Après un passage par le cinéma, Thomas Ngijol revient à 2 et à ses premières amours : le stand-up. Entretien avec un type aussi drôle que discret, dont les vannes résonneront bientôt au Châtelet à Paris.
C’était il y a plus de dix ans, via le Comedy Club de Jamel Debbouze. On découvrait un grand type drôle et longiligne qui tenait son micro bien haut et débitait des vannes avec une nonchalance nouvelle (et cette fameuse voix un peu rentrée). Thomas Ngijol, type calme à l’humour fulgurant, s’installait à son rythme sur la scène stand-up française.
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On se souvient de l’affiche de son spectacle de 2009, A block. Reprenant la pose et les frusques de Michael Jackson sur la pochette de Thriller (main dans le futal, costume blanc, chemise noire), Ngijol marquait les esprits avant de s’aventurer, c’est un quasi-classique, dans le cinéma. Avec son copain Fabrice Eboué (du Comedy Club lui aussi), il grimpait dans le box-office avec deux jolis coups, Case départ (en 2010, devant et derrière la caméra) et Le Crocodile du Botswanga (2012, juste devant cette fois).
Puis, il y eut le plus confidentiel Fastlife (2014) de et avec Ngijol, avant un retour sur scène la même année avec 2, spectacle à haute teneur personnelle, vannes foudroyantes et absolues – au milieu d’une France en ruines et en larmes.
Mis en scène par sa compagne, l’actrice et réalisatrice Karole Rocher, Ngijol acquiert avec ce nouvel essai, qu’il jouera du 16 au 19 février au Théâtre du Châtelet, une stature inédite. Il n’en fallait pas plus pour se plonger dans l’histoire de cet homme discret mais golri – comme disent les jeunes.
https://youtu.be/Z1JyUTIMz9g
Quels sont tes premiers souvenirs de gosse ?
Thomas Ngijol – Je retiens les lits superposés. J’avais quatre frères, on vivait avec mes parents en HLM, à Maisons-Alfort, dans le 94. Il y avait cette espèce de promiscuité assez géniale. En grandissant, tu as envie d’avoir ton indépendance, et quand j’ai pris mon appartement, j’ai compris que tout ça c’était fini. J’ai un peu de nostalgie de cette période.
Quel type d’enfant étais-tu ? Tu faisais déjà marrer tes parents, tes frères ?
Pas du tout. Quand les membres de ma famille ont appris que je faisais du stand-up, ils ont halluciné et m’ont dit : “Va faire la manche directement.” Gamin, j’étais le plus jeune des quatre garçons et ma mission c’était surtout “exister”. J’étais drôle à l’école, avec mes amis mais, à la maison, je n’avais pas la prétention de faire rire quiconque.
Tu étais bon élève ?
Mon père avait une grande exigence, comme tous les immigrés je pense. Il est venu du Cameroun pour étudier la sociologie à la Sorbonne et il ne plaisantait pas avec l’école. J’étais le fameux élève qui “gâche ses capacités”. J’avais toujours la moyenne, j’ai eu mon bac. Je regrette un peu d’avoir eu ce parcours-là, mais je n’ai jamais vraiment su ce que je voulais faire. C’est quand même dommage puisque, si on y pense, j’ai passé la moitié de ma vie dans ce fameux système scolaire…
Tes parents sont camerounais, ils vous parlaient de leur pays d’origine ?
Après ses études, mon père a travaillé à Cameroun Airlines. Comme on avait des réductions sur les billets, j’ai eu la chance de découvrir mon pays d’origine très tôt. On ne parlait pas spécialement du Cameroun au quotidien, et moi j’avais ma vie en France. Mais je me souviens qu’en 1990, lors de la Coupe du monde, quand le Cameroun a été éliminé en quart de finale par l’Angleterre, je me suis retrouvé à la fenêtre, les yeux rouges. Je crois que c’est la première fois que j’ai ressenti un truc d’appartenance au Cameroun.
Ton père était au Rwanda pendant le génocide. Comment s’est-il retrouvé là-bas ?
Quand Cameroun Airlines a déposé le bilan, mon père a été embauché par l’ONU. Ils lui ont fait un beau cadeau… Il s’est retrouvé là-bas, au milieu du génocide. Il y avait des coupures de lignes téléphoniques et on n’avait pas de nouvelles pendant plusieurs jours. Parfois, il m’est arrivé de me dire que mon père était mort. C’est dur de regarder les infos sur le Rwanda à la télé en espérant ne pas voir une photo de son père.
Tu as grandi à Maisons-Alfort, en banlieue parisienne, c’était comment ?
