde.”
En 2014, il sort de l’hôpital. Et puis : “Un coup de fil, deux coups de fil, trois coups de fil africains. Comment tu vas ? Ils me parlent du problème fondamental et croissant de l’accès à l’énergie. Est-ce que tu peux nous filer un coup de main ?”. C’est un oui.
Jean-Louis Borloo décide de lancer une fondation, de ressortir son répertoire, d’user à nouveau de son entregent et de son extraordinaire – mais authentique – art du contact humain. Il raconte – dans une délicieuse faconde borloosienne : “Je vais voir tout le monde. Je vais voir Junker, je lui dis écoute Jean-Claude… Y a un marché juste à côté de l’Europe, c’est un formidable relais de croissance. La population va passer de 1 à 2 milliards. 25 % seulement a accès à l’électricité. Le plus grand mouvement de nomadisme est devant nous. Il faut créer un outil lisible, traçable et simple pour apporter la lumière à l’Afrique, parce que là c’est intenable. Je vais voir François Hollande, je vais voir mes potes allemands, les italiens, l’Assemblée, le Sénat, les boîtes… Je leur dis : les gars, vous en pensez quoi ? Ils me disent : Jean-Louis, t’as raison, il faut faire un truc comme ça.”
Ce sens du réseau, cette facilité de contact, qui lui vaut l’écoute de toutes les pouvoirs – une signature ? Cette manière de réunir des castings iconoclastes et de fédérer autour d’un projet – une méthode ?
Dans les années 80, Jean-Louis Borloo, alors avocat, monte son cabinet d’affaires :
“Pour gérer des dossiers complexes, j’ai mélangé les cultures. J’ai recruté des ingénieurs, des mecs d’HEC, des Arts et métiers, pas que des avocats, une équipe de 25/30 ans. J’étais considéré comme une espèce de fou dingue. En sept ans, on s’est retrouvé deuxième cabinet français.”
Parmi ses clients, il compte Bernard Tapie. Selon Forbes, c’est alors un des avocats les mieux payés au monde. Il décide de se lancer en politique, dans un premier temps sous la bannière d’aucun parti. En 1989, il est élu maire de Valenciennes. Il redresse une ville économiquement et culturellement sinistrée et sera réélu deux fois, haut la main, dès le premier tour.
En 2002, Jacques Chirac lui propose de rentrer dans le premier gouvernement Raffarin comme ministre délégué à la Ville. Il restera ministre dix ans durant, sans interruption : Emploi, Cohésion sociale et Logement de 2004 à 2007, puis à l’Ecologie jusqu’en 2010.
Borloo le sympathique
Il dit : “Vous savez, je suis pas très doué. Il y a des gens qui se suffisent à eux-mêmes par leur intelligence. Moi non. J’ai été obligé de compenser un niveau intellectuel et scolaire moyen. J’ai développé une écoute et un sens de l’analyse. A Valenciennes, au logement, à l’écologie, j’ai utilisé la même méthode : écouter les idées, chercher les solutions, créer des outils et fédérer tout le monde. Si j’ai des réussites, c’est à ça que je les dois.”
Et quid de cet irréfutable capital-sympathie, qui lui a permis de constituer son énorme réseau et d’être choyé par des chefs d’Etat et de gouvernement très conscients de son impact positif sur les électeurs ? On lui demande s’il confirme, s’il est vraiment sympa Borloo. La question semble presque l’émouvoir, il y a un silence, il rigole, il a l’air un peu gêné, il dit : “C’est tellement plus facile d’être bienveillant que malveillant, c’est tellement plus agréable. Et ça vous simplifie tellement la vie ! Je pense qu’il faut être malheureux pour être malveillant. Je pense que quand les gens se lèvent le matin, ils ont plutôt envie d’aimer, et d’être aimés.”
Il coupe : “Vous avez des cigarettes ? Je peux vous en piquer ? Sûr ? Merci. Un autre petit café ?” Allez. Il assure ne pas avoir d’agenda personnel :
“Je ne suis pas dans la représentation. Je n’ai pas à préparer un retour en politique, ou à entrer dans des réseaux de business de haut niveau pour reprendre un groupe demain. Non.”
Une fois la structure mise en place par sa fondation, il promet de quitter le navire : “Borloo veut électrifier l’Afrique, c’est une phrase conne. Il faut électrifier l’Afrique, et ce sont les africains qui vont le faire, en partenariat avec les européens.”
Il préfère voguer dans son propre bateau, choyer et être choyé par les gens qu’il aime, voyager avec les siens, son “clan” familial et amical. C’est le plus important. Il dit : “Ceux qui me disent de faire autre chose, je leur réponds, je suis bien dans mon truc, foutez-moi la paix.” Il n’est pas prêt à se mettre à la retraite pour autant : “Je suis un séquentiel”. Les prochaines séquences à l’horizon ? La santé des océans et l’éducation des enfants, deux sujets qui lui tiennent à cœur : “Demain je peux parfaitement faire une action bénévole associative sur l’éducation des petits, en m’associant avec le ou la ministre du moment, les régions, les départements. Je pense avoir suffisamment d’impact personnel pour pouvoir le faire hors du cadre.”
Des fusées sur la Lune
Il évoque les années qui passent, la santé qui casse : “Ce qui se perd, évidemment, c’est la résistance physique. A un moment donné, quand vous êtes moins fort physiquement, mentalement vous avez aussi des moments de plus grande fragilité, ça c’est vrai.”
Mais il y a aussi ça : “Ce que vous gagnez, c’est que vous êtes moins encombré de vous-mêmes, bizarrement beaucoup moins égotique, vous donnez plus de sens aux choses.”
Et puis il y a ce qui restera, “jusqu’au dernier souffle”, ce qui fait se lever le matin : “J’ai les mêmes rêves. En fait je continue à rêver.” Il rêve à quoi ? Il coupe : “Je peux vous en retaper une ou pas ?”. Il reprend, lyrique, mais la voix sourde et douce : “Est-ce que vous ne rêvez pas vous d’un monde où vous ne verriez pas de scènes de gâchis humain, de peines irréversibles, de caps insurmontables ?”.
Il ajoute : “C’est prétentieux, mais je suis sûr que ce que je fais en ce moment, il n’y a pas grand-monde qui pourrait vraiment le faire. Il faut mettre sa caractéristique là où vous avez le plus d’impact. Quand les troupes régulières n’arrivent pas à traiter le problème, que je considère qu’on est à deux doigts du péril, j’y vais, je tente le coup. Quand j’ai quitté un cabinet d’avocats absolument florissant pour partir à Valenciennes, je n’avais pas l’impression d’être un héros, plutôt celle d’avoir une chance folle, d’avoir un dossier plus humain, plus passionnant. Et ce que je fais aujourd’hui, ça m’emballe pareil, ça m’excite pareil, ça me fait rêver pareil.”
Et de conclure : “Tout le monde a envie d’avoir des rêves, de rentrer chez soi le soir et de dire à ses enfants, voilà, je fais ça pour le monde. Le type à Cap Canaveral, il rentre chez lui et il dit, qu’est-ce-que j’ai fait aujourd’hui ? J’ai envoyé des fusées sur la Lune. Bah voilà. Tout le monde a envie d’envoyer des fusées sur la lune.”
Il est vraiment chouquette M. Borloo.
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