C’était la cité, mais pas la plus dangereuse non plus. J’habitais dans le quartier le plus dur, Vert de Maisons. A l’époque, il y avait beaucoup de drogue, énormément d’héroïne. En bas de chez moi, il y avait pas mal de toxicos. Quand tu es petit, tu as conscience qu’il se passe un truc, même si tu ne sais pas quoi. J’ai eu de la chance, mes parents veillaient sur moi. J’étais protégé, on avait de quoi manger à la maison, tout allait bien. Etant le dernier, j’étais beaucoup dans l’observation et j’ai beaucoup appris des erreurs de mes grands frères. J’étais le regular guy…
Qu’est-ce qui te passionnait à côté de l’école ?
Tout. J’attendais la récré, le match de foot. Dès le matin, j’étais en pleine préparation mentale, je mettais mon petit survêtement pour le match de midi. J’étais déjà pour le PSG. J’adorais la musique aussi. Mon père a fait une partie de ses études aux Etats-Unis et en a ramené une belle collection de vinyles. Beaucoup de musique africaine, et puis Kool And The Gang, Marvin Gaye, Jackson Browne, je me souviens de Off the Wall de Jackson, de Simon & Garfunkel. C’était beau mais ça me foutait le cafard, Simon & Garfunkel. Cela dit, ça n’empêchait pas mon père de nous acheter des 33t de Carlos ou de Renaud – va comprendre (rires)…
Un de mes regrets est de ne pas avoir essayé de faire un truc dans la musique ou la danse. A la maison, je passais mon temps à performer sur de la musique. Mon père m’a vu danser et a voulu m’inscrire au conservatoire. A ce propos, on voit que la banlieue fait son travail : impossible de dire aux potes qu’on fait de la danse. Je lui ai dit : “T’es malade, laisse-moi au foot.” Alors que j’aurais pu apprendre des choses utiles… Comme vous l’aurez remarqué, je suis parfois un peu statique sur scène (rires).
Qui te faisait rire plus jeune ?
Pierre Richard, de loin le numéro 1, Louis de Funès… Eddie Murphy dans les années 1980, naturellement. Un Noir, c’était une sacrée révolution. 48 heures, c’est quand même fantastique. Et puis, Elie et Dieudonné sur scène, Les Inconnus. Les Inconnus, ils ont niqué le business de la parodie. Didier Bourdon est un génie, comme Will Ferrell : tu le vois, tu souris…
Comment es-tu venu au stand-up ?
Je faisais du théâtre et je voyais des mecs de 18 ou 20 ans qui se mettaient dans tous leurs états en jouant les textes classiques. Je trouvais ça hyper bizarre et j’avais toujours envie de leur dire : “Hé mec, détends-toi, après on va tous aller au Quick, t’emballe pas.” Du coup, je me suis mis à écrire des trucs pour moi, mais sans penser à la suite.
Un jour, je me suis retrouvé à faire une scène ouverte, un truc sur Johnny, et j’ai vu des gens que je ne connaissais pas rire de mes blagues. Ça a été important parce qu’au début il y a toujours quelques-uns de tes potes, puis de moins en moins, et un jour il n’y en a plus aucun… Là, tu te dis bon, OK, tu peux être un peu drôle, c’est parti… Et j’ai dégotté une scène au Moloko, une petite salle à Pigalle.
Tu avais une culture du stand-up américain ?
Oui, j’achetais plein de DVD, et je trouvais les mecs beaux avec leurs micros : Seinfeld, Eddie Murphy, Richard Pryor, Dave Chappelle. J’avais envie d’être comme eux pour balancer des vannes en tenant le micro devant ma bouche (rires). Depuis Raymond Devos, ça ne se faisait plus trop en France…
Quand tu es arrivé au Comedy Club avec Jamel Debbouze et Kader Aoun, vous aviez quasiment le même âge. Ils ont été importants pour toi ?
Je voulais juste jouer un spectacle et j’écoutais ce qu’ils disaient, ils ont été de bon conseil pour moi. Jamel et Kader avaient joué deux spectacles ensemble et ça avait bien marché. Ils avaient aussi fait du cinéma, de la télé, des séries. Le premier Comedy Club représentait quelque chose de nouveau, qui est arrivé au bon moment, après une mauvaise période pour la France, après les émeutes de 2005. Avant ça, les producteurs te disaient “ouais, je sais pas…” Il a fallu des drames, une urgence sociale pour que les mecs se disent qu’il y avait des talents.
Tu es celui du Comedy Club qui a pris son autonomie le plus vite…
Au moment où Jamel et Kader ont arrêté de travailler ensemble, il y a eu une sorte de déclic dans la bande. D’une certaine façon, un cycle devait finir. On fait du one-man show, et le “one” finit par reprendre ses droits.
Quand tu as commencé à travailler seul, comment imaginais-tu ton évolution dans le métier ?
J’avais besoin de me situer sur l’échiquier du divertissement. Je commençais à maîtriser la scène et j’ai eu mes premiers rôles au cinéma, dans Vilaine et La Chance de ma vie. J’ai eu aussi des appels de la télé, j’ai été au Grand Journal. J’avais d’autres propositions, mais je n’imaginais pas pouvoir m’épanouir à la télé comme chroniqueur. Je suis comédien à la base. C’est assez délicat ces périodes de questionnement, t’es en roue libre face à toi-même. Tu te dis que tu devrais accepter les propositions, tu as peur d’être oublié… Sauf que ton truc, c’est la scène. Il ne faut pas avoir peur du vide.
Pour toi, la scène est le prolongement de la vie et tu pousses le truc jusqu’à travailler avec ta compagne. Tu imbriques ta vie personnelle et professionnelle de façon naturelle ?
Avec Karole (sa compagne, la comédienne Karole Rocher – ndlr), il y a une philosophie du métier commune. Cela m’a soulagé d’être avec elle. Elle m’a beaucoup aidé quant à mes démons intérieurs, mes inquiétudes. Elle m’a appris à vivre et à faire les choses quand je le sens. Le danger de ce métier, c’est d’y penser tout le temps… Tu ne déconnectes jamais, et quand tu n’as que ça, c’est terrible.
C’est paradoxal : vivre avec ta metteur en scène te permet de déconnecter du boulot ?
C’est tellement agréable de travailler avec quelqu’un que tu aimes et qui, surtout, a du talent. Je connaissais son travail avant, je savais qu’elle était plutôt atypique, avec un vrai regard sur les choses. Son regard m’a beaucoup apporté. Et puis, on ne ramène pas le boulot à la maison, on essaie de faire la part des choses. On ne passe pas notre temps à prendre des notes… A l’époque, pour préparer le spectacle, j’avais accumulé beaucoup de notes, mais je n’ai rien utilisé. Le spectacle a été écrit à 60% sur scène. Je l’ai rodé à Avignon avec mes idées et un paperboard. Je parlais au public en prenant des notes, c’était génial.
Tu as apprécié ta période au cinéma ?
Il y a eu trois films utiles et nourrissants pour ce que je fais aujourd’hui. Mais le plus dur au cinéma, c’est le succès. Après celui de Case départ, je pense que j’étais en dépression. Ça m’a rendu très seul. Je voyais la méchanceté, l’envie, la jalousie, des trucs auxquels je n’étais pas préparé. J’aime bien être tranquille, je suis un mec simple : tu me mets mes amis, ma famille, un match de foot, et un petit restau de temps en temps… sincèrement, je crois que c’est bon ! J’apprécie de construire quelque chose en famille. C’est un petit travail artisanal.
Dans ton dernier spectacle, tu évoques aussi des sujets super sérieux, voire très durs : le FN, l’attentat à Charlie Hebdo… Selon toi, le comique a un rôle de tribun pour son public ?
Non, pas du tout. Ce serait orgueilleux de dire ça. On est dans le divertissement, il ne faut pas se prendre pour ce que l’on n’est pas. Ce n’est pas parce que tu abordes un sujet que tu es plus légitime. Je viens parler, discuter, jouer, rigoler de plein de choses, mais pas pour régler des problèmes avec la société.
Au début, tu n’avais d’ailleurs pas très envie de parler de Charlie Hebdo…
J’habitais boulevard Beaumarchais, près de là où se sont produits les événements. Le quartier était sinistré. Je jouais le soir même au théâtre Dejazet, à République, là où se tenait le rassemblement. J’étais totalement imprégné par tout ça. Mais je suis qui pour parler ? Des mecs se sont faits canarder, ça m’a touché, comme tout le monde. Après il y a eu toute cette polémique autour de “Je suis Charlie”. Mais je m’en fous, je suis pas pour ou contre Charlie, je suis juste triste pour les gens qui sont décédés et leurs familles.
Comment t’es-tu dit que tu allais aborder le sujet sur scène ?
J’ai su que j’allais en parler quand j’ai joué, le soir même. C’était dramatique, j’ai annulé quinze fois dans la journée… Et Jean Bouquin, le propriétaire du Dejazet, a fait un travail formidable ce jour-là en me disant qu’il fallait que je joue. C’était dingue. Tu ne peux pas arriver sur scène n’importe comment alors que des mecs marchent en silence dans la rue d’à côté. Tu viens avec humilité, tu es obligé d’en parler.
Je ne me souviens même plus ce que j’ai dit sur le coup, je me rappelle juste d’avoir conclu par “bon, ben voilà” – et les gens ont commencé à rire. La capacité des gens à se remettre debout est incroyable. Je n’ai pas fait de vannes, ils n’étaient pas cyniques, ils me disaient juste : “On a envie de rire, ce soir peut-être plus que jamais, donc vas-y, n’aie pas peur”. C’est le public qui m’a poussé à faire mon boulot.
en tournée le 6 février à Grasse, le 12 à Lille, le 13 à Caen, du 16 au 19 à Paris (Théâtre du Châtelet), à 20 h. La soirée du 19 février sera retransmise en direct sur Canal+ en prime time
https://youtu.be/V_ICpp1XXFM
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